Vu 1°), sous le n° 305313, le pourvoi du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE enregistré le 7 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 21 mars 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris, à la demande de M Mohamed A, 1°) après avoir décidé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant la demande de l'intéressé tendant à la révision de sa pension militaire de retraite, en tant qu'elles portent sur la période postérieure au 4 novembre 1988, a annulé ladite décision en tant qu'elle porte sur la période antérieure au 4 novembre 1988, 2°) a enjoint au ministre de l'économie et des finances de procéder à la revalorisation de la pension de M. A pour la période du 3 juillet 1962 au 4 novembre 1998 et au versement des arrérages de cette pension pour cette période, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification du présent jugement, 3°) a décidé que le rappel d'arrérages de la pension de M. A correspondant tant à la période visée de l'article 2 qu'à la période ultérieure portera intérêt au taux légal à compter du 4 novembre 2000 jusqu'au paiement du principal dans les conditions fixées par les motifs du présent jugement, les intérêts échus au 30 janvier 2002 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date jusqu'au paiement du principal ;
Vu 2°), sous le n° 305967, le pourvoi du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 25 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DÉFENSE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 21 mars 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris, à la demande de M. A, 1°) après avoir décidé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant la demande de l'intéressé tendant à la révision de sa pension militaire de retraite, en tant qu'elles portent sur la période postérieure au 4 novembre 1988, a annulé ladite décision en tant qu'elle porte sur la période antérieure au 4 novembre 1988, 2°) a enjoint au ministre de l'économie et des finances de procéder à la revalorisation de la pension de M. A pour la période du 3 juillet 1962 au 4 novembre 1998 et au versement des arrérages de cette pension pour cette période, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification du présent jugement, 3°) a décidé que le rappel d'arrérages de la pension de M. A correspondant tant à la période visée de l'article 2 qu'à la période ultérieure portera intérêt au taux légal à compter du 4 novembre 2000 jusqu'au paiement du principal dans les conditions fixées par les motifs du présent jugement, les intérêts échus au 30 janvier 2002 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date jusqu'au paiement du principal ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Paris ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code civil ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 48-1450 du 20 septembre 1948 ;
Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;
Vu la loi n° 62-873 du 31 juillet 1962 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi de finances rectificative pour 1981 (n° 81-734 du 3 août 1981) ;
Vu la loi de finances rectificative pour 2002 (n° 2002-1576 du 30 décembre 2002), notamment son article 68 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Combes, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Monod-Colin, avocat de M. A,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod-Colin, avocat de M. A ;
Considérant que les pourvois du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et du MINISTRE DE LA DEFENSE sont dirigés contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ET LE MINISTRE DE LA DEFENSE se pourvoient en cassation contre le jugement du 21 mars 2007 du tribunal administratif de Paris, en tant que, par ce jugement, le tribunal, qui a relevé que, par arrêté du 14 mars 2005, il avait été fait droit à la demande de révision de pension de M. A à compter du 14 novembre 1998, a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande du 4 novembre 2000 tendant à la revalorisation de sa pension militaire de retraite à compter du 3 juillet 1962 et au versement des rappels d'arrérages correspondants, a enjoint au ministre de procéder à la revalorisation de la pension de M. A pour la période du 3 juillet 1962 au 4 novembre 1998 et au versement des arrérages de cette pension pour cette période et a décidé que ce rappel d'arrérages ainsi que celui relatif à la période ultérieure porteraient intérêt au taux légal à compter du 4 novembre 2004 et que ces intérêts seraient capitalisés ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois ;
Considérant qu'aux termes de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 : (...) I. - Les prestations servies en application des articles (...) 71 de la loi de finances pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959) (...) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants / IV. Sous les réserves mentionnées au deuxième alinéa du présent IV et sans préjudice des prescriptions prévues aux articles L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, L. 74 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi n° 48-1450 du 20 septembre 1948 portant réforme du régime des pensions civiles et militaires et ouverture de crédits pour la mise en application de cette réforme, et L. 53 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 64-1339 du 26 décembre 1964 portant réforme du code des pensions civiles et militaires de retraite (partie Législative), les dispositions des II et III sont applicables à compter du 1er janvier 1999./ Ce dispositif spécifique s'applique sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des contentieux contestant le caractère discriminatoire des textes visés au I, présentés devant les tribunaux avant le 1er novembre 2002 (...) ;
Considérant que ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que les règles de prescription mentionnées au premier alinéa du IV s'appliquent aux contentieux présentés devant les tribunaux avant le 1er novembre 2002 ; qu'il suit de là qu'en jugeant que ces dispositions excluaient l'application de celles de l'article L. 74 du code des pensions civiles et militaires de retraite aux contentieux contestant le caractère discriminatoire des textes visés au I, présentés devant les tribunaux avant le 1er novembre 2002, le tribunal administratif de Paris a entaché son jugement d'une erreur de droit ; que les ministres requérants sont, dès lors, fondés à demander l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué en tant qu'il annule la décision du Premier ministre refusant à M. A la révision de sa pension au titre de la période du 3 juillet 1962 au 4 novembre 1998 ainsi que les articles 2 et 3 du même jugement ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler dans cette mesure l'affaire au fond ;
