Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 décembre 2013 et 17 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par le président du conseil régional ; la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis n° 2013-022 du 8 octobre 2013 de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) relatif à l'impact du service de transport de voyageurs envisagé par l'entreprise ferroviaire Thello entre Milan, Gênes, Monaco, Nice et Marseille sur l'équilibre économique du contrat de service public de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
2°) avant dire droit, d'enjoindre à l'ARAF de produire les pièces soustraites du dossier de la demande d'avis ;
3°) de mettre à la charge de l'ARAF une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 janvier 2015, présentée pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
Vu la directive 91/440/CEE du Conseil du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires, modifiée par la directive 2007/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 ;
Vu la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 ;
Vu la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen ;
Vu le code des transports ;
Vu le décret n° 2010-932 du 24 août 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- Le rapport de M. Tristan Aureau, auditeur,
- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et à la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires ;
1. Considérant qu'en vertu des objectifs du paragraphe 3 bis de l'article 10 de la directive 91/440/CEE du Conseil du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires, tels que résultant de la directive 2007/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, les entreprises ferroviaires établies dans les Etats membres se sont vu, à compter du 1er janvier 2010 au plus tard, accorder un droit d'accès à l'infrastructure ferroviaire de tous les États membres aux fins de l'exploitation de services internationaux de transport de voyageurs, en ayant le droit de prendre et de déposer des voyageurs dans toute gare située sur le trajet international, y compris dans des gares situées dans un même État membre ; que ce paragraphe 3 bis précise qu'il " incombe à l'organisme ou aux organismes de contrôle visés à l'article 30 de la directive 2001/14/CE de déterminer si le principal objectif du service est le transport de voyageurs entre deux gares situées dans des États membres différents, à la suite d'une demande des autorités compétentes et/ou des entreprises ferroviaires concernées " ; que, selon le paragraphe 3 ter du même article 10 modifié : " Les États membres peuvent limiter le droit d'accès visé au paragraphe 3 bis sur les services entre un lieu de départ et une destination qui font l'objet d'un ou de plusieurs contrats de service public conformes à la législation communautaire en vigueur. Une telle limitation ne peut avoir pour effet de restreindre le droit de prendre des voyageurs dans une gare située sur le trajet d'un service international et de les déposer dans une autre, y compris dans des gares situées dans un même État membre, sauf dans les cas où l'exercice de ce droit compromettrait l'équilibre économique d'un contrat de service public. / C'est à l'organisme ou aux organismes de contrôle compétent(s) visé(s) à l'article 30 de la directive 2001/14/CE qu'il incombe de déterminer une éventuelle atteinte à l'équilibre économique en se fondant sur une analyse économique objective et sur la base de critères prédéterminés, après une demande : / - de l'autorité ou des autorités compétentes qui ont attribué le contrat de service public, / - de toute autre autorité compétente concernée qui aurait le droit de limiter l'accès en vertu du présent article, / - du gestionnaire de l'infrastructure, ou / - de l'entreprise ferroviaire qui exécute le contrat de service public (...) " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2121-12 du code des transports, issu de la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, qui a procédé à la transposition des objectifs de la directive du 29 juillet 1991, à la suite de sa modification par celle du 23 octobre 2007 : " Les entreprises ferroviaires exploitant des services de transport international de voyageurs peuvent, à cette occasion, assurer des dessertes intérieures à condition que l'objet principal du service exploité par l'entreprise ferroviaire soit le transport de voyageurs entre des gares situées dans des Etats membres de l'Union européenne différents. L'autorité administrative compétente peut limiter ces dessertes intérieures, sous réserve que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires ait, par un avis motivé, estimé que la condition précitée n'était pas remplie. / Toute autorité organisatrice de transport ferroviaire compétente peut également limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures, sous réserve que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires ait, par un avis motivé, estimé que ces dessertes compromettent l'équilibre économique d'un contrat de service public (...) " ; que les conditions d'application des ces dispositions ont été fixées par le décret du 24 août 2010 relatif au transport ferroviaire de voyageurs ; qu'aux termes de l'article L. 2133-1 du code des transports : " Lorsqu'une entreprise ferroviaire effectue des dessertes intérieures à l'occasion d'un service international de voyageurs, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires s'assure, à la demande de l'autorité administrative compétente ou des entreprises ferroviaires concernées, que le transport de voyageurs entre des gares situées dans des Etats membres différents constitue l'objet principal du service afin de permettre, le cas échéant, à l'autorité administrative compétente d'encadrer l'exercice de ces dessertes intérieures, conformément à l'article L. 2121-12. Elle se prononce également sur l'existence éventuelle d'une atteinte à l'équilibre économique d'un contrat de service public par ces dessertes intérieures, à la demande de l'autorité administrative compétente, de l'autorité qui a attribué ledit contrat, du gestionnaire ou de l'entreprise ferroviaire qui exécute le contrat, afin de permettre à l'autorité organisatrice compétente de limiter ou, le cas échéant, d'interdire ces dessertes intérieures, conformément au même article L. 2121-12 " ;
3. Considérant que l'entreprise ferroviaire Thello a déposé, le 26 avril 2013, un dossier d'information relatif à un projet de service entre Milan et Marseille ; que le ministre chargé des transports a saisi l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) afin de vérifier le caractère international de ce projet de service ; que, par un avis n° 2013-013 du 9 juillet 2013, l'Autorité a estimé que le service de transport de voyageurs envisagé par l'entreprise Thello entre Milan, Gênes, Monaco, Nice et Marseille présentait bien le caractère d'un service international ; qu'à la suite de cet avis, conformément à ce que prévoit l'article 4 du décret du 24 août 2010, le ministre chargé des transports, par décision du 12 décembre 2013, a accordé un droit d'accès à la société Thello pour exploiter ce service de transport ferroviaire international de voyageurs, comportant la desserte intérieure des gares situées entre Marseille et Menton ;
4. Considérant que la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a, pour sa part, saisi l'ARAF le 18 juin 2013, afin d'examiner si le service international envisagé par la société Thello portait atteinte à l'équilibre économique du contrat de service public liant la région à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) ; que, par un avis du 8 octobre 2013, l'Autorité a estimé que le service envisagé ne portait pas atteinte à l'équilibre économique de ce contrat de service public ; que la région Provence-Alpes-Côte d'Azur demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis ;
5. Considérant, en premier lieu, que l'Autorité s'est prononcée sur le caractère international du service envisagé par l'entreprise ferroviaire Thello par son avis du 9 juillet 2013, rendu sur la saisine du ministre chargé des transports, effectuée sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 2121-12 du code des transports ; que, saisie par la région en application du deuxième alinéa du même article, afin d'apprécier cette fois si les dessertes envisagées étaient de nature à compromettre l'équilibre économique du contrat liant la région et la SNCF, l'Autorité, qui au demeurant a visé son précédent avis, n'avait pas à se prononcer à nouveau sur le caractère international du service ; que, par suite, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ne peut utilement soutenir que l'avis attaqué serait insuffisamment motivé ou entaché d'une erreur de droit faute de s'être prononcé sur le caractère international du service ; qu'en outre, si la région Provence-Alpes-Côte d'Azur entend, dans le dernier état de ses écritures, exciper de l'illégalité de l'avis rendu par l'ARAF le 9 juillet 2013, elle ne saurait utilement l'invoquer pour contester l'avis attaqué, dès lors que ce dernier n'a pas été pris pour son application et que l'avis du 9 juillet 2013 n'en constitue pas la base légale ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il appartient à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, en vertu des dispositions de l'article L. 2121-12 du code des transports, de motiver l'avis qu'elle rend sur l'atteinte susceptible d'être portée à l'équilibre économique d'un contrat de service public ; qu'en l'espèce, l'avis attaqué rappelle le cadre juridique dans