Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 novembre 2008 et 15 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Daniel B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 24 juillet 2008 par laquelle le président de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 24 juin 2008 de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins de Champagne-Ardenne, rejetant sa plainte formée à l'encontre de Mme Marie-Odile A ;
2°) de mettre à la charge de Mme A et de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, notamment son article 44 ;
Vu le décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 ;
Vu le décret n° 2007-434 du 25 mars 2007, notamment son article 9 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Eoche-Duval, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. B, de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat du conseil départemental de l'ordre des médecins des Ardennes et de la SCP Richard, avocat de Mme A,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boulloche, avocat de M. B, à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat du conseil départemental de l'ordre des médecins des Ardennes et à la SCP Richard, avocat de Mme A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le conseil départemental de l'ordre des médecins des Ardennes a transmis le 29 juin 2007 une plainte de M. B à l'encontre de Mme A au conseil régional de l'ordre des médecins de Champagne-Ardenne ; que sa plainte a été rejetée par une décision de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins de Champagne-Ardenne statuant le 24 juin 2008, dont il a interjeté appel ; que par l'ordonnance du 24 juillet 2008, frappée de pourvoi, le président de la chambre disciplinaire nationale a rejeté pour irrecevabilité sa requête au motif qu'à la date d'enregistrement de la plainte, la chambre disciplinaire n'était pas mise en place ;
Sur les moyens relatifs à l'entrée en vigueur de la création des chambres disciplinaires de l'ordre des médecins :
Considérant, d'une part, que l'article 18 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a institué au sein de l'ordre des médecins des chambres disciplinaires de première instance, distinctes du conseil régional ; que de même a été créée par cet article une chambre disciplinaire nationale auprès du conseil national de l'ordre des médecins ; que ce même article a conféré à l'auteur de la plainte la qualité de partie devant les juridictions disciplinaires de l'ordre et a introduit dans le code de la santé publique un article L. 4122-3 lui ouvrant le droit de faire appel ; qu'aux termes des premier, troisième et quatrième alinéas de l'article 44 de la même loi, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 août 2005 ratifiée par la loi du 30 janvier 2007 : Les dispositions des articles 18 et 42, à l'exception du VI de l'article 42, entreront en vigueur dès la proclamation des résultats des élections des conseils régionaux et interrégionaux et des chambres disciplinaires dans les conditions prévues au troisième alinéa (...). / La proclamation des résultats des élections aux conseils régionaux ou interrégionaux puis aux chambres disciplinaires est faite par le conseil national de l'ordre. / Le plaignant ne devient partie que dans les requêtes introduites après la mise en place des chambres disciplinaires de première instance. Le plaignant ne peut faire appel que dans les affaires dans lesquelles il était partie en première instance (...) ;
Considérant, d'autre part, que le décret du 25 mars 2007 relatif au fonctionnement et à la procédure disciplinaire notamment des conseils de l'ordre des médecins a précisé par son article 3 les conditions de la voie d'appel, insérées aux articles R. 4126-44 et R. 4126-45 du code de la santé publique ; qu'aux termes de son article 9 : En tant qu'elles concernent les ordres des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes, les dispositions de l'article 3 du présent décret entrent en vigueur à la date d'installation des chambres disciplinaires de première instance et à la date d'installation de la chambre disciplinaire nationale pour ce qui concerne la procédure d'appel (...) ;
