Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 janvier et 27 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE dont le siège est quai du général Sarrail, BP 12, à Nogent-sur-Seine (10400) ; la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 22 novembre 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 6 mai 1997 par lequel le tribunal administratif de Versailles, à la demande de M. Jacques X, a modifié l'annexe V relative à la prévention du bruit, de l'arrêté du 20 avril 1994 du préfet de l'Essonne, imposant à la Société des grands moulins de Corbeil, pour l'exploitation d'une minoterie, des prescriptions additionnelles au sens de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ;
2°) de mettre à la charge de M. X une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée ;
Vu le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Henrard, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE et de Me Ricard, avocat de M. X,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que par jugement du 6 mai 1997 le tribunal administratif de Versailles, à la demande de M. X, a modifié l'arrêté du 20 avril 1994 du préfet de l'Essonne imposant à la Société des grands moulins de Corbeil, aux droits de laquelle vient la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE, des prescriptions complémentaires au sens de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; que la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE demande l'annulation de l'arrêt du 22 novembre 2001, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ce jugement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant que, pour demander l'annulation de l'arrêt attaqué, la société requérante soulève le moyen tiré de ce que la Société des grands moulins de Corbeil avait été autorisée à exploiter une minoterie sur le site de Corbeil antérieurement à l'acquisition de sa résidence par M. X et que dès lors, en application du cinquième alinéa de l'article 14 de la loi du 19 juillet 1976 devenu l'article L. 514-6-III du code de l'environnement, l'intéressé n'était pas recevable à attaquer, devant le tribunal administratif de Versailles, l'arrêté du 20 avril 1994 du préfet de l'Essonne dont l'objet se limitait à compléter et à renforcer les prescriptions précédemment imposées à la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE ; qu'ainsi, la cour aurait commis une erreur de droit ;
Considérant qu'en vertu du cinquième alinéa de l'article 14 de la loi du 19 juillet 1976 Les tiers qui n'ont acquis ou pris à bail des immeubles ou n'ont élevé des constructions dans le voisinage d'une installation classée que postérieurement à l'affichage ou à la publication de l'arrêté autorisant l'ouverture de cette installation ou atténuant les prescriptions primitives ne sont pas recevables à déférer ledit arrêté à la juridiction administrative ; que si ces dispositions font obstacle à ce que les tiers mettent en cause la légalité des actes antérieurs à leur installation dans le voisinage qui déterminent les conditions de fonctionnement d'une installation classée, elles ne s'opposent pas, en revanche, à ce qu'ils contestent, s'ils y ont intérêt, les actes postérieurs à leur établissement et par lesquels l'autorité compétente modifie ou complète les prescriptions imposées à l'exploitant pour la protection de l'environnement ;
Considérant que M. X occupe à Corbeil-Essonne deux maisons contiguës situées sur la rive droite de la Seine, face au site d'exploitation de la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE situé sur la rive gauche ; que si ces biens ont été acquis en 1971 et 1977 soit postérieurement à l'autorisation, donnée à la Société des grands moulins de Corbeil par arrêté préfectoral du 8 août 1961, d'exploiter une minoterie, cette acquisition, est, en revanche, antérieure à l'arrêté du 4 septembre 1987 par lequel le préfet de l'Essonne, tout en autorisant une extension de l'activité, a imposé à l'entreprise des prescriptions relatives à la prévention du bruit reprises par l'arrêté préfectoral du 20 avril 1994 ; que l'article 14 de la loi du 19 juillet 1976 ne faisait pas obstacle à ce que M. X soit recevable à attaquer cet arrêté devant le tribunal administratif de Versailles ; qu'ainsi le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté ;
Sur la dénaturation des études acoustiques :
Considérant que la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE soutient que la cour a dénaturé le contenu des pièces du dossier qui lui était soumis en retenant l'existence, dans la zone d'implantation de son exploitation, d'un bruit résiduel de 42,5 décibels, dès lors qu'il ressort d'une étude versée au dossier le 2 novembre 2001 que le bruit résiduel de ce site, qui regroupe également plusieurs installations industrielles et des voies de circulation importantes, est très supérieur à ce chiffre ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que l'expertise ordonnée par jugement avant dire droit du 21 juin 1994 du tribunal administratif de Versailles fournissait au juge d'appel une base suffisante pour fonder sa décision sur ce point ; que M. X a fait en outre valoir, sans être contredit sur ce point, que les dernières mesures du bruit résiduel, réalisées sur le site en mars 2003, font apparaître un niveau de 42,2 décibels, encore inférieur à celui retenu par le juge d'appel ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis doit être écarté ;
Sur la conformité des études acoustiques aux prescriptions réglementaires :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge d'appel qu'en écartant, comme dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, le moyen soulevé par la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE, tiré de ce que les mesures réalisées à l'occasion de l'expertise prescrite par le tribunal n'auraient pas été conformes à la réglementation applicable aux bruits émis par les installations classées, la cour, compte tenu de la consistance des écritures de la société requérante devant elle, n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur la détermination du bruit ambiant à partir du bruit résiduel :
Considérant que l'arrêté du ministre de l'environnement du 23 janvier 1997, relatif à la limitation des bruits émis par les installations classées pour la protection de l'environnement, prévoit que les limites d'émergence varient selon que le niveau de bruit ambiant est supérieur ou inférieur à 45 décibels ; que l'expertise réalisée à la demande du tribunal administratif de Versailles constatait, dans le voisinage du site exploité par la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE, un niveau de bruit résiduel de 42,5 décibels, mesure sur laquelle la cour s'est fondée pour considérer que le fonctionnement de l'installation avait nécessairement pour effet de porter le bruit ambiant dans cette zone au-delà du seuil de 45 décibels ; que si la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE soutient qu'en déduisant ainsi, à partir du bruit résiduel, le niveau de bruit ambiant, la cour aurait entaché sa décision d'une erreur de droit dans l'application de l'arrêté ministériel, l'appréciation à laquelle la cour s'est ainsi livrée, qui ne contredit aucune disposition de cet arrêté, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;
Sur la décision de procéder ou non à une nouvelle expertise :
Considérant qu'en refusant d'ordonner la nouvelle expertise qui lui était demandée, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits et des pièces du dossier qui n'est pas susceptible d'être discutée utilement devant le juge de cassation ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE une somme de 3 000 euros, au titre des frais exposés par M. X et non compris dans les dépens ;
Considérant, d'autre part, que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE versera à M. X une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. X est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE FRANÇAISE DE MEUNERIE, à M. Jacques X et au ministre de l'écologie et du développement durable.