Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février et 14 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'établissement public A...navigables de France, dont le siège est 175, rue Ludovic Boutleux BP 820, à Béthune (62408) ; il demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10VE01934 du 17 novembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur la requête de la societé Eurobarges, a, d'une part, annulé le jugement n° 0607691 du 11 décembre 2009 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de cette société tendant à l'annulation d'un état exécutoire émis le 2 août 2006 et, d'autre part, annulé cet état exécutoire ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Eurobarges ;
3°) de mettre à la charge de la société Eurobarges la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des transports ;
Vu la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 ;
Vu le décret n° 60-441 du 26 décembre 1960 ;
Vu le décret n° 91-797 du 20 août 1991 ;
Vu le décret n° 2008-1321 du 16 décembre 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Esther de Moustier, Auditeur,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de l'établissement public A...navigables de France et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la société Eurobarges ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses en matière de transports, applicable au litige : " L'établissement public mentionné au I de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990) prend le nom de A...navigables de France. Il constitue un établissement public industriel et commercial. " ; qu'aux termes de l'article 124 de la loi de finances du 29 décembre 1990, en vigueur à la date de la décision contestée : " (...) III. - Les transporteurs de marchandises ou de passagers et les propriétaires de bateaux de plaisance d'une longueur supérieure à 5 mètres ou dotés d'un moteur d'une puissance égale ou supérieure à 9,9 chevaux sont assujettis, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à des péages perçus au profit de l'établissement public lorsqu'ils naviguent sur le domaine public qui lui est confié, à l'exception des parties internationales du Rhin et de la Moselle. Le montant de ces péages est fixé par l'établissement (...) " ; que ces dernières dispositions sont désormais codifiées à l'article L. 4412-1 du code des transports ;
2. Considérant que, lorsqu'un établissement tient de la loi la qualité d'établissement public à caractère industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l'exception de ceux relatifs à celles de ces activités qui, telles notamment la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature des prérogatives administratives de la puissance publique et ne peuvent donc être exercées que par un service public administratif ; que si les péages acquittés en application des dispositions de l'article 124 de la loi de finances du 29 décembre 1990 par les usagers du domaine public fluvial, qui sont dans une situation unilatérale et réglementaire, ont la nature non de taxes mais de redevances pour service rendu, ils sont versés, eu égard à l'objet du service ainsi rendu par l'utilisation de A...fluviales appartenant au domaine public, à raison d'un service public qui présente le caractère non d'un service public industriel et commercial mais d'un service public administratif que cet établissement public exerce dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique ; qu'ainsi les litiges, relatifs à la légalité, au montant ou au recouvrement de ces péages, pouvant naître entre ces usagers et l'établissement public A...navigables de France, auquel la loi du 31 décembre 1991 conférait un caractère industriel et commercial, relèvent de la compétence de la juridiction administrative ; que ce motif, qui est d'ordre public et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit, tiré de ce que ces péages ne constituent pas une redevance pour service rendu mais sont directement liés à l'occupation du domaine public, retenu par la cour administrative d'appel de Versailles pour fonder la compétence de la juridiction administrative ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 20 août 1991 relatif aux recettes instituées au profit de A...navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991: " Pour le transport public ou privé de marchandises effectué à l'intérieur des limites du domaine confié à A...navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990) susvisée, le transporteur acquitte un péage pour tout parcours réalisé en utilisant le réseau fluvial. Les tarifs du péage sont fonction des caractéristiques du bateau, du trajet, de la nature des marchandises transportées, du chargement du bateau, que ce bateau relève du régime de la navigation intérieure ou de celui de la navigation maritime. / (...) " ; que l'article 5 du même décret dispose que : " Le montant des péages prévus aux articles 1er, 2 et 3 du présent décret est fixé par le conseil d'administration de l'établissement public (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 13 du décret du 26 décembre 1960 portant statut de A...navigables de France : " Le conseil d'administration (...) / fixe le montant des péages, droits fixes et redevances d'usage du domaine confié à l'établissement (...) " ;
4. Considérant que la délibération par laquelle le conseil d'administration de A...Navigables de France fixe les tarifs applicables à l'utilisation du domaine public fluvial pour le transport de marchandises a un caractère réglementaire ; que, dès lors, cette délibération n'est opposable aux usagers que si elle a fait l'objet d'une mesure de publicité suffisante ;
5. Considérant qu'en l'absence de dispositions prescrivant une formalité de publicité déterminée, les délibérations ayant un caractère réglementaire d'un établissement public sont opposables aux tiers à compter de la date de leur publication au bulletin officiel de cet établissement ou de celle de leur mise en ligne, dans des conditions garantissant sa fiabilité, sur le site internet de cette personne publique ; que toutefois, compte tenu de l'objet des délibérations et des personnes qu'elles peuvent concerner, d'autres modalités sont susceptibles d'assurer une publicité suffisante ;
6. Considérant que, antérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 16 décembre 2008, relatif à A...navigables de France, au transport fluvial et au domaine public fluvial, cet établissement public devait publier les délibérations de son conseil d'administration relatives à ses tarifs, soit dans son bulletin officiel ou, dans des conditions garantissant sa fiabilité, sur son site internet, soit, eu égard à l'objet de ces délibérations et aux usagers qu'elles visent, et compte tenu de l'étendue du réseau fluvial qu'il gère, les afficher non seulement à son siège mais aussi chez ses représentants locaux ;
7. Considérant que, devant les juges du fond, l'établissement public a fait valoir que la délibération du conseil d'administration du 6 avril 2005 portant détermination des tarifs des péages de navigation de marchandises et du service spécial d'éclusage applicables à compter du 1er juillet 2005 avait fait l'objet d'un affichage du 7 avril au 7 mai 2005 dans le hall du siège social situé à Béthune et d'une insertion au bulletin officiel des actes de A...navigables de France du 20 avril 2005 ; qu'il indiquait que ce bulletin était également disponible sur son site internet ;
8. Considérant qu'en se bornant à juger, après avoir relevé que l'affichage, à le supposer avéré, de cet acte réglementaire ne constituait pas une mesure de publicité suffisante, que l'établissement public ne démontrait pas, en se limitant à produire une copie d'écran non datée, qu'à la date de l'état exécutoire émis le 2 août 2006 à l'encontre de la société Eurobarges pour obtenir le paiement des péages qu'elle n'avait pas acquittés, la délibération avait fait l'objet d'une publication sur un site internet accessible aux usagers du domaine public fluvial et en annulant ce titre exécutoire au motif que cette délibération ne pouvait être opposée à la société sans rechercher si, alors que l'établissement public s'en prévalait et en justifiait, elle avait été publiée dans son intégralité à ce bulletin officiel, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'établissement publicA... Navigables de France est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Eurobarges la somme de 3 000 euros à verser à l'établissement public A...Navigables de France, au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 17 novembre 2011 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : La société Eurobarges versera à l'établissement public A...navigables de France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public A...navigables de France et à la société Eurobarges.