Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 juillet et 27 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG, dont le siège est Communauté Urbaine de Cherbourg 10, place Napoléon à Cherbourg-Octeville (50108), représentée par son président-directeur général ; la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08NT01334 du 20 avril 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle a interjeté du jugement du 25 mars 2008 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé diverses subventions et compensations financières qu'elle a perçues au cours de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 octobre 2005 Commission c/ République française (C- 243/03) et Commission c/ Royaume d'Espagne (C- 204/03) ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG,
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG, anciennement dénommée Compagnie des transports de Cherbourg, qui exploite le réseau de transport public de voyageurs de la Communauté urbaine de Cherbourg aux termes d'une convention de gestion conclue le 29 novembre 2000, utilise à cette fin des biens mis à sa disposition par la collectivité délégante moyennant le paiement d'une redevance d'usage ; que cette société a reçu de la Communauté urbaine de Cherbourg une subvention destinée à compenser la redevance d'usage qu'elle devait acquitter ainsi qu'une subvention destinée à équilibrer son exploitation ; qu'afin de conserver l'intégralité de ses droits à déduction de taxe sur la valeur ajoutée, la société a, en application de la doctrine administrative, soumis à la taxe les subventions qu'elle a reçues de la communauté urbaine ; que par une réclamation du 30 décembre 2005, elle a sollicité la restitution de la taxe ainsi collectée ; que l'administration fiscale, qui a fait droit à cette demande au titre de la période postérieure au 1er janvier 2003, a opposé une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la réclamation pour la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la période courant du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 ; que la société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 avril 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle a interjeté du jugement du 25 mars 2008 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté, pour tardiveté, sa demande tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les subventions qu'elle a perçues au cours de la période courant du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l'article 28 de l'ordonnance n° 2004-281 du 25 mars 2004, applicable à la procédure d'imposition en litige : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure./ Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas :/ c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation " ;
Considérant que seules les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne retenant une interprétation du droit de l'Union qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d'une règle applicable en France sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement, au sens et pour l'application de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, et de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre ; qu'en principe, tel n'est pas le cas d'arrêts de la Cour de justice concernant la législation d'un autre Etat membre, sous réserve, notamment, de l'hypothèse dans laquelle une telle décision révélerait, par l'interprétation qu'elle donne d'une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français ;
Considérant que, par deux arrêts du 6 octobre 2005 Commission c/ République française et Commission c/ Royaume d'Espagne, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que des dérogations au droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée n'étaient permises que dans les cas expressément prévus par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
Considérant, d'autre part, que le 1° de l'article 216 ter de l'annexe II au code général des impôts applicable au cours des périodes d'imposition en litige, subordonnait le transfert, du propriétaire à l'exploitant, du droit de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux biens utilisés dans le cadre de l'exploitation, à la répercussion du coût des équipements dans les recettes imposables de l'exploitant ; que l'instruction 3 D 1-85 du 21 janvier 1985 (§31 à 35), reprise à la documentation administrative de base 3 D 1723 (§31 à 35) à jour au 2 novembre 1996, précisait que cette répercussion pouvait s'effectuer par la mise à la charge de l'exploitant d'une redevance d'usage qui pouvait être, le cas échéant, compensée par le versement d'une subvention, sous réserve de l'inclusion de celle-ci dans les recettes taxables ; que, par ailleurs, l'instruction 3 CA-94 du 8 septembre 1994 (§152 et 153) prévoyait l'application de la règle du prorata de déduction prévue à l'article 212 de l'annexe II au même code en vigueur jusqu'au 1er janvier 2008, non seulement aux entreprises qui ne réalisaient pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction mais également aux entreprises dont la totalité du chiffre d'affaires était soumise à la taxe sur la valeur ajoutée et qui, par ailleurs, percevaient des subventions placées hors du champ d'application de cette taxe ; que, selon cette doctrine, ces subventions devaient être incluses au dénominateur du prorata, ce qui limitait le droit de déduction de ces entreprises ; que toutefois, il était admis que, s'agissant des subventions versées par une collectivité territoriale à un de ses établissements publics, il était possible, aux fins d'éviter la limitation des droits de déduction, d'opter pour l'assujettissement de ces subventions à la taxe ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'afin de permettre le transfert des droits à déduction, dans le respect de la condition posée par le 1° de l'article 216 ter de l'annexe II au code général des impôts alors applicable, la Compagnie des transports de Cherbourg a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les subventions dont elle a bénéficié aux fins de compenser les redevances d'usage qu'elle a versées pour l'exploitation des biens délégués, conformément à la doctrine administrative ci-dessus mentionnée ; que, de même, afin de pas dégrader ses droits à déduction, elle a soumis à la taxe la contribution d'équilibre versée par la Communauté urbaine, usant ainsi de la faculté offerte par la doctrine administrative ;
Considérant qu'en jugeant que les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes ci-dessus mentionnés qui condamnent, à titre général, tout mécanisme, direct ou indirect, de limitation des droits à déduction non prévus par la sixième directive, ne pouvaient être regardées comme des décisions juridictionnelles de nature à révéler la non-conformité des dispositifs français litigieux de taxation volontaire des subventions appliqués par la Compagnie des transports de Cherbourg aux fins de préserver l'intégralité de ses droits à déduction, à une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et comme constituant un événement nouveau au sens du c de l'article R. 196-1 du même livre, alors que de telles dérogations au droit à déduction n'étaient pas permises par la directive, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit ; que par suite, la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Sur la recevabilité de la demande en restitution par voie de réclamation :
Considérant que le ministre soutient, sans être contredit, que les soldes nets de taxe sur la valeur ajoutée versés au Trésor public par la Compagnie des transports de Cherbourg au titre des années 2001 et 2002 s'élèvent respectivement à 58 484 euros et 51 894 euros ; que ces montants étant inférieurs au montant de taxe dont elle demande la restitution, sa demande est irrecevable à hauteur respectivement de 128 970 euros et 182 751 euros ;
Sur la demande de restitution limitée à 58 484 euros au titre de 2001 et 51 894 euros au titre de 2002 :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 octobre 2005 qui constituent un événement au sens du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, autorisaient la société requérante, en application des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 190 du même livre, à demander, par sa réclamation présentée le 30 décembre 2005, la restitution des sommes indûment versées au Trésor public sur le fondement des dispositions de l'instruction 3 D 1-85 du 21 janvier 1985 (§ 31 à 35), reprises à la documentation administrative de base 3 D 1723 (§ 31 à 35) à jour au 2 novembre 1996, et de l'instruction 3 D 1-85 (§ 20, 21 et 25), reprises dans l'instruction 3 CA-94 du 8 septembre 1994 (§153) ; que dès lors, la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par jugement du 25 mars 2008, le tribunal administratif de Caen n'a pas accordé à la Compagnie des transports de Cherbourg la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée indûment payée au titre des années 2001 et 2002 à hauteur de la somme de 110 378 euros ;
Sur les conclusions présentées par la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros à verser à la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 20 avril 2009 est annulé.
Article 2 : L'Etat restituera à la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG la somme de 110 378 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée indûment versée au Trésor public au titre des années 2001 et 2002.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 25 mars 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE KEOLIS CHERBOURG et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement.