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20/03/2015 | FRANCE | N°371914

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 20 mars 2015, 371914


Vu le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget, enregistré le 4 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11VE04003 du 27 juin 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant que, faisant partiellement droit à l'appel formé par la société Compagnie générale de location d'équipement contre le jugement n° 1002918 du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Montreuil, il a ordonné la restitution, à hauteur de la somme de 243 602 euros, de la taxe sur la valeur aj

outée que la société a acquittée au titre de la période comprise entre l...

Vu le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget, enregistré le 4 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11VE04003 du 27 juin 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant que, faisant partiellement droit à l'appel formé par la société Compagnie générale de location d'équipement contre le jugement n° 1002918 du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Montreuil, il a ordonné la restitution, à hauteur de la somme de 243 602 euros, de la taxe sur la valeur ajoutée que la société a acquittée au titre de la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2004 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter, dans cette mesure, l'appel de la société ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la sixième directive 77/388/CE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 mars 2008 (C-98/07) Nordania Finans et BG Factoring ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la société Compagnie générale de location d'équipement ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Compagnie générale de location d'équipement exerce une activité de financement de voitures et de bateaux, soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, et une activité financière exonérée de cette taxe ; que, par deux réclamations datées du 28 décembre 2009, la société a sollicité, d'une part, la restitution, à hauteur de la somme de 243 602 euros, de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre de la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2004, en faisant valoir que le prorata de déduction de taxe afférent aux dépenses mixtes devait être augmenté à raison de la prise en compte, dans son calcul, du chiffre d'affaires de son activité de location-vente de voitures et de bateaux et, d'autre part, la restitution de la taxe sur les salaires acquittée au titre de la même année, en se prévalant également de son droit à la rectification du prorata de déduction de taxe sur la valeur ajoutée ; que ces réclamations ont été rejetées au motif qu'elles avaient été présentées après l'expiration du délai de réclamation et qu'elles étaient donc irrecevables ; que le ministre délégué, chargé du budget, demande l'annulation de l'arrêt du 27 juin 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant que, faisant partiellement droit à l'appel formé par la société Compagnie générale de location d'équipement contre le jugement du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Montreuil, il a ordonné la restitution, à hauteur de la somme demandée, de la taxe sur la valeur ajoutée que la société a acquittée au titre de l'année 2004 ;

2. Considérant qu'aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. /Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas:/ (...) c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation " ;

3. Considérant que, s'agissant des décisions et avis rendus au contentieux par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, le Tribunal des conflits et la Cour de justice de l'Union européenne, seuls ceux qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure de la règle de droit dont il a été fait application pour fonder l'imposition en litige sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement au sens du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre ; que si, en principe, tel n'est pas le cas d'un arrêt de la Cour de justice concernant la législation d'un autre Etat membre, une telle décision constitue également un événement de nature à motiver une réclamation portant sur cette période dans l'hypothèse où elle révèle, par l'interprétation qu'elle donne d'une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires : " (...) 2. Dans la mesure où les biens et services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :/ a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti (...) 5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction (...) et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations (...) " ; qu'aux termes de l'article 19 de cette directive : " 1. Le prorata de déduction, prévu par l'article 17 paragraphe 5 premier alinéa, résulte d'une fraction comportant :/ - au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction (...),/ - au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction (...) 2. Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, du montant du chiffre d'affaires afférent aux livraisons de biens d'investissement utilisés par l'assujetti dans son entreprise (...) " ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur l'année d'imposition en litige [0]: " 1. Les redevables qui, dans le cadre de leurs activités situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, ne réalisent pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction sont autorisés à déduire une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les biens constituant des immobilisations utilisées pour effectuer ces activités. / Cette fraction est égale au montant de la taxe déductible obtenu, après application, le cas échéant, des dispositions de l'article 207 bis, multiplié par le rapport existant entre :/ a) Au numérateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ;/ b) Au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction, et de l'ensemble des subventions, y compris celles qui ne sont pas directement liées au prix de ces opérations (...). 2. Par dérogation aux dispositions du 1, il est fait abstraction, pour le calcul du pourcentage de déduction, du montant du chiffre d'affaires afférent :/ a) aux cessions de biens d'investissements corporels ou incorporels (...) " ;