Sur l'applicabilité de l'article L. 74 du code des pensions civiles et militaires de retraite :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 74 du code des pensions civiles et militaires de retraite issu de la loi du 20 septembre 1948, dans sa rédaction résultant de la loi n° 62-873 du 31 juillet 1962, en vigueur à la date de demande de pension de M. A : Sauf l'hypothèse où la production tardive de la demande de liquidation ne serait pas imputable au fait personnel du pensionné, il ne pourra y avoir lieu, en aucun cas, au rappel de plus de deux années d'arrérages antérieurs à la date du dépôt de la demande de pension ; que les demandes tendant à la revalorisation des arrérages d'une pension cristallisée s'analysent comme des demandes de liquidation de pension au sens de ces dispositions ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a demandé pour la première fois le 14 novembre 1975, puis à trois reprises en 1977, 1992 et 1995 la revalorisation de sa pension de retraite ; qu'ainsi, la date à partir de laquelle M. A avait droit aux compléments d'arrérages de sa pension militaire de retraite est celle du 14 novembre 1973 ; que, dès lors, M. A est seulement fondé à demander l'annulation de la décision implicite rejetant la demande de révision de sa pension de retraite en tant qu'elle porte sur la période postérieure au 14 novembre 1973 ;
Sur la compatibilité du IV de l'article 68 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 avec l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, les stipulations de l'article 15 des accords d'Evian et avec les dispositions des articles 55, 64 et 34 de la Constitution :
Considérant qu'aux termes des stipulations du § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes duquel : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi et qui décidera (...) des contestations sur des droits et obligations de caractère civil (...) ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; qu'aux termes de l'article 15 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l'Algérie, incorporée dans les accords d'Evian et rendue applicable par la loi du 13 avril 1962 : sont garantis les droits à pension de retraite et d'invalidité acquis à la date de l'autodétermination auprès d'organismes français ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les dispositions du IV de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 susmentionnée n'ont pas été appliquées à M. A ; que, par suite, les moyens tirés de l'incompatibilité du IV de l'article 68 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 avec l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, avec les stipulations de l'article 15 des accords d'Evian et avec les dispositions des articles 55, 64 et 34 de la Constitution sont inopérants ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que le contentieux des pensions est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans les conditions précises qu'il lui appartient de lui fixer ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE de verser, dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, les arrérages correspondant à la revalorisation de la pension de M. A pour la période du 14 novembre 1973 au 4 novembre 1998 ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant, d'une part, que M. A a demandé le versement des intérêts sur les rappels d'arrérages de la pension qui lui ont été illégalement refusés pour la période postérieure au 14 novembre 1973 ; qu'il y a lieu de faire droit à ces conclusions, à compter du 4 novembre 2000, date de réception de sa demande de révision de sa pension, et pour les arrérages postérieurs à cette date au fur et à mesure de leurs échéances successives ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. A a demandé la capitalisation des intérêts dans sa demande du 4 novembre 2000 ; qu'à cette date, une année ne s'était pas écoulée depuis sa demande d'intérêts ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à cette demande au 4 novembre 2001, date à laquelle les intérêts sur les arrérages antérieurs au 4 novembre 2000 étaient dus pour une année entière, et à chaque échéance annuelle pour les intérêts dus sur les arrérages postérieurs à cette même date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que M. A a obtenu l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Monod-Colin, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCP Monod-Colin de la somme de 4 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : Sont annulés l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris du 21 mars 2007 en tant qu'il annule la décision implicite refusant à M. A la révision de sa pension militaire de retraite pour la période antérieure au 4 novembre 1998, ainsi que les articles 2 et 3 du même jugement.
Article 2 : La décision implicite rejetant la demande de révision de la pension de retraite présentée par M. A est annulée en tant qu'elle porte sur la période postérieure au 14 novembre 1973.
Article 3 : Il est enjoint au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT de verser à M. A, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, les arrérages correspondant à la revalorisation de sa pension de retraite pour la période du 14 novembre 1973 au 4 novembre 1998.
Article 4 : L'Etat versera à M. A les intérêts ainsi que les intérêts capitalisés sur les rappels d'arrérages pour la période postérieure au 4 novembre 2000 selon les modalités précisées dans les motifs de la présente décision et, pour les arrérages postérieurs, au fur et à mesure, de la date de leur échéance.
Article 5 : L'Etat versera à la SCP Monod-Colin, avocat de M. A, la somme de 4 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Paris est rejetée en tant qu'elle porte sur la période comprise entre le 3 juillet 1962 et le 14 novembre 1973.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT, au MINISTRE DE LA DEFENSE et à M. Mohamed A.