Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Conseil d'Etat les 22 juillet et 21 novembre 2005, présentés pour M. Pierre A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 31 décembre 2001 par lequel le tribunal administratif de Chalons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit déchargé de l'obligation de payer la somme de 1 474 248,74 F en recouvrement de laquelle le trésorier de la deuxième division de Reims a diligenté des poursuites à son encontre sous la forme d'un commandement de payer notifié le 18 avril 2000 ;
2°) statuant au fond, de le décharger de l'obligation de payer la somme susmentionnée de 1 474 248,74 F ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Emmanuelle Cortot, Auditeur,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile Force est redevable à la caisse du trésorier de Reims - deuxième division, de cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 1986 et 1987, qui ont été mises en recouvrement le 31 août 1991 pour un montant total de 1 798 744 F ; que le 24 septembre 1991, pour avoir paiement de cette somme, le trésorier de Reims - deuxième division a émis deux avis à tiers détenteur à l'adresse, d'une part, de la Caisse régionale de Crédit agricole de Toulouse et Midi, et d'autre part, de la banque Crédit du Nord ; qu'un troisième avis à tiers détenteur a été émis le 28 octobre 1991 à l'adresse de la société bordelaise de crédit industriel et commercial ; que la banque Crédit du Nord a effectué, le 12 décembre 1991, un versement de 17 842,85 F en exécution de l'avis à tiers détenteur qui lui avait été notifié ; que par un arrêt rendu le 18 octobre 1995, qui n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation, la cour d'appel de Reims a condamné M. A, gérant de la société civile Force, sur le fondement de l'article 1741 du code général des impôts, à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et de 50 000 F d'amende ; que l'arrêt de la cour d'appel a également condamné M. A, sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, au paiement solidaire des impositions dues par la société civile Force ; que le trésorier de Reims - deuxième division a alors émis à l'encontre de M. A, au cours de l'année 1996, deux commandements de payer, l'un notifié le 29 février et l'autre le 30 mai, ainsi que trois avis à tiers détenteur, les deux premiers en date du 29 février et le troisième en date du 18 mars ; qu'un troisième commandement de payer a été notifié à M. A le 5 mai 1998 ; qu'enfin, un quatrième commandement de payer a été notifié à M. A le 18 avril 2000, mentionnant la somme de 1 474 248,74 F, contre lequel l'intéressé a formé opposition le 3 mai 2000 ; que l'opposition ainsi formée a été rejetée par une décision du trésorier-payeur général de la Marne en date du 23 juin 2000 ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Chalons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme de 1 474 248,74 F mentionnée sur le commandement de payer notifié le 18 avril 2000 ;
Sur la régularité de la procédure de recouvrement :
Considérant qu'en vertu de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, relèvent du juge de l'exécution les contestations relatives au recouvrement qui portent sur la régularité en la forme de l'acte de poursuites, et du juge de l'impôt celles qui portent sur l'existence de l'obligation de payer, le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et l'exigibilité de la somme réclamée ; que l'article L. 255 du livre des procédures fiscales, relatif aux impôts recouvrés par les comptables du Trésor, dispose : Lorsque l'impôt n'a pas été payé à la date limite de paiement et à défaut d'une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement avec constitution de garanties dans les conditions prévues par l'article L. 277, le comptable du Trésor chargé du recouvrement doit envoyer au contribuable une lettre de rappel avant la notification du premier acte de poursuites devant donner lieu à des frais ; qu'en jugeant qu'une contestation relative à l'absence de la lettre de rappel qui, selon les dispositions précitées, doit précéder le premier acte de poursuites devant donner lieu à des frais, se rattache à la régularité en la forme de cet acte et que, par suite, il n'appartient pas au juge administratif d'en connaître, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur la prescription de l'action en recouvrement :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : Les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle, perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa, par lequel se prescrit l'action en vue du recouvrement, est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous autres actes interruptifs de la prescription ; qu'aux termes de l'article L. 275 du même livre : La notification d'un avis de mise en recouvrement interrompt la prescription courant contre l'administration et y substitue la prescription quadriennale. / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa est interrompu dans les conditions indiquées à l'article L. 274 ;
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l'administration fiscale, dès lors qu'elle avait connaissance de ce que le siège de la société civile Force n'était plus situé à sa dernière adresse connue, aurait été tenue d'en rechercher la nouvelle adresse et d'y notifier les avis à tiers détenteur émis à l'encontre de cette société, est nouveau en cassation ; qu'il suit de là que ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, est irrecevable et ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A n'a pas contesté devant la cour l'affirmation de l'administration fiscale selon laquelle les avis à tiers détenteur en date des 24 septembre et 28 octobre 1991 avaient été régulièrement notifiés à la dernière adresse connue de la société civile Force ; que dans ces conditions, la cour a pu, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, estimer que l'administration établissait que les avis à tiers détenteur en cause avaient été régulièrement notifiés au contribuable ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en déduisant de ce que les deux avis à tiers détenteur en date du 24 septembre 1991 avaient été régulièrement notifiés à la société civile Force que le versement effectué, le 12 décembre 1991, par la banque Crédit du Nord avait interrompu la prescription de l'action en recouvrement des impositions mises à la charge de cette société, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 1745 du code général des impôts : Tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes ; que la décision juridictionnelle déclarant, sur le fondement de ces dispositions, qu'une personne par ailleurs condamnée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 du code général des impôts est tenue au paiement solidaire de l'impôt fraudé interrompt la prescription de l'action en recouvrement dudit impôt ; qu'en revanche, les actes de la procédure judiciaire intervenus avant que la solidarité ne soit établie par une décision juridictionnelle, qui ne visent que la personne poursuivie sur le fondement des articles 1741, 1742 ou 1743 du code général des impôts, ne peuvent en aucun cas avoir un effet interruptif sur la prescription des impositions dues par le redevable légal ; qu'ainsi, il appartient au comptable public chargé du recouvrement de l'impôt fraudé de diligenter à l'égard du redevable légal, pendant la durée de la procédure judiciaire, les actes de poursuite propres à interrompre la prescription de l'action en recouvrement dudit impôt ; que dans ces conditions, en jugeant que l'arrêt du 18 octobre 1995 par lequel la cour d'appel de Reims a condamné M. A au paiement solidaire des impositions dues par la société civile Force avait interrompu la prescription de l'action en recouvrement desdites impositions, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant, en cinquième lieu, que la cour, après avoir relevé qu'un commandement de payer avait été régulièrement notifié à M. A le 5 mai 1998, a pu, sans commettre d'erreur de droit, en déduire que le délai de la prescription quadriennale prévue par l'article L. 274 du livre des procédures fiscales n'était pas expiré lorsque, le 18 avril 2000, le trésorier de Reims - deuxième division a notifié à M. A le commandement de payer mentionnant la somme de 1 474 248,74 F ;
Considérant, en sixième et dernier lieu, qu'en s'abstenant de répondre à l'argument, avancé par l'administration en défense, selon lequel le procès-verbal de recherches dressé par huissier le 25 octobre 1995, et notifié le 26 octobre 1995 à la dernière adresse connue de la société civile Force, aurait valablement interrompu la prescription de l'action en recouvrement des impositions mises à la charge de cette société, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre A et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.