Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 août et 29 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, dont le siège est 145 boulevard Baille à Marseille (13005), représentée par son président en exercice ; l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 4 juillet 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du 27 mars 2001 du tribunal administratif de Marseille rejetant les conclusions de M. Eric A et Mme Carole B et a condamné l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à verser à Mlle A la somme de 540 000 euros, à M. A la somme de 20 000 euros et à Mme B la somme de 20 000 euros, sommes assorties des intérêts légaux eux-mêmes capitalisés ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme A et de Mme B ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Vernier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Le Prado, avocat de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE et de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. Eric A et de Mme Carole B,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE et à la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. Eric A et de Mme Carole B ;
Considérant que l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Marseille l'a déclarée entièrement responsable des conséquences de l'anoxie cérébrale dont a été atteinte Samantha A le 6 novembre 1994 alors qu'elle était hospitalisée dans cet établissement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Samantha A, qui était alors âgée de 2 mois et pesait moins de quatre kilos, a été conduite au service des urgences de l'hôpital La Timone à Marseille, le 6 novembre 1994 à 20 heures, par ses parents, alertés vers 18 heures par son état anormal ; qu'elle a été examinée, à son arrivée par un médecin, qui a jugé que son état était normal au vu d'un examen clinique et d'une échographie cérébrale ; que l'enfant, admise en unité de pédiatrie, a présenté pendant la nuit des troubles digestifs accompagnés de vomissements ; qu'à 7 h30, retrouvée geignant, pâle et le teint grisâtre elle a été perfusée, mise sous oxygène et a reçu une antibiothérapie ; qu'à 9 h 30, elle a été transférée dans le service des soins intensifs, où il été constaté qu'elle avait perdu 8 % de son poids et qu'elle était atteinte de convulsions ; que les examens pratiqués ont permis de diagnostiquer une défaillance polyviscérale, une souffrance cérébrale et des signes d'anoxo-ischémie ;
Considérant que la cour administrative d'appel, en se fondant en particulier sur le rapport d'expertise qu'elle a décidé de confier à un collège de trois experts à la suite de deux expertises ordonnées par le tribunal administratif dont les conclusions étaient incertaines, a pu, sans entacher son arrêt d'une insuffisance de motivation ou de dénaturation, écarter l'hypothèse défendue par l'établissement hospitalier d'une mort subite manquée antérieure à l'admission et dont les effets auraient été masqués par une période de latence de 12 heures, en relevant que l'enfant n'avait présenté aucun signe de détresse vitale neurologique ou cardiorespiratoire avant son admission, qu'aucune manoeuvre de ressuscitation n'avait été effectuée par les parents et que l'examen clinique aux urgences n'avait pas été jugé pathologique ; qu'en prenant appui sur les conclusions du collège d'experts selon lesquelles la prescription d'examens biologiques lors de l'admission, un contrôle continu des paramètres hémodynamiques, une perfusion veineuse, auraient permis de dépister et corriger, dès leur apparition, les troubles de l'hydratation consécutifs aux troubles gastriques et d'éviter l'anoxie cérébrale survenue dans la nuit du 6 au 7 novembre à la suite du choc hypovolémique provoqué par la déshydratation brutale du nourrisson, et en en déduisant que les conditions dans lesquelles celui-ci avait été surveillé et soigné étaient fautives, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce ;
Considérant toutefois que la cour, après avoir jugé que cette faute avait compromis les chances réelles et sérieuses de rétablissement de l'enfant s'il avait fait l'objet d'une thérapie appropriée, a condamné l'hôpital à réparer intégralement le préjudice consécutif à l'anoxie, alors que dans le cas où la faute commise lors du traitement d'un patient a compromis ses chances d'éviter l'aggravation de son état, le préjudice résultant directement de la faute et qui doit être intégralement réparé doit être évalué à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que si cette règle de réparation résulte d'une jurisprudence postérieure à l'arrêt attaqué, il appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance, sauf si cette application a pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours ; que, par suite et contrairement à ce qui est soutenu en défense, la circonstance que ladite règle, qui n'affecte pas le droit au respect d'un bien au sens de l'article 1er du protocole n°1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, soit postérieure à l'arrêt de la cour, ne saurait faire obstacle à son application au litige dont le Conseil d'Etat est saisi, dès lors qu'il n'en résulte aucune atteinte au droit au recours des intéressés ; qu'il y a lieu, par suite, de prononcer l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à la réparation intégrale du préjudice subi par Samantha A ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 -1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE une somme de 2 500 euros que demandent M A et Mme B au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 4 juillet 2006 est annulé en tant qu'il a condamné l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à la réparation intégrale du préjudice consécutif à l'anoxie dont a été victime Samantha A alors qu'elle était hospitalisée dans cet établissement.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Le surplus du pourvoi de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de M. A et de Mme B présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, à M. Eric A, à Mme Carole B, à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la ministre de la santé et des sports.
Copie pour information en sera adressée au président de la cour administrative d'appel de Marseille.