6. Considérant que, par un arrêt du 6 mars 2008 dans l'affaire C-98/07 Nordania Finans et BG Factoring, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le paragraphe 2 de l'article 19 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 doit être interprété en ce sens que la notion de " biens d'investissement utilisés par l'assujetti dans son entreprise " n'inclut pas les véhicules qu'une entreprise de crédit-bail acquiert en vue de les louer puis de les vendre à l'expiration des contrats de location-vente, dès lors que la vente de ces véhicules au terme de ces contrats fait partie intégrante des activités économiques habituelles de cette entreprise ;

7. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Compagnie générale de location d'équipement, l'arrêt précité du 6 mars 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes n'a pas révélé, au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et pour l'application du c de l'article R. 196-1 du même livre, la non-conformité au paragraphe 2 de l'article 19 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977, du a du 2 de l'ancien article 212 de l'annexe II au code général des impôts, désormais repris au a du 3° du 3 du III de l'article 206 de la même annexe ; que ces dispositions, qui prévoient la non-prise en compte, pour le calcul du prorata de déduction, des " biens d'investissements corporels ou incorporels ", doivent seulement être interprétées, compte tenu des termes de l'arrêt du 6 mars 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes mentionné ci-dessus, comme n'incluant pas dans leur champ d'application, les matériels et équipements qu'une entreprise de crédit-bail acquiert en vue de les louer puis, le cas échéant, de les vendre à l'expiration des contrats de location-vente dès lors que la vente de ces biens au terme de ces contrats fait partie intégrante des activités économiques habituelles de cette entreprise ;

8. Considérant par suite qu'en jugeant que l'arrêt précité du 6 mars 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes devait être regardé comme ayant révélé la non-conformité à une règle de droit supérieure, au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, des dispositions nationales dont il a été fait application à la société Compagnie générale de location d'équipement et, par conséquent, comme un événement ayant motivé sa réclamation au sens du c de l'article R. 196-1 du même livre, au motif qu'en ne transposant pas la restriction prévue au paragraphe 2 de l'article 19 de la sixième directive excluant de son champ d'application les biens d'investissements qui ne sont pas " utilisés par l'assujetti dans son entreprise ", les dispositions de droit interne contestées avaient pour effet d'exclure du calcul du prorata de déduction le chiffre d'affaires qu'une entreprise de crédit-bail réalise à l'occasion de la cession, à l'expiration des contrats de crédit-bail, des matériels et véhicules objets de ces contrats, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a ordonné la restitution, à hauteur de la somme de 243 602 euros, de la taxe acquittée par la société Compagnie générale de location d'équipement au titre de l'année 2004 ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ci-dessus ;

Sur la régularité du jugement :

10. Considérant qu'en jugeant que la société Compagnie générale de location d'équipement ne pouvait se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 190 et du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, de l'arrêt du 6 mars 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire C-98/07 Nordania Finans et BG Factoring au motif que l'interprétation, par la Cour, du paragraphe 2 de l'article 19 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 ne révélait aucune non-conformité des dispositions du a du 2 de l'ancien article 212 de l'annexe II au code général des impôts avec le droit de l'Union européenne, le tribunal administratif de Montreuil a suffisamment motivé son jugement ;

Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la réclamation préalable :

11. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 7, l'arrêt du 6 mars 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes ne peut pas être regardé comme ayant révélé la non-conformité au paragraphe 2 de l'article 19 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977, du a du 2 de l'ancien article 212 de l'annexe II au code général des impôts, au sens des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, et par suite, comme un événement ayant motivé les réclamations du 28 décembre 2009 de la société Compagnie générale de location d'équipement, au sens du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, la société n'était pas recevable à demander en 2009 la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre de l'année 2004 ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Compagnie générale de location d'équipement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil ne lui a pas accordé la restitution, à hauteur de la somme de 243 602 euros, de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée au titre de l'année 2004 ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'arrêt du 27 juin 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Compagnie générale de location d'équipement devant la cour administrative d'appel de Versailles tendant à la restitution, à hauteur de la somme de 243 602 euros, de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée au titre de l'année 2004 ainsi que celles présentées par elle devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Compagnie générale de location d'équipement.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 371914
Date de la décision : 20/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2015, n° 371914
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Egerszegi
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:371914.20150320
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