Vu la requête, enregistrée le 15 décembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES, dont le siège est ... ; la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du Premier ministre en date du 16 novembre 1998 refusant d'abroger le titre II du décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 modifié relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie autorisés par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 ;
2°) d'ordonner au Premier ministre, dans un bref délai et sous astreinte, d'abroger le titre II du même décret ;
3°) de condamner l'Etat à payer à la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES la somme de 25 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 55 ;
Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;
Vu la loi du 31 mai 1933 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret du 9 novembre 1978 modifié relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie autorisés par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mochon, Auditeur,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la Française des Jeux,
- les conclusions de Mme Daussun, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'intervention de la société "Française des Jeux" :
Considérant que la société "Française des Jeux", société d'économie mixte chargée sur le fondement du titre II du décret du 9 novembre 1978 de l'organisation et de l'exploitation des jeux de loterie définis au titre Ier du même décret a intérêt au maintien de la décision du 16 novembre 1998 par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le titre II de ce décret ; qu'ainsi son intervention en défense est recevable ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du Premier ministre du 16 novembre 1998 refusant d'abroger le titre II du décret du 9 novembre 1978 :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la requête :
Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement n'est tenue d'y déférer que pour autant que ce règlement est soit illégal dès la date de sa signature, soit que son illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;
Considérant qu'aux termes de l'article 52 du traité instituant la Communauté européenne (devenu, après modification, article 43 CE) dans sa rédaction en vigueur à la date de la demande d'abrogation du décret du 9 novembre 1978 : "Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont progressivement supprimées au cours de la période de transition" ; qu'aux termes de l'article 59 du même traité (devenu, après modification, article 49 CE) dans sa rédaction en vigueur à la même date : "les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont progressivement supprimées au cours de la période de transition à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation" ; qu'aux termes de l'article 56 du même traité (devenu, après modification, article 46 CE) : "les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique" ;
Considérant qu'ainsi que l'a relevé la Cour de justice des communautés européennes par ses arrêts n° C/275/92 du 24 mars 1994, n° C/124/97 du 21 septembre 1999 et n° C/67/98 du 21 octobre 1999, une législation nationale autorisant les jeux d'argent de façon limitée ou dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, en ce qu'elle restreint l'exercice d'une activité économique porte atteinte à la libre prestation des services ; que toutefois, une telle atteinte peut être admise au titre tout d'abord des mesures dérogatoires prévues par le traité qui admettent les restrictions justifiées par la participation, même à titre occasionnel à l'exercice de l'autorité publique ou par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; qu'en outre, les entraves à la libre prestation des services qui découlent de mesures nationales indistinctement applicables peuvent être acceptées également si ces mesures sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, si elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles visent et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ; qu'à cet égard, et ainsi que le souligne l'arrêt n° C/67/98 du 21 octobre 1999 il incombe au juge national de se prononcer au vu des modalités concrètes d'application de la réglementation contestée devant lui ;
Considérant que par le titre II du décret du 9 novembre 1978, l'Etat a confié l'exploitation des jeux de loterie à une société d'économie mixte dont le capital a été fixé initialement à vingt millions de francs, dont les statuts sont soumis à l'approbation du ministre du budget et du ministre de l'économie, dans laquelle l'Etat dispose d'une participation majoritaire, dont les modalités d'exercice de la mission doivent être précisées par une convention passée avec le ministre chargé du budget, et qui est soumise au contrôle économique et financier de l'Etat ;
Considérant que ces dispositions, qui réservent l'exercice de l'activité économique que constitue l'exploitation des jeux de loterie à une société d'économie mixte, si elles n'instaurent pas d'inégalité de traitement susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, dès lors qu'elles s'appliquent indistinctement à tous les opérateurs susceptibles de proposer des jeux de loterie, quelle que soit leur nationalité, peuvent cependant être de nature à limiter, pour les prestataires de service ressortissants d'un des Etats membres de l'Union européenne ou installés à l'intérieur de celle-ci, la libre prestation de services que constitue l'exploitation des jeux de loterie voire même la liberté d'établissement ;
Considérant, toutefois, que ces dispositions, qui ne poursuivent pas un objectif de nature économique, ont pour objet la protection de l'ordre public par la limitation des jeux et leur organisation par une société d'économie mixte contrôlée par l'Etat ; que l'intérêt qui s'attache à cette limitation et à ce contrôle des jeux de loterie constitue une raison impérieuse d'intérêt général qui est de nature à justifier, en application de l'article 56 précité, une limitation à la libre prestation de services et à la liberté d'établissement ;
Considérant que le décret du 9 novembre 1978, en confiant, sans appel à la concurrence, l'exploitation des jeux de loterie à une société d'économie mixte présentant les caractéristiques susrappelées, ne porte pas par lui-même à la liberté de prestation de services et à la liberté d'établissement une atteinte disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, dès lors que la procédure de choix de l'opérateur et les modalités du contrôle de l'Etat sont propres à garantir la réalisation de cet objectif et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ;
Considérant, il est vrai, que les conditions concrètes d'application de l'ensemble de ces règles se caractérisent par une propension de la société Française des jeux, société d'économie mixte créée sur le fondement du titre II du décret du 9 novembre 1978 à diversifier les possibilités de jeux de loterie offertes au risque de compromettre à terme l'objectif de limitation de ce type de jeux ; que, cependant, à la date d'intervention de la décision du 16 novembre 1998 refusant d'abroger le titre II du décret du 9 novembre 1978, l'évolution de la situation de fait n'a pas revêtu une ampleur telle que la légalité dudit décret s'en serait trouvée affectée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice des communautés européennes en application de l'article 234 du traité CE dès lors qu'elle a d'ores et déjà procédé à l'interprétation des dispositions pertinentes au cas présent dudit traité, d'écarter le moyen unique de la requête tiré de la violation des articles 52 et 59 du traité de Rome (devenus articles 43 et 49 CE) ;
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée :
Considérant qu'aux termes de l'article 6-1 introduit dans la loi du 16 juillet 1980 par la loi du 8 février 1995 : "Lorsqu'il règle un litige au fond par une décision qui implique nécessairement une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le Conseil d'Etat, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure et peut assortir sa décision d'une astreinte à compter de la date qu'il détermine" ; que la présente décision, qui, rejette les conclusions de la confédération requérante tendant à l'annulation de la décision du Premier ministre refusant d'abroger les dispositions du titre II du décret du 9 novembre 1978, n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions susanalysées ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions relatives à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant que, la société "Française des Jeux", intervenant en défense, n'étant pas partie à la présente instance, les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES soit condamnée à lui payer la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'intervention de la société "Française des Jeux" est admise.
Article 2 : La requête de la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société "Française des Jeux" tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION FRANCAISE DES PROFESSIONNELS EN JEUX AUTOMATIQUES, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre de l'intérieur et à la société "Française des Jeux".