Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 septembre 2001 et 28 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Shelley X, demeurant ... ; Mme X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 10 juillet 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 18 novembre 1998 du tribunal administratif de Montpellier rejetant sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 8 juillet 1996 du directeur de l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès rejetant son recours gracieux contre la décision du 26 février 1996 refusant de faire droit à sa demande de rétablissement de sa charge d'enseignement et refusant sa titularisation en qualité de professeur d'anglais dans cette école, d'autre part, à la condamnation de ladite école à lui verser la somme de 77 159 F avec intérêts de droit au titre du préjudice subi ;
2°) de condamner l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès à lui verser la somme de 42 685,72 euros avec intérêts à compter de sa demande au titre du préjudice subi ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré présentée pour l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;
Vu le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Musitelli, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme X et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès,
- les conclusions de Mme Anne-Françoise Roul, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions d'excès de pouvoir :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si Mme X a demandé au tribunal administratif de Montpellier qu'il soit enjoint à l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès de prononcer sa titularisation, elle n'a présenté devant ce tribunal aucune conclusion tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision lui refusant cette titularisation ; que par suite, en jugeant que le tribunal administratif avait à bon droit rejeté ses conclusions à fin d'injonction, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ; que c'est également à bon droit que la cour a jugé que les conclusions d'excès de pouvoir qui lui étaient soumises étaient nouvelles en appel et par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions indemnitaires et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 : Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 du titre Ier du statut général, des agents contractuels peuvent être recrutés dans les cas suivants : 1° Lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l'Etat à l'étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient./ Les agents ainsi recrutés sont engagés par des contrats d'une durée maximale de trois ans qui ne peuvent être renouvelés que par reconduction expresse ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 de la même loi, dans sa rédaction alors applicable : Les fonctions qui, correspondant à un besoin permanent impliquent un service à temps incomplet sont assurées par des agents contractuels ; qu'aux termes de l'article 6 du décret du 17 janvier 1986 : Le contrat conclu en application de l'article 6, 1er alinéa, de la loi du 11 janvier 1984 susvisée pour occuper des fonctions correspondant à un besoin permanent, impliquant un service à temps incomplet, peut être conclu pour une durée indéterminée ;
Considérant que, pour rejeter les conclusions de Mme X tendant à ce qu'elle soit indemnisée, notamment, du préjudice qui aurait résulté de la sensible diminution de ses horaires de professeur d'anglais à l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé que les dispositions de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 ne permettaient pas à la requérante de se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée, dont la modification unilatérale par l'employeur pouvait seule lui ouvrir droit à indemnisation ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les fonctions de la requérante correspondaient à un besoin permanent et impliquaient un service à temps incomplet, fonctions qui auraient pu, en application des dispositions de l'article 6 du décret du 17 janvier 1986, être assurées dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 10 juillet 2001 en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 1998 en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires ;
Considérant qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond en ce qui concerne les conclusions indemnitaires ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme X a été, en vertu d'un contrat verbal, employée de 1984 à 1998 en qualité de professeur d'anglais par l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès pour un nombre annuel d'heures d'enseignement compris entre 200 et 670 heures ; que ces fonctions d'enseignement correspondaient à un besoin permanent et impliquaient un service à temps incomplet ; que dans ces conditions, et eu égard à la durée de l'emploi, le contrat verbal dont Mme X était titulaire doit être regardé, ainsi que le permet l'article 6 du décret du 17 janvier 1986, comme conclu pour une durée indéterminée ; qu'il en résulte que les décisions par lesquelles le directeur de l'école a refusé de reconnaître au contrat de Mme X le caractère d'un contrat à durée indéterminée sont illégales et constitutives d'une faute de nature à ouvrir droit à réparation ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que les décisions successives de réduire substantiellement, à partir de la rentrée de 1995, le nombre d'heures d'enseignement de Mme X ont été motivées non par l'intérêt ou les besoins du service, mais par le seul souci de l'école d'éviter qu'elle ne puisse être regardée comme l'employeur principal de l'intéressée au regard du droit applicable aux agents non titulaires de l'Etat et de ses établissements publics ; que ces décisions sont ainsi entachées d'une illégalité fautive dont la requérante est fondée à demander réparation ;
Considérant que, compte tenu, notamment, de la perte de rémunération subie par la requérante de septembre 1995 jusqu'à son départ de l'école en octobre 1998, il sera fait une juste appréciation du préjudice ayant résulté pour cette dernière, tant du refus de reconnaissance du caractère à durée indéterminée de son contrat que des réductions de ses horaires d'enseignement, en l'évaluant à 15 000 euros, augmentés des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 1996, date de sa demande au tribunal administratif ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès la somme de 3 000 euros que Mme X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme X, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès, au même titre ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 10 juillet 2001 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme X tendant à l'annulation du jugement du 18 novembre 1998 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires.
Article 2 : Le jugement du 18 novembre 1998 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il rejette les conclusions à fins d'indemnité de Mme X.
Article 3 : L'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès est condamnée à verser à Mme X la somme de 15 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 1996.
Article 4 : L'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès versera à Mme X la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Marseille et les conclusions de l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Shelley X, à l'école nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d'Alès et au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.