Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 août et 22 décembre 2003 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la NOUVELLE-CALEDONIE, représentée par le Président de son gouvernement, à ce habilité par délibération du 17 juillet 2003 ; la NOUVELLE-CALEDONIE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 14 mai 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur les requêtes de la SA Eagle Star Vie, a annulé le jugement du tribunal administratif de Nouméa en date du 3 juin 1999 rejetant sa demande en décharge de l'imposition forfaitaire annuelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1998 ainsi que les jugements du même tribunal administratif en date des 25 mai et 29 juin 2000 rejetant ses demandes en décharge de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, des centimes additionnels et de la contribution exceptionnelle de solidarité auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1995, et a accordé à la société la décharge des impositions litigieuses ;
2°) statuant au fond, de rejeter les requêtes de la SA Eagle Star Vie ;
3°) de mettre à la charge de cette société une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu la loi n° 83-676 du 26 juillet 1983, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 83-160 DC du 19 juillet 1983 ;
Vu le code des impôts de Nouvelle-Calédonie ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Loloum, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la NOUVELLE-CALEDONIE et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Eagle Star Vie,
- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort du dossier soumis aux juges du fond que la SA Eagle Star Vie a été assujettie en Nouvelle-Calédonie à l'impôt forfaitaire annuel au titre de l'année 1998 ainsi qu'à l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, les centimes additionnels et la contribution exceptionnelle de solidarité au titre de l'année 1995, les services fiscaux estimant que cette société y disposait d'un établissement stable à raison de l'agent spécial qu'elle y avait fait agréer ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé trois jugements du tribunal administratif de Nouméa, a accordé à la SA Eagle Star Vie la décharge des impositions litigieuses ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 5 de la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances en date des 31 mars et 5 mai 1983, approuvée par la loi du 26 juillet 1983 : 1. Au sens de la présente convention, l'expression établissement stable désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité… 5. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2, lorsqu'une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant auquel s'applique le paragraphe 6 ; agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans un territoire de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans ce territoire pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise… 6. Une entreprise n'est pas considérée comme ayant un établissement stable dans un territoire du seul fait qu'elle exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité… ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour avoir un établissement stable dans un territoire, une entreprise doit soit y disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit avoir recours à une personne non indépendante ayant le pouvoir d'y conclure des contrats au nom de l'entreprise ; que toutefois, dans ce dernier cas, l'établissement stable n'est constitué que si cette personne utilise effectivement, de façon non occasionnelle, le pouvoir qui lui est ainsi dévolu ;
Considérant, d'autre part, que l'article R. 322-4 du code des assurances dispose : Lorsqu'une entreprise pratique une ou plusieurs des branches ou sous branches (d'assurances) mentionnées à l'article R. 321-1 dans un département d'outre-mer ou dans l'un des territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française…, elle doit obtenir l'habilitation, par le préfet ou le chef du territoire, d'un agent spécial, personne physique, préposé à la direction de toutes les opérations qu'elle pratique dans ce département ou territoire… ;
Considérant qu'en jugeant que les pouvoirs d'engager la société qui sont conférés à un agent spécial en application de l'article précité R. 322-4 du code des assurances ne suffisaient pas à établir l'existence d'un établissement stable si l'intéressé ne faisait aucun usage de ces pouvoirs, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit dans l'interprétation du paragraphe 5 de l'article 5 de la convention précitée, selon lequel la personne agissant pour le compte de la société doit exercer habituellement les pouvoirs lui permettant de conclure des contrats au nom de celle-ci ;
Considérant qu'en ayant relevé d'abord que la SA Eagle Star Vie soutenait que l'agent spécial qu'elle avait désigné pour être agréé en Nouvelle-Calédonie n'avait pas d'autre activité en cette qualité d'agent spécial que de lui transmettre en métropole les courriers concernant des polices d'assurances et les sinistres et n'était pas rémunéré pour ce service, et ensuite que l'administration de Nouvelle-Calédonie ne démontrait pas que cet agent spécial aurait exercé les pouvoirs qui lui étaient théoriquement conférés d'engager la société, la cour a pu, sans méconnaître les règles de preuve applicables, déduire des faits ainsi souverainement appréciés par elle que la SA Eagle Star Vie ne disposait pas d'un établissement stable en Nouvelle-Calédonie ;
Considérant enfin, qu'en jugeant que la NOUVELLE-CALEDONIE ne pouvait utilement se prévaloir de ce que la société aurait, par la désignation d'un agent spécial, créé une situation apparente permettant à l'administration fiscale de procéder à l'assujettissement de la société, la cour n'a pas commis d'erreur de droit dès lors que cette désignation, exigée par la réglementation en matière d'assurances, ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions de l'article 5 de la convention, qui ont un caractère obligatoire en vertu de la loi du 26 juillet 1983 ;
Considérant qu'il suit de ce qui précède que la NOUVELLE-CALEDONIE n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SA Eagle Star Vie, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la NOUVELLE-CALEDONIE réclame au titre des dépenses exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de décider que la NOUVELLE-CALEDONIE versera à la SA Eagle Star Vie une somme de 3 000 euros en application du même article L. 761-1 ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête susvisée de la NOUVELLE-CALEDONIE est rejetée.
Article 2 : La NOUVELLE-CALEDONIE versera, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la SA Eagle Star Vie une somme de 3 000 euros.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la NOUVELLE-CALEDONIE et à la SA Eagle Star Vie.