Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juin et 22 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Bruno A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 20 avril 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 mai 2002 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 mai 1997 du ministre du travail et des affaires sociales accordant à la société Hôtel George V l'autorisation de le licencier ;
2°) statuant comme juge d'appel, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 15 mai 2002 et la décision du ministre du travail et des affaires sociales du 13 mai 1997 autorisant son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Hôtel George V la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, Auditeur,
- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. A et de la SCP Gatineau, avocat de la société Hôtel George V,
- les conclusions de M. Rémi Keller, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail et des affaires sociales autorisant son licenciement, M. A a expressément invoqué devant la cour administrative d'appel de Paris, le moyen tiré de ce que ce licenciement ne serait pas sans lien avec les mandats représentatifs qu'il détenait en qualité de salarié protégé ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour a entaché son arrêt d'irrégularité ; que M. A est donc fondé à en demander l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de juger l'affaire au fond, en application de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête d'appel de M. A ;
Considérant qu'en vertu des articles L. 436 ;1 et L. 514 ;2 du code du travail, alors en vigueur, les membres du comité d'entreprise et les conseillers prud'hommes bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont celui ;ci est investi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, du 1er janvier au 2 juin 1996, M. A, salarié protégé de la société Hôtel George V alors en arrêt de maladie, a doublement perçu les indemnités journalières de la sécurité sociale, non seulement de la part de son employeur, comme ce dernier s'y était engagé par un accord garantissant le maintien des salaires par subrogation de l'entreprise dans les droits de ses salariés à l'égard de l'assurance maladie, mais aussi directement de la part la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise ; que, pour autoriser la société à licencier M. A, le ministre du travail et des affaires sociales s'est fondé sur ce que ce dernier, en percevant pendant six mois des indemnités indues sans prendre l'initiative de prévenir l'une ou l'autre des personnes payant ces indemnités, avait fait preuve d'un manque de loyauté à l'égard de son employeur ;
Mais considérant qu'il ressort également des pièces du dossier que le trop ;perçu versé à M. A du 1er janvier au 2 juin 1996 résulte à l'origine de deux erreurs, l'une, commise par la caisse primaire en remboursant directement l'intéressé, l'autre, imputable à l'employeur, qui s'est abstenu de réclamer à la caisse primaire les sommes qui lui étaient dues en application de l'accord de subrogation ; que M. A a, par courrier du 28 mars 1996, interrogé la caisse primaire sur le bien-fondé des sommes qu'elle lui versait ; qu'il a procédé au remboursement du trop ;perçu à la suite de son entretien préalable, en juillet 1996 ; que, dans ces conditions, les faits reprochés à M. A, qui ont principalement pour origine une cause qui lui est étrangère et n'ont causé aucun préjudice à la société Hôtel George V, ne peuvent être regardés comme un manque de loyauté à l'égard de cette dernière, et, par suite, ne sont pas constitutifs d'un manquement de l'intéressé à ses obligations contractuelles d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ; que, dès lors, le ministre du travail et des affaires sociales ne pouvait légalement autoriser le licenciement de M. A ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail et des affaires sociales du 13 mai 1997 autorisant son licenciement ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Hôtel George V au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Hôtel George V une somme de 2 000 euros chacun demandée au même titre par M. A en cassation et en appel ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 20 avril 2005 de la cour administrative d'appel de Paris, le jugement du 15 mai 2002 du tribunal administratif de Paris et la décision du ministre du travail et des affaires sociales du 13 mai 1997 sont annulés.
Article 2 : L'Etat et la société Hôtel George V verseront chacun 2 000 euros à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société Hôtel George V tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Bruno A, à la société Hôtel George V et au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.