Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 12 août 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le PREFET DU RHONE ; le PREFET DU RHONE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 29 mars 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a, d'une part, annulé son arrêté du 4 février 2002 décidant la reconduite à la frontière de Mme Enkelada X... ainsi que la décision du même jour prescrivant son éloignement du territoire à destination de la région du Kossovo, d'autre part, condamné l'Etat à verser à l'intéressée la somme de 300 euros au titre des frais irrépétibles ;
2°) de rejeter la demande de Mme X... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme de Salins, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de Mme X...,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : " Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (.) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (.) " ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X..., de nationalité yougoslave et originaire du Kosovo, est entrée irrégulièrement en France en février 1998 ; qu'elle s'est maintenue sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 17 avril 2001, de la décision du PREFET DU RHONE en date du 11 avril 2001 lui refusant un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'elle était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant que si à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, Mme X... a fait valoir notamment qu'elle vivait depuis quatre ans en France avec son compagnon, avec lequel elle a eu deux enfants en 1999 et 2001, que son frère vivait aussi en France depuis 1998, il ressort des pièces du dossier que le compagnon de Mme X..., qui est lui aussi yougoslave originaire du Kosovo, a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour jusqu'au 4 juillet 2002, date de rejet de sa demande d'asile territorial et que l'intéressée n'établit pas être dépourvue d'attache au Kosovo ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière et à la brièveté du séjour en France de Mme X..., l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cet arrêté a été pris ; que, de plus, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date où l'arrêté a été pris, la santé de Mme X... nécessitait un traitement médical ne pouvant être assuré dans son pays d'origine ; que, c'est dès lors à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur le double motif d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation pour annuler l'arrêté de reconduite à la frontière pris à l'encontre de Mme X... et, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de destination ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme X... devant le tribunal administratif de Lyon ;
Sur l'arrêté de reconduite à la frontière :
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté :
Considérant que l'arrêté par lequel le PREFET DU RHONE a décidé la reconduite à la frontière de Mme X... comporte l'exposé des faits et des considérations de droit sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé ;
En ce qui concerne les exceptions d'illégalité :
Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952, le ministre de l'intérieur n'a pas à motiver sa décision de refus d'asile territorial ; que les litiges concernant les refus d'asile territorial n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, d'autre part, que Mme X... n'établit pas être exposée, en cas de retour au Kosovo, à des risques pour sa vie ou sa liberté ou à des traitements inhumains ou dégradants ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le rejet de sa demande d'asile territorial méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision du PREFET DU RHONE refusant de délivrer un titre de séjour à Mme X... n'a pas porté au droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise ; que le moyen tiré de ce que cette décision aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté ; que Mme X... ne se trouvant pas dans l'une des situations lui permettant de prétendre au bénéfice de plein droit d'un titre de séjour temporaire sur le fondement des dispositions de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, elle ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article 12 quater de la même ordonnance relative à la consultation de la commission du titre de séjour ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ce refus de titre de séjour serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que, par suite, Mme X... n'est pas fondée à soutenir que la décision du PREFET DU RHONE en date du 11 avril 2001 refusant de lui délivrer un titre de séjour est entachée d'illégalité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif du Lyon a annulé l'arrêté en date du 4 février 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X... ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
Considérant qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger qui a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou de reconduite à la frontière de s'assurer, sous le contrôle du juge, en application du deuxième alinéa de l'article 27 bis de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que la décision fixant le Kosovo comme lieu vers lequel Mme X... sera éloignée énonce les dispositions applicables et les éléments de fait qui justifient la mesure prise ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'une insuffisance de motivation doit, en tout état de cause, être écarté ;
Considérant qu'ainsi qu'il a déjà été dit, Mme X..., dont la demande d'admission au statut de réfugié a, d'ailleurs, été rejetée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 16 février 1999, confirmée par la commission des recours des réfugiés par une décision du 27 janvier 2000, n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité des risques que comporterait pour elle son retour dans son pays d'origine ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors, être accueilli ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a également annulé sa décision fixant le lieu de destination de Mme X... ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant que la présente décision qui rejette la demande présentée par Mme X... devant le tribunal administratif de Lyon n'appelle aucune mesure d'exécution ; que les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint au PREFET DU RHONE de lui délivrer un titre de séjour doivent, dès lors, être rejetées ;
Sur les conclusions de Mme X... tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à l'avocat de Mme X... la somme qu'il demande en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon en date du 29 mars 2002 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme X... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DU RHONE, à Mme Enkelada X... et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.