Vu la requête, enregistrée le 22 décembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Gaston , M. Edouard B, M. Bruno C, Mme Armelle D, Mme Teura E et Mme Romance F agissant en leur qualité de représentants à l'assemblée de Polynésie française et demeurant, BP 28 à Papeete (98713) ; M. et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) de déclarer la « loi du pays » n° 2005-14-LP/APF du 8 décembre 2005 portant modification du code des impôts de la Polynésie française non conforme au bloc de légalité tel qu'il est défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
2°) de déclarer que ladite « loi du pays » ne peut être promulguée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 74 ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat du président de la Polynésie française,
- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;
Considérant, d'une part, qu'en vertu du huitième alinéa de l'article 74 de la Constitution, la loi organique peut déterminer, pour les collectivités d'outre ;mer qui sont dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles « le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégorie d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi » ; qu'aux termes de l'article 139 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : « L'assemblée de la Polynésie française adopte des actes prévus à l'article 140 dénommés « lois du pays » et des délibérations » ; que l'article 140 de cette même loi organique dispose que les actes de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés « lois du pays », sur lesquels le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique, sont ceux qui, relevant du domaine de la loi, soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française, soit sont pris au titre de la participation de la Polynésie française aux compétences de l'Etat et interviennent dans les matières qu'il énumère et au nombre desquelles figurent l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 176 de la même loi organique : « I. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé « loi du pays » ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat./ Ils disposent à cet effet d'un délai de quinze jours. (…)/ II. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé « loi du pays » ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, l'acte prévu à l'article 140 dénommé « loi du pays » est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat./ Le recours des personnes physiques ou morales est recevable si elles justifient d'un intérêt à agir (…) » ; qu'il est spécifié au premier alinéa du III du même article 176 que « Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés « lois du pays » au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. » ; que le dernier alinéa de l'article 176 énonce que les « lois du pays » ne peuvent plus être contestées par voie d'action devant aucune autre juridiction ; qu'enfin, l'article 177 de cette même loi organique ajoute que « Le Conseil d'Etat se prononce dans les trois mois de sa saisine. (…)/ Si le Conseil d'Etat constate qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé « loi du pays » contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, ou aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, et inséparable de l'ensemble de l'acte, celle-ci ne peut être promulguée./ Si le Conseil d'Etat décide qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé « loi du pays » contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques ou aux engagements internationaux, ou aux principes généraux du droit, sans constater en même temps que cette disposition est inséparable de l'acte, seule cette dernière disposition ne peut être promulguée./ Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, le président de la Polynésie française peut, dans les dix jours qui suivent la publication de la décision du Conseil d'Etat au Journal officiel de la Polynésie française, soumettre la disposition concernée à une nouvelle lecture de l'assemblée de la Polynésie française, afin d'en assurer la conformité aux normes mentionnées au deuxième alinéa » ;
Considérant que, sur le fondement de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004 précité, l'assemblée de la Polynésie française a adopté, le 8 décembre 2005, une « loi du pays » modifiant le code des impôts de la Polynésie française afin de porter de 1,5 % à 5% le taux de la contribution de solidarité territoriale sur le revenu des capitaux mobiliers ; que, dans le cadre du contrôle juridictionnel spécifique défini au chapitre II du titre VI de cette même loi organique, M. et cinq autres représentants à l'assemblée de la Polynésie française ont saisi le Conseil d'Etat d'une requête tendant à ce que cet acte soit déclaré illégal ;
Sur l'intervention de M. :
Considérant que l'article 176 de la loi organique a institué deux voies de recours distinctes pour la contestation des « lois du pays », l'une réservée aux autorités et personnes mentionnées au I de l'article 176, l'autre ouverte aux personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt pour agir ; que la première de ces voies obéit à des règles particulières de procédure ; que, notamment, la requête est communiquée, avec les moyens de droit et de fait qu'elle comporte, aux autres autorités titulaires du droit de saisine, qui disposent d'un délai de dix jours pour présenter leurs observations ; que ces règles particulières excluent la possibilité, pour une personne physique ou morale, d'intervenir à l'instance dans le cadre d'un recours formé par les autorités ou personnes mentionnées au I précité ; que dès lors, l'intervention de M. dans la présente instance n'est pas recevable ;
Sur la recevabilité des conclusions en défense présentées par le président de la Polynésie française :
Considérant que les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ont qualité pour représenter les parties devant le Conseil d'Etat et signer en leur nom les requêtes et les mémoires sans avoir à justifier d'un mandat ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par les requérants doit être écartée ;
Sur la « loi du pays » du 8 décembre 2005 :
Considérant, en premier lieu, que le II de l'article 151 de la loi organique du 27 février 2004 prévoit que le conseil économique, social et culturel de la Polynésie française « est consulté sur les projets et propositions d'actes prévus à l'article 140 dénommés « lois du pays » à caractère économique ou social » ; que la « loi du pays » contestée a pour unique objet de modifier le taux de la contribution de solidarité territoriale assise sur le revenu des capitaux mobiliers ; qu'ainsi, elle ne revêt pas un « caractère économique » au sens de l'article 151 précité ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le projet de « loi du pays » aurait dû être soumis à l'avis du conseil économique, social et culturel de la Polynésie française préalablement à son examen par l'assemblée de la Polynésie française doit être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que le deuxième alinéa de l'article 141 de la loi organique du 27 février 2004 dispose que « les projets d'actes prévus à l'article 140 dénommés « lois du pays » sont soumis, pour avis, au haut conseil de la Polynésie française avant leur adoption par le conseil des ministres » ; que, si ces dispositions imposent que le haut conseil soit saisi de l'ensemble des questions posées par un projet de loi avant son adoption par le conseil des ministres, elles ne font pas obstacle à ce que des amendements, y compris d'origine gouvernementale, soient déposés en cours de discussion devant l'assemblée dès lors que ces amendements ne sont pas dépourvus de tout lien avec le texte soumis à celle-ci ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le haut conseil de la Polynésie française a été consulté sur le projet de « loi du pays » avant son adoption par le conseil des ministres et a pu débattre de l'ensemble des questions soulevées par ce texte ; qu'en cours de discussion devant l'assemblée, il n'a pas été apporté à ce projet d'amendements dépourvus de tout lien avec le texte ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la définition de l'assiette des revenus dont la « loi du pays » attaquée majore le taux d'imposition, soit entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le président de la Polynésie française, que la requête de M. et autres doit être rejetée ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention de M. n'est pas admise.
Article 2 : La requête de M. et autres est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française, au Journal officiel de la Polynésie française, et sera notifiée à Monsieur Gaston , à Monsieur Edouard B, à Monsieur Bruno C, à Madame Armelle D, à Madame Teura E, à Madame Romance F au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française, à M. René-Georges et au ministre de l'outre-mer.