Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 23 août 2013 et 25 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune de Tignes, représentée par son maire ; la commune de Tignes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 12LY02273 du 20 juin 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé, sur la requête de M. B...A..., le jugement n° 0804943 du 10 juillet 2012 du tribunal administratif de Grenoble et l'arrêté du 25 juillet 2008 du préfet de la Savoie portant déclaration d'utilité publique pour les travaux de dérivation des eaux et l'instauration des périmètres de protection, et autorisation de l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine, ainsi que des prélèvements d'eau pour le compte de la commune de Tignes, en tant qu'il concerne le captage de la Sassière;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
-le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Tignes et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. A...;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1321-3 du même code ; " Les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. " ; qu'aux termes de l'article L. 1321-7 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 214 du code de l'environnement, est soumise à autorisation de l'autorité administrative compétente l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine, à l'exception de l'eau minérale naturelle, pour : /1° La production ; /2° La distribution par un réseau public ou privé, à l'exception de la distribution à l'usage d'une famille mentionnée au 3° du II et de la distribution par des réseaux particuliers alimentés par un réseau de distribution public ; /3° Le conditionnement. " ; qu'aux termes de l'article L. 215-13 du code de l'environnement : " La dérivation des eaux d'un cours d'eau non domanial, d'une source ou d'eaux souterraines, entreprise dans un but d'intérêt général par une collectivité publique ou son concessionnaire, par une association syndicale ou par tout autre établissement public, est autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux. " ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de la Savoie a, sur le fondement des dispositions qui viennent d'être rappelées, pris un arrêté le 25 juillet 2008, au bénéfice de la commune de Tignes, déclarant d'utilité publique des travaux de dérivation des eaux, instaurant des périmètres de protection et autorisant, d'une part, l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine et, d'autre part, des prélèvements d'eau pour le compte de la commune de Tignes en ce qui concerne les cinq captages de la Sassière, du Bois de l'Ours, des Marais, de la Sache et des Chardons ; que, par un jugement du 10 juillet 2012, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M.A..., dont l'exploitation agricole est située dans un périmètre de protection, tendant à l'annulation de cette décision, dans son entièreté ou, à tout le moins, en tant qu'elle concerne le captage de la Sassière ; que la commune de Tignes se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 juin 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et la décision litigieuse, en tant qu'ils concernent le captage de la Sassière ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la sous-section chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...) " ; qu'il ressort des pièces de la procédure que M. A...n'a pas soulevé, à l'appui de ses conclusions dirigées contre le jugement du 10 juillet 2012 du tribunal administratif de Grenoble, le moyen tiré de ce que l'avis du directeur de l'établissement public du parc national de la Vanoise n'avait pas été sollicité, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 214-10 du code de l'environnement alors en vigueur ; qu'en se fondant sur ce moyen qui, au demeurant, n'est pas d'ordre public, pour annuler l'arrêté litigieux, sans le communiquer aux parties, la cour a méconnu les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative et ainsi irrégulièrement statué ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'en l'absence de dispositions spécifiques définissant la procédure qui leur est applicable, les actes portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique rappelées ci-dessus sont régis par les dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué ; qu'aux termes de l'article R. 11-3 de ce dernier code ; " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I.-Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : (...) /5° L'appréciation sommaire des dépenses ; (...) " ; que l'appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête publique a pour objet de permettre à tous les intéressés de s'assurer que les travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement estimé à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique ; que, toutefois, la seule circonstance que certaines dépenses auraient été omises n'est pas par elle-même de nature à entacher d'irrégularité la procédure si, compte tenu de leur nature, leur montant apparaît limité au regard du coût global de l'opération et ne peut être effectivement apprécié qu'au vu d'études complémentaires postérieures, rendant ainsi incertaine leur estimation au moment de l'enquête ;
5. Considérant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d'enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ; que, pour juger illégal l'arrêté attaqué, en tant qu'il concernait l'un des cinq points de captage, la cour s'est fondée sur l'insuffisance de l'estimation sommaire des dépenses, qui ne tenait pas compte des sommes nécessaires à l'indemnisation de M. A...à raison des restrictions apportées à son activité agricole par les servitudes instituées dans le périmètre de protection ; qu'elle a relevé, pour retenir cette insuffisance, qu'il n'était pas démontré et ni même allégué que les sommes nécessaires à cette indemnisation seraient " tellement minimes " que leur omission serait sans incidence sur l'information du public et le choix opéré par l'autorité compétente ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'omission alléguée avait effectivement été, en l'espèce, et compte tenu de ce qui a été dit au point 4, de nature à nuire à l'information complète de la population ou avait exercé une influence sur la décision prise, la cour a méconnu, au prix d'une erreur de droit, les principes rappelés ci-dessus ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Tignes est, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
7. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...la somme que demande la commune de Tignes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Tignes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 20 juin 2013 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A...et la commune de Tignes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Tignes, à M. B...A..., à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et à la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.