Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 6 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme B...A..., demeurant..., Mme A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 08NT03206, 08NT03313 du 4 février 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du centre hospitalier universitaire d'Angers, réformé le jugement n° 02-3818 du 25 septembre 2008 du tribunal administratif de Nantes, en ramenant à la somme de 441 239 euros l'indemnité que le centre hospitalier avait été condamné à lui verser en réparation des préjudices nés de l'infection contractée au cours de son hospitalisation dans cet établissement en août 2009, et rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du centre hospitalier universitaire d'Angers et de faire droit à sa requête d'appel ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire d'Angers une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anissia Morel, Auditeur,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mme A..., de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier d'Angers, de Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, et de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la mutuelle générale de l'éducation nationale,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de MmeA..., à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier d'Angers, à Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la mutuelle générale de l'éducation nationale ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeA..., alors fonctionnaire de l'Etat, a été hospitalisée au centre hospitalier universitaire d'Angers le 10 août 1999 ; qu'elle y a été victime d'une infection nosocomiale qui a entraîné une gangrène des orteils et des extrémités des doigts nécessitant plusieurs amputations ; que, par l'arrêt du 4 février 2010 contre lequel Mme A...se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes, réformant un jugement du 25 septembre 2008 du tribunal administratif de Nantes, a fixé à 441 239 euros l'indemnité due à l'intéressée par le centre hospitalier universitaire d'Angers en réparation des préjudices nés de cette infection ; que la cour n'a, en revanche, pas modifié le montant des indemnités que le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier universitaire d'Angers à verser à l'Etat en sa qualité d'employeur, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers et à la mutuelle générale de l'éducation nationale ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, l'Etat dispose de plein droit à l'encontre du tiers responsable du décès, de l'infirmité ou de la maladie de l'un de ses agents d'une action subrogatoire en remboursement " de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit à la suite du décès, de l'infirmité ou de la maladie " ; que le recours ainsi prévu entre dans le champ d'application des dispositions de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 relatif à l'exercice des recours des tiers payeurs contre les personnes tenues à la réparation d'un dommage, telles qu'elles résultent du IV de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale pour 2007 ; qu'aux termes de ces dispositions, qui sont applicables dans la présente affaire dès lors que le dommage, survenu avant la date de publication de la loi du 21 décembre 2006, n'avait pas à cette date fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée : " Les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie ; en ce cas, elle peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence au tiers payeur dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle. Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice " ;
3. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant du III de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 qui est applicable dans la présente affaire dès lors que le dommage, survenu avant la date de publication de la loi du 21 décembre 2006, n'avait pas à cette date fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1152 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) " ;
4. Considérant qu'en application des dispositions précitées le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et de recours subrogatoires de l'Etat ou d'organismes de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de l'Etat et de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'Etat et à l'organisme de sécurité sociale ;
5. Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode décrite ci-dessus, de distinguer à tout le moins, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que, parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'Etat et l'organisme de sécurité sociale ne peuvent exercer leur recours que s'ils établissent avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;
6. Considérant que la cour a statué sur trois postes de préjudices patrimoniaux, le premier correspondant aux dépenses de santé, le deuxième aux pertes de revenus et le troisième aux frais liés au handicap ; que si Mme A...lui reproche d'avoir commis une erreur de droit et insuffisamment motivé son arrêt en omettant de prendre en compte l'ensemble des dépenses directement liées à l'atteinte corporelle résultant de l'accident, ces moyens ne sont pas assortis de précisions permettant d'en apprécier la portée ; que la requérante conteste par ailleurs les modalités selon lesquelles la cour administrative d'appel a fixé les indemnités qu'elle lui a allouées au titre de ses pertes de revenus et des frais liés à son handicap ;
Sur les pertes de revenus :
