Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 décembre 2011 et 7 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A... B..., demeurant... ; M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 11LY00219 du 6 octobre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0701409 du 26 novembre 2010 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Grenoble à lui verser une indemnité au titre de pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Grenoble le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M.B..., à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Grenoble et à la SCP Boutet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, qu'à la suite d'un accident de travail survenu le 19 août 2004, M. B..., monteur en installations thermiques, a présenté une lésion du tendon du grand palmaire décelée le 15 septembre 2004, après la suture de sa plaie au centre hospitalier universitaire de Grenoble ; qu'invoquant un retard fautif de diagnostic, il a formé un recours indemnitaire contre cet établissement aux fins d'obtenir réparation de ses préjudices personnels et des pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle en qualité de monteur en télécommunications, liée au fait qu'il est désormais incapable de porter des objets lourds ; que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère a demandé le remboursement de ses débours ; que, par un jugement du 26 novembre 2010, le tribunal administratif de Grenoble a retenu la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble, l'a condamné à réparer les préjudices personnels de l'intéressé et à rembourser à la caisse primaire, outre les indemnités journalières versées pendant la période d'incapacité temporaire totale, la somme de 17 585,85 euros correspondant à la moitié des arrérages échus et du capital représentatif des échéances futures de la rente d'accident du travail servie à la victime ; qu'il a en revanche rejeté la demande présentée par M. B... au titre de ses pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle ; que, par un arrêt du 6 octobre 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel présenté par M. B..., ainsi que l'appel incident présenté par le centre hospitalier universitaire, et a accordé à la caisse primaire, en plus des indemnités qui lui avaient été allouées en première instance, le remboursement de frais médicaux et pharmaceutiques ; que l'intéressé se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il confirme le rejet de sa demande relative à ses pertes de revenus ; que, par un pourvoi incident, le centre hospitalier universitaire de Grenoble demande qu'il soit annulé en tant qu'il met à sa charge le remboursement à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère de la moitié de la rente d'accident du travail ; que la caisse conclut à l'annulation de l'arrêt en ce qu'il juge que le préjudice professionnel de M. B... ne résulte pas de la faute commise par le service public hospitalier ;
2. Considérant, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
3. Considérant, d'autre part, qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ;
4. Considérant que, pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il appartenait aux juges du fond de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par M. B...en raison de la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Grenoble entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une rente d'accident du travail ; que, pour déterminer dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la rente, il y avait lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la rente ; que, dès lors qu'il était jugé que la faute commise par le centre hospitalier engageait son entière responsabilité, le montant intégral des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle devait être mis à sa charge ; que la victime devait se voir allouer, le cas échéant, une somme correspondant à la part de ces postes de préjudice non réparée par la pension, évaluée ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le solde étant versé à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ;
5. Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour a retenu que la caisse avait droit au remboursement de la somme de 17 585,85 euros correspondant à la moitié des arrérages échus et du capital représentatif de la rente d'accident du travail servie à M. B..., tout en écartant l'existence de pertes de revenus de l'intéressé, au motif qu'il n'était pas certain que, en l'absence de faute du centre hospitalier, il aurait pu continuer son activité de monteur en installations thermiques ; qu'en procédant de la sorte, la cour n'a pas fait application des règles rappelées ci-dessus ; que son arrêt est par suite entaché, sur ce point, d'erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens du pourvoi de M. B...et du pourvoi incident du centre hospitalier universitaire de Grenoble, que l'arrêt doit être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. B...tendant à la réparation de pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle et alloue à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère la somme de 17 585,85 euros en remboursement d'une part de la rente d'accident du travail versée à l'intéressé ; que cette annulation prive d'objet les conclusions de la caisse primaire, sur lesquelles il n'y a pas lieu de statuer ;
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Grenoble la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 octobre 2011 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. B...tendant à l'indemnisation de pertes de revenus consécutives à sa reconversion professionnelle et alloue à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère la somme de 17 585,85 euros en remboursement d'une part de la rente d'accident du travail versée à l'intéressé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon dans la mesure de la cassation prononcée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère dirigées contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 octobre 2011.
Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Grenoble versera à M. B...la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au centre hospitalier universitaire de Grenoble et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.