lequel il s'inscrit ; qu'il fait référence à la décision n° 2013-004 du 27 février 2013 par laquelle l'Autorité a fixé les critères au vu desquels elle se fonde pour apprécier l'effet de nouveaux services sur l'équilibre économique de contrats de service public ; que l'avis attaqué comporte une analyse des termes du contrat de service public en cause et de son équilibre économique ; qu'il évalue les pertes de recettes éventuelles susceptibles, à court et moyen terme, d'affecter le contrat, en distinguant trois segments de marché différents, ainsi que les coûts supplémentaires éventuels liés à l'introduction du nouveau service et les bénéfices à court et moyen terme du service sur l'offre de transport et sur l'économie régionale ; que si certaines données ponctuelles, détaillant sur les segments de marchés examinés les recettes des trains régionaux, au demeurant connues de la région requérante, ainsi que l'estimation des pertes de recettes qui pourraient résulter du service projeté par la société Thello ont été occultées et n'apparaissent pas dans la motivation de l'avis, pour des motifs tenant au respect du secret des affaires, l'avis expose, à titre de synthèse de ces analyses détaillées, le montant estimé de la perte de recettes globale pour les trains régionaux et le compare au montant des recettes globales du contrat de service public ; que si, dans la partie de l'avis évaluant les bénéfices escomptés du nouveau service sur l'offre de transport dans la région et sur l'économie régionale, l'estimation par l'Autorité du chiffre d'affaires attendu du nouveau service a été, de même, occulté, les motifs de l'avis exposent que les recettes correspondantes reflètent la satisfaction d'une demande latente d'offre de transport des habitants de la région ; que l'avis expose ainsi, de façon suffisamment précise, les considérations de droit et de fait qui ont conduit l'Autorité à estimer que le projet de service de la société Thello n'était pas de nature à porter atteinte à l'équilibre économique du contrat de service public conclu entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la SNCF, sans que les occultations ponctuelles qui y ont été apportées pour des motifs tenant au respect du secret des affaires soient, en l'espèce, de nature à affecter la légalité de l'avis ;
7. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, l'avis attaqué, en faisant référence à la décision de l'Autorité du 27 février 2013, expose la méthode d'analyse suivie par l'Autorité et fait état des critères au vu desquels a été apprécié l'effet de nouveaux services sur l'équilibre économique du contrat de service public ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que les gares de Monaco et Vintimille sont situées hors du territoire français ; que la desserte ferroviaire de ces gares ne saurait, dès lors, être regardée comme une desserte intérieure au sens des dispositions précédemment citées du code des transports ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'Autorité, en excluant ces deux gares du champ de son analyse, aurait commis une erreur de droit ne peut qu'être écarté ;
9. Considérant, en cinquième lieu, que par l'avis attaqué, l'ARAF a évalué la substituabilité des services de transports régionaux exploités par la SNCF vers le service envisagé par la société Thello ; que, compte tenu des tarifs proposés par l'entreprise Thello, significativement plus élevés que le plein tarif des offres de la SNCF, l'ARAF a pu à bon droit estimer que ceux-ci n'inciteront pas les voyageurs à se reporter sur le nouveau service ;
10. Considérant, enfin, que, contrairement à ce qui est soutenu, l'Autorité n'avait pas à prendre en compte, dans son appréciation de l'impact sur l'équilibre économique du contrat de service public des dessertes intérieures du service international proposé par la société Thello, les coûts liés à la modification du cadencement des trains régionaux de la SNCF rendue nécessaire par la mise en place du service proposé par l'entreprise Thello, dès lors que ces coûts étaient la conséquence du droit d'accès accordé à la société Thello indépendamment du fait que ce service comporte ou non des dessertes intérieures ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée, que la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'avis attaqué ;
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur une somme de 3 000 euros à verser à l'Autorité au titre des sommes exposées par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur est rejetée.
Article 2 : La région Provence-Alpes-Côte d'Azur versera à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires.
Copie en sera adressée à la société Thello, à la Société nationale des chemins de fer français, à Réseau Ferré de France et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.