Vu la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 3 novembre 1999, présentée pour M. Claude X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 13 juillet 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur recours du ministre de la défense, d'une part, a annulé le jugement du 28 avril 1998 par lequel le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à lui verser une somme de 300 000 F en réparation du préjudice qu'il a subi à la suite d'une intervention chirurgicale pratiquée à l'hôpital militaire Larrey de Versailles, d'autre part, a mis à sa charge les frais d'expertise exposés en première instance ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du2 septembre 1988 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Auditeur,
- les observations de Me Garaud, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Paris que M. X... avait opposé une fin de non-recevoir au recours formé par le ministre de la défense en tant que ce recours était dirigé contre le jugement avant-dire-droit du tribunal administratif de Paris en date du 28 juin 1994 ; que la cour n'a pu, sans entacher son arrêt d'une omission de réponse à moyen, faire droit à l'appel du ministre sans statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par M. X... ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur la recevabilité :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 229 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : " ... le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige" ; qu'en application de ces dispositions, le ministre de la défense était recevable à contester le jugement avant-dire-droit du tribunal administratif de Versailles en date du 28 juin 1994 jusqu'à la date d'expiration du délai d'appel contre le jugement du même tribunal en date du 28 avril 1998 qui règle définitivement le fond du litige ; que le recours introductif d'instance dirigé contre les jugements des 28 juin 1994 et 28 avril 1998 ayant été déposé dans ce délai par le ministre de la défense, la fin de non-recevoir opposée par M. X... à l'encontre des conclusions du recours dirigées contre le premier jugement du tribunal administratif de Versailles doit être écartée ;
Sur les conclusions du ministre de la défense dirigées contre le jugement avant-dire-droit du 28 juin 1994 :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : "Ouvrent droit à pension : 1° les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° l'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service" ; que la circonstance que les conséquences dommageables des soins dispensés à la suite d'un accident de service à un militaire dans un hôpital militaire ne sont pas détachables de cet accident en ce qu'ils ouvrent droit à la pension d'invalidité prévue par les dispositions précitées ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé, s'il estime que les soins ont été dispensés dans des conditions de nature à engager selon les règles du droit commun, la responsabilité de l'administration, exerce à l'encontre de l'Etat une action tendant au versement d'une indemnité complémentaire assurant la réparation intégrale de ce chef de préjudice ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X..., qui était au moment des faits élève gendarme à l'école des sous-officiers de gendarmerie de Fontainebleau, a été victime le 11 juin 1990 d'une chute de motocyclette au cours du service, qui a entraîné une fracture du col du fémur gauche pour laquelle il a été soigné à l'hôpital militaire Larrey à Versailles ; que M. X... garde de cet accident des séquelles qu'il impute à des fautes qui auraient été commises par cet hôpital à l'occasion de la réduction de sa fracture par ostéosynthèse le 13 juin 1990 ; que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement avant-dire-droit du 28 juin 1994, le tribunal administratif de Versailles a estimé que les dispositions de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ne faisaient pas obstacle à ce que M. X... puisse exercer à l'encontre de l'Etat, dont dépend l'hôpital militaire Larrey, une action en réparation des préjudices qu'il soutient avoir subis du fait des soins qui lui ont été dispensés dans cet hôpital ;
Sur les conclusions du ministre de la défense et de M. X... dirigées contre le jugement du 28 avril 1998 :
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise établi à la demande du tribunal administratif qu'à la suite de l'opération de réduction de sa fracture par ostéosynthèse, subie par M. X... le 13 juin 1990 à l'hôpital militaire Larrey à Versailles, une infection de la hanche par staphylocoques s'est déclarée, qui a laissé d'importantes séquelles ; que rien ne permet de présumer que M. X... ait été porteur, avant l'intervention, d'un foyer infectieux qui pourrait être à l'origine de cette complication ; que, si aucune faute ne peut être reprochée aux praticiens qui ont exécuté l'opération, l'introduction accidentelle dans l'organisme du patient d'un germe microbien lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier ; que, par suite, le moyen tiré par le ministre de ce que le tribunal administratif aurait à tort déclaré l'Etat responsable du préjudice, lié à cette infection, subi par M. X... doit être écarté ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la fracture subie par M. X... a entraîné une incapacité permanente partielle ; qu'en raison de l'infection survenue à la suite de l'intervention chirurgicale, l'intéressé est atteint d'une incapacité permanente partielle plus élevée que celle dont restent habituellement atteintes les personnes ayant subi une fracture du même type ; qu'il a dû faire l'objet de nombreuses interventions chirurgicales, a enduré des souffrances importantes et subi de graves troubles dans sa vie personnelle et professionnelle ; qu'il est fondé à soutenir, par la voie du recours incident, que le tribunal administratif de Versailles a fait une appréciation insuffisante des préjudices liés aux soins qu'il a subis en fixant la somme due par l'Etat à 330 000 F ; qu'il y a lieu de porter cette somme à 400 000 F ;
Considérant toutefois qu'il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, compte tenu des indemnités qu'elle a pu obtenir par ailleurs à raison du même accident, une réparation supérieure à celle du préjudice subi ; qu'il résulte de l'instruction que la pension d'invalidité allouée à M. X..., dont le capital représentatif s'élève à 389 000 F, répare l'ensemble des séquelles dont il est resté atteint ; que lecapital représentatif de la partie de cette pension qui répare les conséquences dommageables des soins dispensés à l'hôpital militaire peut être estimé à 220 000 F ; qu'il y a lieu de déduire ce montant de la somme de 400 000 F représentant le montant total du préjudice subi à la suite des soins dispensés et par suite de ramener à 180 000 F le montant de l'indemnité complémentaire que l'Etat a été condamné à verser à M. X... ; que le ministre de la défense est fondé à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement du tribunal administratif de Versailles ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. X... la somme de 15 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 13 juillet 1999 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à M. X... une somme de 180 000 F.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 28 avril 1998 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel du ministre de la défense et de l'appel incident de M. X... est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. X... une somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Claude X... et au ministre de la défense.