Vu le pourvoi, enregistré le 17 novembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), dont le siège est au 20 avenue du Grésillé BP 90406 à Angers Cedex 01 (49004) ; l'ADEME demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09LY01351 du 17 septembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement n° 0700136 du 26 mars 2009 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 9 novembre 2006 par laquelle son délégué régional a refusé d'allouer à la communauté de la chartreuse des Portes une subvention en vue de l'installation d'une chaudière automatique à bois déchiqueté ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de la chartreuse des Portes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 novembre 2012, présentée pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Odinet, Auditeur,
- les observations de Me Ricard, avocat de l'Agence de l'environnement et de la Maitrise de l'énergie, et de la SCP Ortscheidt, avocat de l'Abbaye la chartreuses des Portes,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Ricard, avocat de l'Agence de l'environnement et de la Maitrise de l'énergie, et à la SCP Ortscheidt, avocat de l'Abbaye la chartreuses des Portes ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la communauté de la chartreuse de Portes a demandé à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) de lui octroyer une subvention afin de mettre en place une chaudière automatique à bois déchiqueté ; que, par une décision du 9 novembre 2006, le délégué régional Rhône-Alpes de l'agence a rejeté cette demande ; que, par un jugement du 9 décembre 2008, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision ; que l'ADEME se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 septembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle a interjeté de ce jugement ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " ; que l'article 2 de cette loi dispose : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes " ; qu'enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 19 de cette même loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice d'un culte en vertu du titre IV de cette loi " ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 131-3 du code de l'environnement : " I. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie est un établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial. / II. Cet établissement public exerce des actions, notamment d'orientation et d'animation de la recherche, de prestation de services, d'information et d'incitation dans chacun des domaines suivants : / 1° La prévention et la lutte contre la pollution de l'air ; / (...) / 4° La réalisation d'économies d'énergie et de matières premières et le développement des énergies renouvelables, notamment d'origine végétale (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 131-6 du même code : " L'agence peut attribuer des subventions et consentir des avances remboursables. (...) " ;
4. Considérant que les dispositions précitées du code de l'environnement n'ont ni pour objet, ni pour effet, de déroger aux dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 ; que, dès lors, en jugeant que, par ces dispositions, le législateur avait autorisé l'ADEME à accorder des subventions à toute personne physique ou morale, y compris à une personne ayant des activités cultuelles, sans qu'y fassent obstacle les dispositions des articles 2 et 19 de la loi du 9 décembre 1905, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
6. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 que l'ADEME, établissement public de l'Etat, ne peut, dans le cadre de ses missions, accorder aucune subvention, à l'exception des concours pour des travaux de réparation d'édifices cultuels, aux associations cultuelles au sens du titre IV de cette loi ; qu'il lui est également interdit d'apporter une aide quelconque à une manifestation qui participe de l'exercice d'un culte ; qu'elle ne peut accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle au sens du titre IV de la même loi, a des activités cultuelles, qu'en vue de la réalisation d'un projet, d'une manifestation ou d'une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n'est pas destiné au culte et à la condition, en premier lieu, que le soutien de ce projet, cette manifestation ou cette activité s'inscrive dans le cadre des missions d'intérêt général qui lui ont été confiées par le législateur et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n'est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre du " plan bois-énergie 2000-2006 ", destiné à développer la production et l'utilisation d'énergie renouvelable, l'ADEME, associée à treize régions et départements, menait notamment des actions d'aide à la décision d'installation de chaudières collectives et de versement de subventions incitant à l'acquisition de chaudières à bois ; que la communauté de la chartreuse de Portes qui, sans être une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905, a des activités cultuelles, a demandé à bénéficier d'une aide à ce titre, afin de mettre en place une chaudière automatique à bois déchiqueté ; que ce projet ne présentait pas un caractère cultuel et n'était pas destiné au culte ; que le soutien de ce projet, qui s'inscrivait dans la conduite du programme " bois-énergie " mené notamment par l'ADEME, entrait dans le cadre des missions d'intérêt général confiées à l'agence par le législateur ; que le versement des subventions accordées dans le cadre du programme s'accompagnait de la conclusion de conventions permettant de garantir que les subventions étaient exclusivement affectées au financement du projet ; que, par suite, la subvention n'aurait pu être utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association ;
8. Considérant, dès lors, que les dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 ne faisaient pas obstacle à ce que l'ADEME attribuât une subvention à la communauté de la chartreuse de Portes afin de mettre en place une chaudière automatique à bois déchiqueté ; que, par suite, le délégué régional de l'ADEME ne pouvait légalement fonder une décision de refus d'attribution d'une telle subvention à cette communauté sur le seul motif que la loi du 9 décembre 1905 y faisait obstacle ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ADEME n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 9 novembre 2006 de son délégué régional Rhône-Alpes ;
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté de la chartreuse de Portes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ADEME la somme de 1 000 euros à verser à la communauté au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 17 septembre 2010 est annulé.
Article 2 : La requête de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie présentée devant la cour administrative d'appel de Lyon est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie est rejeté.
Article 4 : L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie versera à la communauté de la Chartreuse de Portes la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et à la communauté de la Chartreuse de Portes.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.