7. Considérant que la cour a précisé qu'elle prenait en compte les avis d'imposition que Mme A...avait produits, lesquels portaient sur les périodes antérieure et postérieure à l'accident, pour évaluer les pertes de rémunérations subies par celle-ci depuis l'accident dont elle a été victime en août 1999 jusqu'à la date du 7 août 2008 à laquelle elle aurait été mise à la retraite si cet accident n'était pas survenu ; qu'elle a, au bénéfice d'une motivation suffisante et sans commettre d'erreur de droit, tenu compte, pour leur montant net, des rémunérations dont Mme A...bénéficiait lorsqu'elle était en activité ; que, dès lors que la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers n'avait demandé le remboursement d'aucune prestation ayant eu pour objet la réparation de pertes de revenus, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en ne mentionnant pas, pour ce poste de préjudice, une créance de la caisse ; que, dès lors que le montant de la créance de l'Etat au titre de ce poste de préjudice, tel qu'il était fixé par le tribunal administratif, n'était pas contesté devant le juge d'appel, celui-ci n'a pas commis d'erreur de droit en se bornant à fixer le montant de la créance de la victime, lequel s'ajoute, pour le calcul du total des indemnités dues par le centre hospitalier universitaire d'Angers au titre des pertes de revenus, au montant alloué à ce titre à l'Etat en première instance ;
Sur les frais liés au handicap :
8. Considérant que, dès lors que les montants des créances de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers et de la mutuelle générale de l'éducation nationale au titre de ce poste de préjudice, tels qu'ils étaient fixés par le tribunal administratif, n'étaient pas contestés devant la cour, celle-ci n'a pas commis d'erreur de droit en se bornant à fixer le montant de la créance de la victime, lequel s'ajoute aux montants fixés pour la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers et la mutuelle générale de l'éducation nationale pour le calcul du total des indemnités dues par le centre hospitalier d'Angers à MmeA..., à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers et à la mutuelle générale de l'éducation nationale au titre du poste de préjudice correspondant aux frais liés au handicap ;
En ce qui concerne les frais d'adaptation du logement de MmeA... :
9. Considérant que, pour refuser de condamner le centre hospitalier universitaire d'Angers à verser à Mme A...une indemnité au titre de ce préjudice, la cour administrative d'appel de Nantes ne s'est pas fondée sur l'aide que pourrait lui apporter son époux mais sur la circonstance que ce préjudice ne présentait pas un caractère certain ; que la cour s'est ainsi livrée à une appréciation souveraine des faits, exempte de dénaturation dès lors notamment que l'expertise ordonnée en première instance avait retenu que Mme A...n'avait pas besoin d'un logement adapté ;
En ce qui concerne les dépenses de matériel spécialisé :
10. Considérant que Mme A...demandait l'allocation d'une somme de 67 721,53 euros représentant le coût d'acquisition de différents équipements adaptés à son handicap ; que la cour, sans dénaturer les pièces du dossier et au vu des factures produites par MmeA..., a fixé l'indemnité due à celle-ci à 5 525 euros après avoir déduit du montant de ces factures les sommes prises en charge par la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers ; que la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n'a, ce faisant, pas commis d'erreur de droit ;
En ce qui concerne les frais liés à l'assistance d'une tierce personne :
11. Considérant que le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail ;
12. Considérant, d'une part, qu'en se bornant, pour évaluer l'indemnité due au titre de l'assistance à domicile d'une tierce personne pour la période du 16 novembre 1999 au 31 janvier 2009, à tenir compte des frais effectivement engagés, alors qu'il lui appartenait de tenir également compte de l'assistance fournie par un membre de la famille de MmeA..., la cour a commis une première erreur de droit ; que, d'autre part, en prenant comme référence, pour fixer l'indemnité due au titre de l'assistance à domicile d'une tierce personne pour la période postérieure au 1er janvier 2010, un coût horaire inférieur à celui du salaire minimum, la cour a commis une seconde erreur de droit ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 4 février 2010 doit être annulé en tant seulement qu'il fixe le montant des indemnités dues par le centre hospitalier universitaire d'Angers en réparation des préjudices résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne depuis le 16 novembre 1999 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire d'Angers la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de MmeA..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que demandent la mutuelle générale de l'éducation nationale et la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt n° 08NT03206, 08NT03313 de la cour administrative d'appel de Nantes du 4 février 2010 est annulé en tant qu'il fixe le montant des indemnités dues par le centre hospitalier universitaire d'Angers en réparation des préjudices résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne depuis le 16 novembre 1999.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire d'Angers versera à Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la mutuelle générale de l'éducation nationale et par la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A..., au centre hospitalier universitaire d'Angers, au ministre de l'éducation nationale, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.