Considérant que, conformément au troisième alinéa de l'article 44 de la loi du 4 mars 2002, le conseil national de l'ordre des médecins a proclamé le 29 mai 2007 les résultats des élections des conseils régionaux ou interrégionaux et des chambres disciplinaires, qui s'étaient déroulées les 1er février et 15 mai 2007, et que par arrêté du vice-président du Conseil d'Etat du 14 juin 2007, publié au Journal officiel de la République française le 30 juin 2007, ont été nommés les présidents des chambres disciplinaires, notamment le président de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins de Champagne-Ardenne ; qu'il résulte des dispositions précitées du quatrième alinéa de l'article 44 de la loi du 4 mars 2002, que mettent en oeuvre les dispositions de l'article 9 du décret précité du 25 mars 2007, que le droit pour les praticiens déposant une plainte devant les chambres disciplinaires de première instance de faire appel, énoncé par l'article 18 de la loi du 4 mars 2002, est applicable aux affaires engagées postérieurement à la mise en place des chambres disciplinaires, résultant de la proclamation des résultats des élections par le conseil national de l'ordre des médecins et de la publication de la nomination des présidents des chambres disciplinaires, soit au plus tôt le 30 juin 2007 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la plainte de M. B a été enregistrée par le greffe de la chambre disciplinaire de première instance de Champagne-Ardenne le 29 juin 2007, soit antérieurement à la mise en place de la chambre disciplinaire ; que, dès lors, M. B n'avait pas qualité pour faire appel devant la chambre disciplinaire nationale de la décision prise sur sa plainte par la chambre disciplinaire de première instance le 24 juin 2008 ; qu'ainsi M. B n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance, qui est suffisamment motivée, du président de la chambre disciplinaire nationale, en estimant que son appel devait être rejeté pour irrecevabilité parce que les chambres disciplinaires de première instance n'étaient pas mises en place à la date de sa plainte initiale, repose sur une inexacte interprétation des dispositions législatives précitées, une dénaturation des pièces du dossier et une erreur de droit ;
Sur les autres moyens du pourvoi :
Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 22 du décret du 26 octobre 1948 relatif notamment au fonctionnement des conseils de l'ordre des médecins et de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins, la section disciplinaire du conseil national est saisie des appels des décisions des conseils régionaux en matière disciplinaire ; qu'il est spécifié que l'appel est formé soit par le ministre chargé de la santé publique, le préfet, le procureur de la République, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales, le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, le conseil départemental de l'ordre ou le syndicat qui a porté plainte devant le conseil régional, soit par le praticien intéressé ; qu'au sens de ces dispositions alors applicables, le praticien intéressé doit s'entendre du praticien contre lequel une plainte a été déposée auprès du conseil régional, et non du médecin qui a formé une plainte contre un confrère en application des prescriptions de l'article L. 417 du code de la santé publique alors en vigueur ;
Considérant, en deuxième lieu, que si, selon tant les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 que les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à un recours effectif qui découle de ces dispositions, celles-ci n'ouvrent pas au médecin auteur d'une plainte le droit de faire appel de la décision rendue par le conseil régional ; qu'au demeurant, il appartient à l'intéressé, qui invoque l'atteinte à sa réputation par son confrère contre lequel il avait formé plainte, s'il s'y croit fondé, d'introduire devant les juridictions de l'ordre judiciaire une action tendant à la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait des agissements de ce dernier ; qu'il suit de là que M. B n'est pas fondé à prétendre que les dispositions de l'article 22 du décret du 26 octobre 1948, en ne mentionnant pas l'auteur d'une plainte parmi les personnes habilitées à faire appel, méconnaîtrait son droit à recours effectif ;
Considérant, en troisième lieu, que si les textes régissant la procédure disciplinaire devant d'autres ordres professionnels, notamment ceux des vétérinaires, autorisent un membre de l'ordre à interjeter appel de la décision de la juridiction de première instance statuant sur la plainte qu'il a formée contre un confrère, les médecins ne sont pas placés dans une situation identique à celle des personnes qui appartiennent à ces ordres ; qu'ainsi, les dispositions de l'article 22 du décret du 26 octobre 1948 ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M B n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. B la somme de 3 000 euros que demande Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à l'application de ces dispositions au profit de M. B qui est, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B est rejeté.
Article 2 : M. B versera à Mme A la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Daniel B, à Mme Marie-Odile A et au conseil départemental de l'ordre des médecins de Champagne Ardenne.
Copie en sera adressée pour information au conseil national de l'ordre des médecins.