Vu 1°), sous le n° 283892, la requête, enregistrée le 8 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil Cedex (93516) ; la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°), sous le n° 284472, la requête, enregistrée le 26 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, dont le siège est 4, boulevard de la Villette à Paris (75019) ; la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu 3°), sous le n° 284555, la requête, enregistrée le 29 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CONFEDERATION FRANCAISE DE L'ENCADREMENT C.G.C., dont le siège est 59/63, rue du Rocher à Paris (75008), et la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS, dont le siège est 2, rue Ordener à Paris (75018) ; la CONFEDERATION FRANCAISE DE L'ENCADREMENT C.G.C. (C.F.E.-C.G.C.) et la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS (C.F.T.C.) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu 4°), sous le n° 284718, la requête, enregistrée le 2 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE, dont le siège est 141, avenue du Maine à Paris Cedex 14 (75680) ; la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;
Vu la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail ;
Vu la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatifs aux licenciements collectifs ;
Vu la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi, notamment le 5° de son article 1er, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-521 DC du 25 juillet 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Veil, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, de la CONFEDERATION FRANCAISE DE L'ENCADREMENT C.G.C. et de la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS, et de Me Haas, avocat de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE,
- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, de la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, de la CONFEDERATION FRANCAISE DE L'ENCADREMENT C.G.C. et de la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS, et celle de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE tendent à l'annulation de la même ordonnance du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que le 5° de l'article 1er de la loi du 26 juillet 2005 a habilité le gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures visant à aménager les règles de décompte des effectifs utilisées pour la mise en oeuvre de dispositions relatives au droit du travail ou d'obligations financières imposées par d'autres législations, pour favoriser, à compter du 22 juin 2005, l'embauche par les entreprises de salariés âgés de moins de vingt-six ans ;
Considérant qu'il appartenait au gouvernement de faire usage de l'habilitation ainsi conférée par le législateur, dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux du droit qui s'imposent à toute autorité administrative ainsi que des engagements internationaux de la France produisant des effets directs dans l'ordre juridique interne ;
Considérant que l'article 1er de l'ordonnance attaquée, prise en vertu de cette habilitation, dispose que le salarié embauché à compter du 22 juin 2005 et âgé de moins de vingt-six ans n'est pas pris en compte, jusqu'à ce qu'il ait atteint cet âge, dans le calcul de l'effectif du personnel de l'entreprise dont il relève, quelle que soit la nature du contrat qui le lie à cette entreprise ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du champ de la loi d'habilitation :
Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions citées plus haut de la loi du 26 juillet 2005, éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé leur adoption, que le législateur n'a pas entendu limiter à certaines dispositions du code du travail la possibilité ainsi conférée au gouvernement de modifier les règles de décompte des effectifs, mais l'a au contraire habilité à aménager toutes celles de ces règles dont la modification lui paraîtrait de nature à atteindre l'objectif, fixé par la loi, de favoriser l'embauche par les entreprises de salariés âgés de moins de vingt-six ans ; que, d'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que, si larges soient-ils, les aménagements aux règles de décompte des effectifs auxquels a procédé l'ordonnance attaquée ne seraient pas en rapport avec cet objectif d'intérêt général ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par l'ordonnance attaquée du champ de l'habilitation ne peut être accueilli ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail :
Considérant qu'aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ; que les dispositions attaquées de l'article 1er de l'ordonnance du 2 août 2005 ne procèdent qu'à un aménagement des règles de décompte des effectifs utilisées pour la mise en oeuvre de dispositions relatives au droit du travail, sans modifier le contenu de ces dispositions et sans priver d'effectivité la portée de celles qui mettent en oeuvre le principe énoncé au huitième alinéa du préambule ; que, par suite, les confédérations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'ordonnance attaquée a été prise en méconnaissance de ce principe ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité :
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article 1er de la loi du 26 juillet 2005 que la possibilité d'exclure du décompte des effectifs les salariés âgés de moins de vingt-six ans résulte, dans son principe, de la loi, le législateur ayant laissé à l'appréciation du gouvernement, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, le choix des mesures propres à satisfaire l'intérêt général qui s'attache à l'accroissement du recrutement par les entreprises de tels salariés ; que, pour les motifs précédemment exposés, les aménagements auxquels a procédé l'ordonnance attaquée sont en rapport avec cet objectif d'intérêt général et ne sont pas manifestement disproportionnés ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance par cette ordonnance du principe d'égalité doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 :
Considérant que les dispositions du paragraphe 2 de l'article 9 de la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 prévoient que les Etats membres définissent, compte tenu de la nature des activités et de la taille des entreprises, les obligations auxquelles doivent satisfaire les différentes catégories d'entreprises, en ce qui concerne l'établissement des évaluations portant sur les risques pour la sécurité et la santé au travail, de la définition des mesures de protection à prendre, de la liste des accidents du travail, et des rapports concernant ces accidents du travail ; que les dispositions du titre III du livre II du code du travail relatives à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail garantissent le respect de ces obligations, en prenant en compte la taille de l'établissement, la nature de son activité, le caractère des risques qui y sont constatés ainsi que le type des emplois occupés par les salariés concernés ; que, si l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises introduit par l'ordonnance du 2 août 2005 peut affecter la portée de celles des dispositions du code du travail qui prennent en compte la taille de l'entreprise quant à la nature ou à l'étendue de ses obligations en la matière, cet aménagement n'est pas incompatible avec les objectifs de la directive 89/391/CEE, laquelle, ainsi qu'il a été dit, laisse aux Etats membres la faculté de faire varier ces obligations en fonction de la taille de l'entreprise et n'impose aucun mode de calcul de cette taille ; que, par suite, le moyen tiré de la contrariété de cette ordonnance avec les dispositions de cette directive ne peut être accueilli ;
