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10/10/2012 | FRANCE | N°345903

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 10 octobre 2012, 345903


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 janvier 2011 et 18 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL Le Madison, dont le siège est 29 rue Brunel à Paris (75017), représentée par son gérant en exercice ; la SARL Le Madison demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09PA03113 du 9 novembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement n° 0611092/3-3 du 31 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'

annulation de l'arrêté du 31 mai 2006 par lequel le préfet de police a ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 janvier 2011 et 18 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL Le Madison, dont le siège est 29 rue Brunel à Paris (75017), représentée par son gérant en exercice ; la SARL Le Madison demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09PA03113 du 9 novembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement n° 0611092/3-3 du 31 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 mai 2006 par lequel le préfet de police a prononcé la fermeture du débit de boissons à l'enseigne '"Le Madison" pour une durée de six mois ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les observations de la SCP Boutet, avocat de la SARL Le Madison ;

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boutet, avocat de la SARL Le Madison ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 31 mai 2006, le préfet de police a, sur le fondement des dispositions des 3 et 4 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, ordonné la fermeture pour une durée de six mois de l'établissement " Le Madison " au motif que " ce débit de boissons était régulièrement utilisé comme un lieu de rencontre et de rabattage de la clientèle en vue de relations sexuelles tarifées dans les hôtels proches " ; que la SARL Le Madison, qui exploite l'établissement, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 novembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête par laquelle elle avait fait appel du jugement du tribunal administratif de Paris du 31 mars 2009 rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 31 mars 2006 : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements (...) / 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois (...) / 3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l'exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l'annulation du permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1. / 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation (...) " ;

3. Considérant, en premier lieu, que, lorsqu'elle est ordonnée, conformément aux dispositions combinées des 3 et 4 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, en cas de commission d'un crime ou d'un délit en relation avec l'exploitation d'un débit de boissons, la fermeture de ce débit a pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant ; qu'une telle mesure doit être regardée en conséquence, non comme une sanction présentant le caractère d'une punition, mais comme une mesure de police ; que, par suite, la cour administrative d'appel n'a pas entaché d'erreur de droit son arrêt, qui est suffisamment motivé sur ce point, en jugeant que la fermeture d'un débit de boissons ordonnée sur le fondement du 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique constitue une mesure de police administrative, à laquelle ne sont pas applicables les stipulations de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives aux droits de l'accusé en matière pénale ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que, dans cette dernière hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ; qu'il en va ainsi des mesures de fermeture prononcées sur le fondement du 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ;

5. Considérant que la SARL Le Madison avait invoqué devant la cour administrative d'appel l'autorité de la chose jugée qui s'attachait au jugement du 30 janvier 2007 par lequel le tribunal de grande instance de Paris avait relaxé ses dirigeants des fins de la poursuite engagée contre eux pour les faits qualifiés de tolérance habituelle de la prostitution dans un lieu ouvert au public, prévus et réprimés par le 2° de l'article 225-10 du code pénal, au motif que la circonstance d'habitude légalement exigée n'était pas suffisamment caractérisée ; que la cour administrative d'appel a écarté ce moyen après avoir relevé que l'arrêté de fermeture attaqué était motivé par l'utilisation de l'établissement comme un lieu de rabattage de la clientèle en vue de relations sexuelles tarifées dans les hôtels proches, agissements qui constituaient, comme l'indiquait le préfet de police, le fait de " procéder publiquement au racolage d'autrui en vu de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération ", prévu et réprimé par l'article 225-10-1 du code pénal, créé par la loi du 18 mars 2003 ; que, dès lors que cette infraction est distincte de celle énoncée par les dispositions du 2° de l'article 225-10 du code pénal, que le tribunal de grande instance de Paris avait jugée non constituée par sa décision du 30 janvier 2007, la cour administrative d'appel n'a pas entaché d'erreur de droit son arrêt, lequel est suffisamment motivé sur ce point, en jugeant que cette décision de la juridiction pénale était sans incidence sur la légalité de la mesure de fermeture attaquée ;

