Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mars et 6 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour la Polynésie française, représentée par son président, qui demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09PA00617 du 16 décembre 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur l'appel de la société Socimat, a annulé le jugement n° 0800298 du tribunal administratif de la Polynésie Française du 25 novembre 2008 et a déchargé la société Socimat de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 1999 ainsi que des pénalités correspondantes ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Socimat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 ;
Vu la loi n° 96-313 du 12 avril 1996 ;
Vu le code des impôts de la Polynésie française ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Polynésie française et à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Socimat ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le service des contributions de la Polynésie française a remis en cause, en 2006, le crédit d'impôt dont la société Socimat avait bénéficié, au titre de l'année 1999, en application de l'article 115-1-1 du code des impôts de la Polynésie française, à raison du financement d'un projet de construction immobilière réalisée par la SCI Vairaatoa Nui ; que, par un jugement du 25 novembre 2008, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande de la société Socimat tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1999 ; que, par l'arrêt attaqué du 16 décembre 2011, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et accordé à la société Socimat la décharge des imposition et pénalités contestées ;
2. Considérant que l'article 115-1-1 du code des impôts de la Polynésie française, dans sa version applicable à l'année d'imposition en litige, instituait un crédit d'impôt pour " tout financement (...) dans un projet de construction immobilière ", d'un montant variable selon la date d'intervention du financement et sous réserve du respect de conditions tenant notamment au montant minimum du financement et du projet, à la date de dépôt de la demande du permis de construire, aux modalités du financement ainsi qu'à un engagement de conservation des immeubles, actions ou parts constitutifs de ce financement, et disposait en particulier : " Ces avantages sont remis en cause, et l'impôt dont le crédit a été préalablement accordé devient immédiatement exigible, nonobstant le cas échéant l'expiration des délais de prescription, dans les circonstances suivantes : / - non-respect des conditions prévues par les dispositions du présent article " ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des termes mêmes de ces dispositions que le crédit d'impôt qu'elles instituent peut être remis en cause par l'administration sans qu'aucun délai de prescription puisse lui être opposé ; que c'est, par suite, sans erreur de droit que la cour a jugé que l'article 115-1-1 du code des impôts de la Polynésie française écartait de manière générale l'application des délais de prescription et que le crédit d'impôt qu'il institue pouvait être remis en cause par l'administration sans limitation dans le temps ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que, d'une part, le pouvoir réglementaire ne saurait, sans méconnaître le principe de sécurité juridique, instituer au profit de l'administration fiscale un droit de reprise excluant l'application de tout délai de prescription ; que, d'autre part, aucun principe constitutionnel ni aucun principe général du droit ne s'oppose à l'application d'un délai de prescription lorsque le bénéfice d'un dispositif fiscal favorable a été obtenu par fraude ; que, par suite, en jugeant que le principe de sécurité juridique s'opposait à ce que puisse être légalement édictée une disposition instituant un droit de reprise au profit de l'administration fiscale excluant, de façon générale et absolue, l'application de toute prescription, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ; que la Polynésie française n'ayant soulevé devant elle aucun moyen de défense tiré de l'existence d'une fraude, la cour n'a, en outre et en tout état de cause, entaché son arrêt d'aucune insuffisance de motivation sur ce point ; qu'enfin, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu les principes du droit de l'Union européenne selon lesquels l'exigence de sécurité juridique doit être conciliée avec l'intérêt public consistant à mettre fin aux situations frauduleusement acquises et n'imposerait à l'administration aucune autre obligation que celle d'agir dans un délai raisonnable, doit également être écarté comme nouveau en cassation ;
5. Considérant, en dernier lieu, qu'après avoir constaté que l'article 115-1-1 du code des impôts de la Polynésie française méconnaissait, en tant qu'il excluait tout délai de prescription, le principe de sécurité juridique et écarté, en conséquence, l'application des dispositions litigieuses, la cour a jugé qu'il y avait lieu de faire application des dispositions de droit commun de l'article 451-1 du code des impôts de la Polynésie française qui, dans sa rédaction alors applicable, prévoyait que : " Les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette ou la liquidation des impôts et taxes visés au présent code ainsi que les erreurs commises dans l'établissement des impositions, dans l'application des tarifs ou dans le calcul des cotisations peuvent être réparées jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due " ; que ces dispositions spéciales, qui concernaient notamment la réparation des erreurs commises dans le calcul des cotisations d'impôt, étaient applicables en cas de remise en cause, par l'administration fiscale, d'un crédit d'impôt et répondaient aux exigences de sécurité juridique ; que c'est, par suite, sans erreur de droit que la cour a jugé qu'elles étaient applicables et a écarté l'application des dispositions générales de l'article 2262 du code civil qui, dans sa rédaction alors applicable, prévoyait un délai de prescription de trente ans ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Polynésie française n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Socimat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la Polynésie française est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Socimat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Polynésie française et à la société Socimat. Copie en sera adressée, pour information, au ministre des finances et des comptes publics et à la ministre des outre-mer.