Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 5 juin 2000 et 5 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la NATIONAL FARMERS' UNION dont le siège est ... WC2h 8HL (X) ; la NATIONAL FARMERS' UNION demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite de rejet du Premier ministre née du silence gardé pendant plus de quatre mois sur la demande qui lui a été présentée le 4 octobre 1999 et tendant à la levée de l'embargo sur les exportations de boeuf britannique vers la France ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du Premier ministre, du ministre de l'agriculture et de la pêche, et du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie résultant du silence gardé par eux pendant plus de quatre mois sur la demande qui leur a été présentée le 3 février 2000 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 28 octobre 1998 établissant des mesures particulières applicables à certains produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni ;
3°) d'enjoindre à ces autorités d'abroger les dispositions des articles 2, 4 et 10 de l'arrêté du 28 octobre 1998 susmentionné dans un délai de trois mois à compter de sa décision, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;
Vu la directive n° 86/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 modifiée ;
Vu la directive n° 90/425/CEE du Conseil du 26 juin 1990 modifiée ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Delion, Maître des requêtes,
- les observations de Me Odent, avocat de la SOCIETE NATIONAL FARMERS' UNION,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de la NATIONAL FARMERS' UNION est dirigée contre les décisions implicites de rejet résultant du silence observé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et par le ministre de l'agriculture et de la pêche sur sa demande en date du 3 février 2000 tendant à l'abrogation des articles 2, 4 et 10 de l'arrêté du 28 octobre 1998 établissant des mesures particulières à certains produits d'origine bovine expédiés du Royaume-Uni ;
Considérant que l'article 9 de la directive n° 89/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 et l'article 10 de la directive n° 90/425/CEE du Conseil du 26 juin 1990 disposent en leur quatrième paragraphe qu'en cas d'apparition de zoonose sur le territoire d'un Etat membre, "la Commission procède au sein du comité vétérinaire permanent, dans les meilleurs délais, à un examen de la situation. Elle arrête, selon la procédure prévue à l'article 17, les mesures nécessaires pour les produits visés à l'article 1er et, si la situation l'exige, pour les produits d'origine ou les produits dérivés de ces produits. Elle suit l'évolution de la situation et, selon la même procédure, modifie ou abroge, en fonction de cette évolution, les décisions prises" ; que l'article 17 des mêmes directives prévoit que la Commission arrête les mesures envisagées lorsqu'elles sont conformes à l'avis du comité vétérinaire permanent ; que le quatrième paragraphe de cet article dispose : "Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l'avis du comité ou en l'absence d'avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre. Le Conseil statue à la majorité qualifiée. Si, à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été saisi, le Conseil n'a pas statué, les mesures proposées sont arrêtées par la Commission, sauf si le Conseil s'est prononcé à la majorité simple contre lesdites mesures" ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, le Conseil a adopté la décision n° 98/256/CE du 16 mars 1998 dont l'article 1er fait obligation au Royaume-Uni de ne pas exporter différents produits d'origine bovine ; que dans sa rédaction issue de la décision n° 98/692/CE de la Commission du 25 novembre 1998, prise sur le même fondement, l'article 6 de la décision n° 98/256/CE du 16 mars 1998 dispose que les produits bovins visés à cet article peuvent être à nouveau exportés par le Royaume-Uni "conformément aux conditions prévues au présent article, à l'article 7, aux articles 9 et 12 et à l'annexe II ou, le cas échéant, à l'annexe III" ; que, d'une part, le premier paragraphe de l'annexe III à cette décision prévoit que ne peuvent être exportés que les produits issus de bovins nés après le 1er août 1996 et éligibles au titre du régime britannique d'exportation fondé sur la date (DBES) ; que, d'autre part, le paragraphe 7 de l'annexe III dispose que "les viandes doivent être traçables jusqu'à l'animal ( ...), ou après la découpe, jusqu'aux animaux découpés appartenant au même lot, à l'aide d'un système officiel de traçabilité jusqu'au moment de l'abattage. Après l'abattage, les étiquettes doivent permettre de tracer les viandes fraîches et les produits visés à l'article 6, paragraphe 1, points b) et c), jusqu'à l'animal éligible pour permettre le rappel du lot concerné. En ce qui concerne les aliments pour carnivores domestiques, les documents et les rapports d'accompagnement doivent en permettre le traçage" ;
Considérant que par la décision n° 99/514/CE du 23 juillet 1999, la Commission a estimé que les conditions posées à la levée de l'embargo par la décision n° 98/692/CE précitée étaient "dûment remplies", et a fixé au 1er août 1999 la date à partir de laquelle pouvait avoir lieu l'exportation des produits visés à l'annexe III ;
Considérant, en premier lieu, que la SOCIETE NATIONAL FARMERS' UNION soutient que les décisions attaquées ont méconnu l'obligation d'information préalable de la commission prescrite par les articles 9 de la directive n° 89/662/CEE du 11 décembre 1989 et 10 de la directive n° 90/245/CEE du 26 juin 1990 ; qu'il résulte toutefois des dispositions de ces articles que cette obligation ne s'impose que pour les mesures de sauvegarde prises, en cas d'épizootie, par un Etat membre ; que les décisions litigieuses n'ont eu ni pour objet ni pour effet d'édicter de telles mesures mais consistaient seulement à refuser d'abroger l'arrêté susmentionné du 28 octobre 1998 ; que, par suite, la SOCIETE NATIONAL FARMERS' UNION n'est pas fondée à soutenir qu'elles seraient entachées d'un vice de procédure ;
