Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 juillet et 31 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Cie Compiègne, dont le siège est au 12-14 rue du Four Saint Jacques, à Compiègne (60200), représentée par son président directeur général ; la société Cie Compiègne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10DA01119 du 16 mai 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête, présentée par Me C...A...agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Lajous Industries, tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0800763 du 22 juin 2010 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a annulé pour excès de pouvoir la décision du 13 février 2008 de l'inspecteur du travail de Compiègne autorisant le licenciement pour motif économique de M. B...D..., d'autre part, au rejet des conclusions de première instance de M. D...;
2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens et de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par M. D...;
3°) de mettre à la charge de M. D...le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société Cie Compiègne ;
1. Considérant que, par un jugement du 15 novembre 2007, le tribunal de commerce de Nanterre a, dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire, ordonné la cession des actifs de la société Lajous Industries à la société Cie Compiègne avec poursuite de 250 contrats de travail et a autorisé le licenciement pour motif économique des salariés occupant 181 postes limitativement énumérés ; qu'en exécution de ce jugement, l'administrateur judiciaire a obtenu le 13 février 2008 de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. D..., salarié protégé ; que le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette autorisation le 22 juin 2010 pour excès de pouvoir ; que la cour administrative d'appel de Douai a, le 16 mai 2012, rejeté l'appel de l'administrateur judiciaire de la société Lajous Industries contre ce jugement ; qu'après être intervenue en appel à l'appui des conclusions de la société Lajous Industries, la société Cie Compiègne, qui, eu égard aux effets d'une annulation d'une autorisation de licenciement sur la situation d'une entreprise cessionnaire, est recevable à le faire, se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 122-12 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, aujourd'hui repris à l'article L. 1224-1 du code du travail : " S'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes des deux derniers alinéas de l'article L. 642-5 du code de commerce, relatif aux plans de cession arrêtés par le tribunal de commerce dans le cadre d'une liquidation judiciaire : " Lorsque le plan prévoit des licenciements pour motif économique, il ne peut être arrêté par le tribunal qu'après que le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ont été consultés dans les conditions prévues à l'article L. 321-9 du code du travail et l'autorité administrative compétente informée dans les conditions prévues à l'article L. 321-8 du même code. Le plan précise notamment les licenciements qui doivent intervenir dans le délai d'un mois après le jugement. Dans ce délai, ces licenciements interviennent sur simple notification du liquidateur, ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné, sous réserve des droits de préavis prévus par la loi, les conventions ou les accords collectifs du travail. / Lorsque le licenciement concerne un salarié bénéficiant d'une protection particulière en matière de licenciement, ce délai d'un mois après le jugement est celui dans lequel l'intention de rompre le contrat de travail doit être manifestée " ;
4. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsque le plan de cession arrêté par le tribunal de commerce prévoit des licenciements devant intervenir dans le mois suivant le jugement, les contrats de travail des salariés licenciés en exécution de ce jugement ne sont pas transférés à l'entreprise cessionnaire ; que, par suite, l'entreprise cédante demeure l'employeur de ces salariés, y compris lorsqu'ils bénéficient d'un statut protecteur, et ne peut les licencier, en application de l'article L. 1233-4 du code de travail, que lorsque " le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient " ; que si l'entreprise cédante doit chercher à reclasser un salarié dont le licenciement est envisagé dans l'ensemble des entités dont elle assure encore la direction effective ou du groupe d'entreprises auquel elle appartient, cette recherche ne s'étend pas à l'entreprise cessionnaire, notamment pas aux entités cédées qui sont déjà passées sous la direction effective de cette dernière ;
5. Considérant que, par suite, la cour administrative d'appel de Douai, dès lors qu'elle avait relevé que l'entreprise cessionnaire ne faisait pas partie du groupe Euralcom auquel appartenait la société Lajous Industries, ne pouvait, sans erreur de droit, juger, après avoir relevé que le licenciement du salarié en cause faisait partie des licenciements prévus par le plan de cession de la société Lajous Industries à la société Cie Compiègne, que le reclassement de ce salarié aurait dû être recherché dans l'entreprise cessionnaire ; qu'il y a lieu, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler son arrêt ;
6. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D...la somme que la Cie Compiègne demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 16 mai 2012 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Cie Compiègne et à M. B...D....
Copie en sera adressée pour information au ministre du travail, de l'emploi, et du dialogue social et à M. C...A..., agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Lajous Industries.