Sur les moyens tirés de ce que l'aménagement des règles de décompte des effectifs conduirait à méconnaître les objectifs des directives 98/59/CE du 20 juillet 1998 et 2002/14/CE du 11 mars 2002 :
Considérant que la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, qui définit comme travailleur toute personne protégée à ce titre par la législation nationale sur l'emploi, prescrit aux Etats membres d'organiser l'information et la consultation des travailleurs dans les établissements qui en emploient au moins vingt ou les entreprises qui en emploient au moins cinquante ; que, selon la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998, cette information et cette consultation doivent prendre la forme de procédures portant sur les possibilités d'éviter ou de réduire le nombre des licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d'en atténuer les conséquences par des mesures sociales d'accompagnement dans tous les cas où au moins dix travailleurs ont été licenciés pendant une période de trente jours, dans les entreprises employant habituellement plus de vingt et moins de cent travailleurs ; que la directive 2002/14/CE précise que les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés ;
Considérant que les dispositions de l'ordonnance attaquée n'ont pas directement pour effet d'exclure l'application des dispositions du code du travail qui mettent en oeuvre les objectifs de ces directives, c'est-à-dire, d'une part, celles de l'article L. 421-1 prévoyant l'élection de délégués du personnel dès lors qu'un effectif d'au moins onze salariés est atteint dans l'établissement pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes et, d'autre part, celles de l'article L. 321-2 selon lesquelles les employeurs qui envisagent de procéder à un licenciement pour motif économique sont tenus de réunir et de consulter le comité d'entreprise ou les délégués du personnel lorsque le nombre de licenciements envisagés est au moins égal à dix dans une même période de trente jours ;
Considérant toutefois que, dans le cas d'établissements comportant plus de vingt travailleurs, mais parmi lesquels moins de onze sont âgés de vingt-six ans ou plus, l'application des dispositions contestées de l'ordonnance du 2 août 2005 peut avoir pour conséquence, ainsi que le relèvent les confédérations requérantes, de dispenser l'employeur de l'obligation d'assurer l'élection des délégués du personnel, et, partant, de faire obstacle au respect de l'obligation de consultation édictée par l'article L. 321-2 du code du travail ; que, dans ces conditions, la réponse aux moyens dont le Conseil d'Etat est saisi à l'encontre de l'ordonnance attaquée dépend de la question de savoir : 1° si, compte tenu de l'objet de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, qui est, aux termes du 1 de son article 1er, d'établir un cadre général fixant des exigences minimales pour le droit à l'information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises ou les établissements situés dans la Communauté, le renvoi aux Etats membres du soin de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés que cette directive énonce doit être interprété comme permettant à ces Etats de procéder à la prise en compte différée de certaines catégories de travailleurs pour l'application de ces seuils ; 2° dans quelle mesure la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 peut-elle être interprétée comme autorisant un dispositif ayant pour effet que certains établissements occupant habituellement plus de vingt travailleurs se trouvent dispensés, fût-ce temporairement, de l'obligation de créer une structure de représentation des travailleurs en raison de règles de décompte des effectifs excluant la prise en compte de certaines catégories de salariés pour l'application des dispositions organisant cette représentation ;
Considérant que ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'elles posent une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice des Communautés européennes en application de l'article 234 du traité CE et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les requêtes de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, de la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, de la CONFEDERATION FRANCAISE DE L'ENCADREMENT C.G.C. et de la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS, ainsi que de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE ;
Considérant, enfin, qu'eu égard au caractère limité dans le temps du dispositif litigieux qui doit cesser de produire effet au 31 décembre 2007, ces questions appellent une réponse exceptionnellement urgente ; qu'il y a lieu de demander à la Cour de justice des Communautés européennes de faire usage de la procédure prévue à l'article 104 bis de son règlement de procédure ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il est sursis à statuer sur les requêtes susvisées jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur les questions suivantes :
1° Compte tenu de l'objet de la directive 2002/14/CE du
11 mars 2002, qui est, aux termes du 1 de son article 1er, d'établir un cadre général fixant des exigences minimales pour le droit à l'information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises ou les établissements situés dans la Communauté, le renvoi aux Etats membres du soin de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés que cette directive énonce, doit-il être regardé comme permettant à ces Etats de procéder à la prise en compte différée de certaines catégories de travailleurs pour l'application de ces seuils '
2° Dans quelle mesure la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 peut-elle être interprétée comme autorisant un dispositif ayant pour effet que certains établissements occupant habituellement plus de vingt travailleurs se trouvent dispensés, fût-ce temporairement, de l'obligation de créer une structure de représentation des travailleurs en raison de règles de décompte des effectifs excluant la prise en compte de certaines catégories de salariés pour l'application des dispositions organisant cette représentation '
Article 2 : Il est demandé à la Cour de justice des Communautés européennes que ces questions, dont la réponse, eu égard au caractère limité dans le temps du dispositif litigieux qui doit cesser de produire effet au 31 décembre 2007, présente un caractère exceptionnellement urgent, soient examinées conformément à la procédure prévue à l'article 104 bis de son règlement de procédure.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, à la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, à la CONFEDERATION FRANCAISE DE L'ENCADREMENT C.G.C., à la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS, et à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE, au Premier ministre, au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et au ministre des affaires étrangères, ainsi qu'au président de la Cour de justice des Communautés européennes.