Vu 1°/, sous le n° 340941, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 16 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Richard A, demeurant, ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA04913 du 20 avril 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, limité à la somme de 5 000 euros, y compris tous intérêts échus au jour de l'arrêt, le montant de la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière, d'autre part, annulé le jugement n° 0516250/5-2 du 24 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat au versement d'une somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et de capitaliser les intérêts échus en application de l'article 1154 du code civil ;
3°) de mettre à la charge de France Télécom et de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°/, sous le n° 341138, le pourvoi, enregistré le 5 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ; le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA04913 du 20 avril 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur la demande de M. Richard A, d'une part, condamné solidairement France Télécom et l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros y compris tous intérêts échus au jour de l'arrêt, d'autre part, annulé le jugement n° 0516250/5-2 du 24 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de M. A tendant à la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat au versement d'une somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi ;
2°) réglant l'affaire au fond, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Paris ;
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Vu 3°/, sous le n° 341158, le pourvoi enregistré le 5 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour France Télécom, dont le siège est 6, place d'Alleray à Paris cedex 15 (75505) ; France Télécom demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA04913 du 20 avril 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur la demande de M. Richard A, d'une part, condamné solidairement France Télécom et l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros y compris tous intérêts échus au jour de l'arrêt, d'autre part, annulé le jugement n° 0516250/5-2 du 24 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A tendant à la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A ;
3°) de mettre à la charge de M. A le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 septembre 2012, présentée pour M. Richard A ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
Vu le décret n° 54-865 du 2 septembre 1954 ;
Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 ;
Vu le décret n° 90-1225 du 31 décembre 1990 ;
Vu le décret n° 91-103 du 25 janvier 1991 ;
Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Gargoullaud, Maître des requêtes en service extraordinaire,
- les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de M. A, de la SCP Ancel, Couturier-Heller, Meier-Bourdeau, avocat du ministre du redressement productif et de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de France Télécom ;
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, avocat de M. A, à la SCP Ancel, Couturier-Heller, Meier-Bourdeau, avocat du ministre du redressement productif et à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de France Télécom ;
Considérant que les pourvois formés par M. A, par le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et par France Télécom sont dirigés contre le même arrêt ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que, lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, en dehors des hypothèses où il est tenu de rouvrir l'instruction à peine d'irrégularité de sa décision, c'est-à-dire de celles où cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou qu'il devrait relever d'office, le juge a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré ; que la cour administrative d'appel a pu, sans méconnaître le caractère contradictoire de la procédure et les droits de la défense, rappelés à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni entacher l'arrêt attaqué d'irrégularité eu égard à la teneur des observations en cause, se borner à prendre connaissance de la note en délibéré produite par M. A après l'audience sans rouvrir l'instruction pour procéder à sa communication aux autres parties ;
Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : " Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi./ L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) " ;
Considérant qu'en vertu de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après :/ 1° Examen professionnel ;/ 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ;
Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de France Télécom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de France Télécom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Télécom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après cette date, le président de France Télécom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires " reclassés " non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;
Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d'appel de Paris, pour retenir la responsabilité solidaire de l'Etat et de France Télécom à l'égard de M. A, fonctionnaire " reclassé ", a jugé que le président de France Télécom avait, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires " reclassés ", commis une illégalité engageant la responsabilité de sa société et que l'Etat avait, de même, commis une faute en attendant le 26 novembre 2004 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de " reclassement " de cette société ; que la cour n'a, ce faisant, pas relevé d'office un moyen qui n'aurait pas été invoqué devant elle ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'en retenant l'existence d'une faute engageant la responsabilité de France Télécom, distincte de la faute imputable à l'Etat, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique ;
Considérant, en deuxième lieu, que la cour administrative d'appel a pu, sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, accorder à M. A une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'au cas particulier M. A n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; qu'en déterminant le montant de l'indemnité due à M. A au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, la cour a suffisamment motivé son arrêt et s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, qui est exempte de dénaturation ;
Considérant, en troisième lieu, que la cour administrative d'appel s'est fondée, pour refuser d'accorder à M. A une indemnité au titre du préjudice de carrière, sur le motif que la promotion au choix ne constitue jamais un droit pour les fonctionnaires ; qu'en déduisant de ce seul motif la conséquence que M. A ne pouvait établir une perte de chance sérieuse de promotion, la cour a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que France Télécom et le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué mais que M. A, s'il n'est pas fondé à demander l'annulation de cet arrêt en tant qu'il lui a accordé une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève à cette fin, à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a rejeté sa demande d'indemnité au titre du préjudice de carrière ;
Considérant qu'il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler dans cette mesure l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, fonctionnaire de l'administration des postes et télécommunications ayant accédé au grade de conducteur de travaux du service des lignes en 1979, remplissait les conditions statutaires pour être promu à compter de 1991 ; que compte tenu des appréciations portées sur l'excellence de sa manière de servir, des avis favorables à une promotion présentés par sa hiérarchie et eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées à un inspecteur, M. A doit être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'accéder au corps des inspecteurs de France Télécom, si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993 ;
Considérant que, dans ces conditions, M. A a droit à l'indemnisation du préjudice résultant de cette perte de chance sérieuse ; qu'il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 11 000 euros ; que M. A a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la date de réception de sa demande du 27 mai 2005 ; que M. A a demandé la capitalisation des intérêts le 16 septembre 2010 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à l'échéance ultérieure ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de son préjudice de carrière ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de France Télécom et de l'Etat le versement à M. A de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par ce dernier, tant devant le Conseil d'Etat que devant les juges du fond, et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que France Télécom présente au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 20 avril 2010 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A tendant à l'indemnisation du préjudice de carrière.
Article 2 : France Télécom et l'Etat sont condamnés solidairement à verser à M. A une somme de 11 000 euros au titre du préjudice de carrière qu'il a subi. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2005. Les intérêts échus le 16 septembre 2010 seront capitalisés à cette date puis à l'échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 24 juillet 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : France Télécom et l'Etat verseront solidairement à M. A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les pourvois de France Télécom et du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sont rejetés.
Article 6 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Richard A, à France Télécom et au ministre du redressement productif.