Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 5 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ROCHE, dont le siège est 52, boulevard du Parc à Neuilly-sur-Seine cedex (92521), représentée par son président en exercice ; la SOCIETE ROCHE demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'avis du 19 mars 2008 de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé défavorable à l'inscription sur la liste des spécialités remboursables d'une extension d'indication, relative au cancer du pancréas métastatique, pour la spécialité Tarceva , d'autre part, la décision du 28 mai 2008 du ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative refusant de procéder à cette inscription ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE ROCHE et de la SCP Roger, Sevaux, avocat de la Haute autorité de santé,
- les conclusions de M. Luc Derepas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE ROCHE et à la SCP Roger, Sevaux, avocat de la Haute autorité de santé ;
Considérant que la SOCIETE ROCHE a sollicité l'inscription, sur la liste des médicaments remboursables prévue à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, d'une extension d'indication de la spécialité Tarceva , pour le traitement du cancer du pancréas métastatique en association avec de la gemcitabine ; que la commission prévue à l'article R. 163-15 du code de la sécurité sociale, dite commission de la transparence, a rendu le 19 décembre 2007 un premier avis défavorable à cette inscription au motif que le service médical rendu, au sens de l'article R. 163-3 du même code, était insuffisant ; qu'après avoir entendu les observations présentées par la SOCIETE ROCHE, la commission a rendu un nouvel avis défavorable, le 19 mars 2008, pour le même motif ; que le 28 mai 2008, le ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, a refusé de procéder à cette inscription ; que la société demande l'annulation de l'avis du 19 mars 2008 de la commission de la transparence et de la décision ministérielle du 28 mai 2008 ;
Sur les conclusions dirigées contre l'avis de la commission de la transparence :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale : La Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, est chargée de : /1° Procéder à l'évaluation périodique du service attendu des produits, actes ou prestations de santé et du service qu'ils rendent, et contribuer par ses avis à l'élaboration des décisions relatives à l'inscription, au remboursement et à la prise en charge par l'assurance maladie des produits, actes ou prestations de santé ainsi qu'aux conditions particulières de prise en charge des soins dispensés aux personnes atteintes d'affections de longue durée (...) ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 161-41, L. 165-1 et R. 163-15 du même code, la commission mentionnée à ce dernier article est une commission spécialisée de la Haute autorité de santé ; que, selon l'article R. 163-4 de ce code, l'inscription et le renouvellement de l'inscription des médicaments sur la liste de ceux qui sont pris en charge ou remboursés par les caisses d'assurance maladie sont prononcés après avis de cette commission ; qu'en vertu de l'article L. 5123-3 du code de la santé publique, la liste des médicaments agréés pour l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation par les collectivités publiques est proposée par cette même commission ;
Considérant que les avis rendus ou les propositions faites en application de ces dispositions par la commission de la transparence, dont la nature de commission spécialisée de la Haute autorité de santé créée par la loi du 13 août 2004 n'a pas modifié l'étendue des attributions, sont des éléments de la procédure d'élaboration des décisions d'inscription d'une spécialité pharmaceutique sur les listes qu'elles prévoient ; que les autorités compétentes pour procéder à ces inscriptions ne sont pas liées dans leurs décisions par les positions prises par cette commission et que, lorsque ces décisions adoptent une position identique à celle de la commission, le bien-fondé de cette position peut être discuté à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir contre les décisions ainsi prises par l'autorité compétente ; que, par suite, ces avis ne constituent pas par eux-mêmes des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre et la Haute autorité de santé sont fondés à soutenir que les conclusions de la requérante dirigées contre l'avis du 19 mars 2008 ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du 28 mai 2008 :
En ce qui concerne la légalité externe :
Considérant que le moyen tiré de ce que le quorum exigé par l'article R. 163-16 du code de la sécurité sociale n'aurait pas été atteint lors de la séance du 19 mars 2008 au cours de laquelle la commission de la transparence a rendu son avis manque en fait ; que les membres d'un organisme consultatif siègent valablement, alors même que leur nomination n'a pas été publiée ; que, par suite, la circonstance que la décision du 12 mars 2008 procédant à la nomination de nouveaux membres de la commission de la transparence n'a été publiée qu'après le 19 mars 2008 n'entache pas d'irrégularité la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision contestée ; qu'enfin, le renouvellement partiel de la composition de la commission entre le 19 décembre 2007, date à laquelle a été rendu le premier avis, et le 19 mars 2008, n'a pas eu pour effet de faire obstacle au respect des dispositions de l'article R. 163-16 du code de la sécurité sociale selon lesquelles l'entreprise peut, dans les huit jours suivant la réception d'un premier avis, demander à être entendue par la commission ou présenter ses observations écrites, avant qu'un avis définitif ne soit rendu par celle-ci ;
En ce qui concerne la légalité interne :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale : Les médicaments spécialisés... ne peuvent être pris en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'ils sont dispensés en officine, que s'ils figurent sur une liste établie dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. La liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement des médicaments (...) ; que l'article R. 163-3 du même code dispose : Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste (...) ;
Considérant que l'avis de la commission, dont le ministre doit être regardé comme s'étant approprié les motifs, a relevé, d'une part, qu'une autre spécialité, dont le principe actif est la gemcitabine, avait la même visée thérapeutique que la spécialité Tarceva , d'autre part, qu'il n'existait pas de médicament comparable à cette dernière, reposant sur l'association entre les deux principes actifs erlotinib et gemcitabine ; que la décision attaquée n'est dès lors entachée d'aucune contradiction de motifs ou erreur de fait ; qu'elle se fonde sur l'étude produite par la société requérante à l'appui de sa demande et ne prend en compte que les seuls résultats relatifs aux patients relevant de l'indication métastatique, qui faisait l'objet de cette demande ; qu'en tant qu'elle prend en compte, pour apprécier l'efficacité du médicament, le critère de la médiane de survie globale des patients, lequel était d'ailleurs mis en exergue par la société requérante elle-même, elle n'est pas entachée d'erreur de droit au regard des dispositions précitées de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale ; qu'il ressort de l'étude produite par la SOCIETE ROCHE que la spécialité Tarceva , dont le principe actif est l'erlotinib, permettrait, en étant associée à la gemcitabine, principe actif déjà utilisé, un gain de 26 jours de la médiane de survie globale des patients atteints d'un cancer métastatique du pancréas ; qu'elle comporterait toutefois, pour au moins la moitié des patients, des effets indésirables sous la forme de diarrhées, d'éruptions cutanées ou d'élévation des transaminases, ces effets indésirables étant plus fréquents que dans l'hypothèse où seule est administrée la gemcitabine et nécessitant, dans plus de 10 % des cas, un arrêt du traitement ; que, dans ces conditions, au regard de ces éléments ainsi que de l'intérêt de la santé publique, le ministre n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que le service médical rendu par la spécialité Tarceva était insuffisant pour justifier l'inscription de celle-ci sur la liste des spécialités remboursables ; qu'enfin, la décision attaquée a été prise en application des dispositions législatives et réglementaires mentionnées ci-dessus, qui subordonnent le remboursement d'une spécialité à son inscription sur une liste, en fonction du service médical rendu ; que le moyen tiré de la méconnaissance, par la décision attaquée, du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant à tous la protection de la santé, est ainsi, en tout état de cause, inopérant ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE ROCHE n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 28 mai 2008 du ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge le versement à la Haute autorité de santé de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SOCIETE ROCHE est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE ROCHE versera à la Haute autorité de santé la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ROCHE, à la Haute autorité de santé et à la ministre de la santé et des sports.