Considérant, en deuxième lieu, que la SOCIETE NATIONAL FARMERS' UNION soutient que l'arrêté du 28 octobre 1998 du ministre de l'agriculture et de la pêche est lui-même entaché d'illégalité, en ce qu'il a méconnu les dispositions des directives susmentionnées, lesquelles n'autorisent les Etats membres à prendre des mesures conservatoires en cas de zoonoses que sur leur seul territoire ; que cependant, cet arrêté trouve son fondement dans la décision n° 98/256/CEE du 16 mars 1998 ; que cette dernière décision, qui enserre dans certaines limites l'exportation par le Royaume-Uni de produits d'origine bovine renvoie aux Etats membres, en son article 17, le soin de prendre les mesures nécessaires à son application ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté du 28 octobre 1998 aurait méconnu la décision n° 98/256/CE ; que, par suite, la SOCIETE NATIONAL FARMERS' UNION ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des directives précitées à l'appui de la contestation de cet arrêté;
Considérant, en troisième lieu, que la NATIONAL FARMERS' UNION soutient que les décisions attaquées méconnaissent les décisions n° 98/692/CE et n° 99/514/CE ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, dans un avis émis le 6 décembre 1999, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments a estimé qu'une levée de l'embargo comportait des risques plausibles liés à l'absence de certitude sur la distribution de l'infectiosité dans l'organisme au cours du temps chez les bovins et sur l'ensemble des modes de transmission de l'agent infectieux ; qu'il résulte du compte-rendu des séances des 23 et 24 novembre 1999 et du 6 décembre 1999 du comité vétérinaire permanent de l'Union européenne qu'à ces dates, plusieurs Etats membres de l'Union européenne ne souhaitaient pas se doter d'un système de marquage spécifique à la viande britannique reçue et destinée à être réexpédiée, après transformation, dans un autre Etat membre ;
Considérant que le ministre de l'agriculture et de la pêche soutient que les éléments qui viennent d'être mentionnés, dont il a eu connaissance postérieurement à l'expiration du délai de recours contre les décisions n° 98/692/CE et n° 99/514/CE de la Commission mais avant de prendre les décisions attaquées, révèlent que ces dernières ont méconnu le "principe de précaution" énoncé à l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne ; que le ministre invoque également la confirmation, portée à sa connaissance le 30 juin 2000, d'un premier cas d'ESB chez une vache britannique née après le 1er août 1996, laissant craindre une inefficacité du système de surveillance britannique dénommé DBES ;
Considérant que le ministre soutient enfin qu'il tirait des stipulations de l'article 30 (ex 36) du traité instituant la communauté européenne le pouvoir d'interdire les importations litigieuses, dès lors que n'était intervenue aucune harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique de protection de la santé et de la vie des personnes prévu par cet article ;
Considérant que la légalité des décisions attaquées est nécessairement subordonnée à la validité des décisions n° 98/692/CE et n° 99/514/CE de la Commission ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat de surseoir à statuer sur la requête et de demander à la Cour de justice des communautés européennes 1°) si, eu égard au caractère normatif des décisions susmentionnées et nonobstant l'expiration du délai de recours ouvert à leur encontre, un Etat membre peut utilement exciper de changements substantiels dans les circonstances de fait ou de droit, intervenus postérieurement à l'expiration des délais de recours contre ces décisions dès lors que ces changements sont de nature à en remettre en cause la validité ; 2°) dans l'hypothèse d'une réponse positive à la question précédente, et eu égard au caractère sérieux de la contestation soulevée par le ministre, de se prononcer sur la validité des décisions n° 98/962/CE et n° 99/514/CE ; 3°) si un Etat membre tire des stipulations de l'article 30 (ex. 36) du traité instituant la communauté européenne le pouvoir d'interdire des importations de produits agricoles et d'animaux vivants dès lors que les directives 89/662/CEE et 90/425/CEE ne peuvent être regardées comme réalisant l'harmonisation des mesures nécessaires à l'objectif spécifique de protection de la santé et de la vie des personnes prévu par cet article ;
Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de la SOCIETE NATIONAL FARMERS' UNION jusqu'à ce que la Cour de justice des communautés européennes se soit prononcée sur la question de savoir si : 1°° eu égard au caractère normatif des décisions n° 98/692/CE de la Commission du 25 novembre 1998 et n° 99/514/CE de la Commission du 23 juillet 1999 et nonobstant l'expiration du délai de recours ouvert à leur encontre, un Etat membre peut utilement exciper de changements substantiels dans les circonstances de fait ou de droit, intervenus postérieurement à l'expiration des délais de recours contre ces décisions, dès lors que ces changements sont de nature à en remettre en cause la validité ; 2°) à la date des décisions prises par les autorités françaises, les décisions susmentionnées de la Commission étaient valides au regard du principe de précaution énoncé à l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne. 3°) un Etat membre tire des stipulations de l'article 30 (ex. 36) du traité instituant la communauté européenne le pouvoir d'interdire des importations de produits agricoles et d'animaux vivants dès lors que les directives 89/662 CEE et 9090/425/CEE ne peuvent être regardées comme réalisant l'harmonisation des mesures nécessaires à l'objectif spécifique de protection de la santé et de la vie des personnes prévu à cet article.
Article 2 : Les questions mentionnées à l'article 1er sont renvoyées à la Cour de justice des communautés européennes en application de l'article 234 du traité CE.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE NATIONAL FARMER'S UNION, au président de la Cour de justice des communautés européennes, au ministre des affaires étrangères et au ministre de l'agriculture et de la pêche.