6. Considérant, enfin, que, en estimant que, comme le mentionnait l'arrêté litigieux, le bar Le Madison était régulièrement utilisé comme un lieu de rencontre et de rabattage de la clientèle en vue de relations sexuelles tarifées dans les hôtels proches, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt ne contredit nullement le jugement pénal refusant de qualifier les faits au regard d'une infraction différente de celle retenue par la cour, n'a pas, compte tenu notamment des faits constatés et des témoignages recueillis par les services de police, dénaturé les pièces du dossier ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL Le Madison n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la SARL Le Madison est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL Le Madison et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 345903
Date de la décision : 10/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE (ART - 6) - CHAMP D'APPLICATION - ARTICLE 6§3 - FERMETURE D'UN DÉBIT DE BOISSONS - MOTIF - CRIME OU DÉLIT EN RELATION AVEC L'EXPLOITATION DU DÉBIT DE BOISSONS (3 ET 4 DE L'ART - L - 3332-15 DU CSP) - QUALIFICATION - MESURE DE POLICE - CONSÉQUENCE - EXCLUSION.

26-055-01-06-01 Lorsqu'elle est ordonnée, conformément aux dispositions combinées des 3 et 4 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique (CSP), en cas de commission d'un crime ou d'un délit en relation avec l'exploitation d'un débit de boissons, la fermeture de ce débit, qui a pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant, doit être regardée non comme une sanction présentant le caractère d'une punition, mais comme une mesure de police. Par suite, inapplicabilité des stipulations de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives aux droits de l'accusé en matière pénale.

POLICE ADMINISTRATIVE - POLICES SPÉCIALES - POLICE DES DÉBITS DE BOISSONS - FERMETURE D'UN DÉBIT DE BOISSONS - MOTIF - CRIME OU DÉLIT EN RELATION AVEC L'EXPLOITATION DU DÉBIT DE BOISSONS (3 ET 4 DE L'ART - L - 3332-15 DU CSP) - 1) QUALIFICATION - MESURE DE POLICE - CONSÉQUENCE - INAPPLICABILITÉ DE L'ART - 6§3 DE LA CONV - EDH - 2) AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE AU PÉNAL - AUTORITÉ S'ÉTENDANT À LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES FAITS [RJ1] - EXISTENCE.

49-05-04 1) Lorsqu'elle est ordonnée, conformément aux dispositions combinées des 3 et 4 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique (CSP), en cas de commission d'un crime ou d'un délit en relation avec l'exploitation d'un débit de boissons, la fermeture de ce débit, qui a pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant, doit être regardée non comme une sanction présentant le caractère d'une punition, mais comme une mesure de police. Par suite, inapplicabilité stipulations de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH) relatives aux droits de l'accusé en matière pénale.,,2) Si, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale. Dans cette dernière hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal. Il en va ainsi des mesures de fermeture prononcées sur le fondement du 3 de l'article L. 3332-15 du CSP.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - CHOSE JUGÉE - CHOSE JUGÉE PAR LA JURIDICTION JUDICIAIRE - CHOSE JUGÉE PAR LE JUGE PÉNAL - AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE AU PÉNAL - AUTORITÉ S'ÉTENDANT À LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES FAITS [RJ1] - APPLICATION AU CAS DE LA FERMETURE D'UN DÉBIT DE BOISSONS PRISE AU MOTIF D'UN CRIME OU DÉLIT EN RELATION AVEC L'EXPLOITATION DU DÉBIT DE BOISSONS (3 ET 4 DE L'ART - L - 3332-15 DU CSP).

54-06-06-02-02 Si, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale. Dans cette dernière hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal. Il en va ainsi des mesures de fermeture prononcées sur le fondement du 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique (CSP).


Références :

[RJ1]

Cf.

Cf. CE, Assemblée, 8 janvier 1971, Ministre de l'intérieur c/ Dame Desamis, n° 77800, p. 19.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2012, n° 345903
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : SCP BOUTET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:345903.20121010
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