Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés le 10 juillet 2000 et le 10 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS dont le siège est ... (75750 Cedex 15) ; la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 9 mai 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur recours du ministre de la culture et de la communication, a, d'une part, annulé le jugement du 30 juin 1999 du tribunal administratif de Paris annulant l'arrêté du 9 novembre 1998 du préfet de la région Ile-de-France portant inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques du bâtiment A de l'immeuble dit "Tour Lopez" situé ... et, d'autre part, rejeté la demande présentée par la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS devant le tribunal administratif de Paris ;
2°) statuant au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de rejeter le recours du ministre de la culture et de la communication devant la cour administrative d'appel de Paris ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 31 décembre 1913 modifiée sur les monuments historiques ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mochon, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre de la culture et de la communication,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 9 novembre 1998, le préfet de la région Ile-de-France a inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1913, le bâtiment A de l'immeuble dit "Tour Lopez" situé ... ; que la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS, propriétaire de cet immeuble, se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris qui avait, à sa demande, annulé cet arrêté ;
Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1913 susvisée : "Les immeubles ou parties d'immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la conservation pourront à toute époque, être inscrits, par arrêté du préfet de région ( ...) sur un inventaire supplémentaire" ;
Considérant que, devant la cour administrative d'appel de Paris, la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS avait soutenu que l'immeuble en cause ne présentait pas un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour justifier une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques en raison des modifications apportées depuis sa construction aux éléments d'architecture qui en faisaient la valeur et de celles que son indispensable réhabilitation, à la supposer possible, imposaient d'effectuer ; que la cour administrative d'appel a omis de répondre à ce moyen qui n'était pas inopérant ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris doit être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que, pour décider l'inscription d'un immeuble à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, il appartient à l'autorité administrative d'en apprécier l'intérêt d'histoire et d'art compte tenu non seulement de son état à la date où elle statue, mais aussi, le cas échéant, de l'impact des réhabilitations qui s'avèrent indispensables pour assurer la conservation même de cet immeuble ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, si l'immeuble qui a fait l'objet de la mesure d'inscription litigieuse est original dans sa conception par le recours à une ossature entièrement métallique et par la recherche d'une transparence de l'édifice au moyen de façades en mur rideau suspendues au plafond du dernier étage, la pose de pare-soleil en aluminium sur les panneaux de résine polyester de la façade et la dégradation de ces panneaux ont profondément altéré l'aspect de la réalisation ; que les travaux nécessaires pour remédier à l'extrême vulnérabilité de l'immeuble aux risques d'incendie, en imposant notamment d'enrober l'ossature métallique dans un coffrage de plâtre, de modifier le dessin de la façade par la pose de châssis permettant l'intervention éventuelle des services de lutte contre l'incendie et de modifier la conception même du mur rideau pour empêcher la propagation d'un feu d'un étage à l'autre, auront pour effet d'altérer profondément, voire de faire disparaître, les éléments faisant l'originalité du bâtiment ; qu'il en résulte que l'ensemble des modifications qui ont été ou devront nécessairement être apportées à l'immeuble en cause est tel que celui-ci ne peut être regardé comme présentant un intérêt d'art et d'histoire suffisant pour justifier son inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la culture et de la communication n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 30 juin 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 9 novembre 1998 du préfet de la région Ile-de-France portant inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques du bâtiment A de l'immeuble dit "Tour Lopez" situé ... ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'Etat la somme que le ministre de la culture et de la communication demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'appliquer ces dispositions et de condamner l'Etat à payer à la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt en date du 9 mai 2000 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Le recours du ministre de la culture et de la communication devant la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la CAISSE DES ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du ministre de la culture et de la communication tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : la présente décision sera notifiée à la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE PARIS et au ministre de la culture et de la communication.