Vu la procédure suivante :
Par une décision n° 360145 du 13 janvier 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ennemond Preynat et, d'autre part, rejeté la requête de cette société tendant, en premier lieu, à l'annulation de la décision implicite du président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation refusant de lui désigner d'office un nouvel avocat pour présenter un recours en révision contre la décision n° 306249 du 14 juin 2010 du Conseil d'Etat et, en second lieu, à ce qu'il soit enjoint au président de cet ordre de procéder à cette désignation dans un délai de trois jours à compter de la décision à venir sous peine d'astreinte de 3 000 euros par jour de retard.
Par une décision du 4 février 2014, le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a rejeté la demande de la société Ennemond Preynat tendant à la désignation d'office d'un avocat afin que celui-ci soit mandaté pour présenter un recours en révision contre la décision n° 360145 du 13 janvier 2014 du Conseil d'Etat statuant au contentieux ainsi qu'une action en désaveu dans le cadre de la procédure n° 348908 relative à la même société et une éventuelle demande d'abrogation des articles 1er à 3 du décret du 4 mai 2000 relatif à la partie réglementaire du code de justice administrative.
Par une requête, enregistrée le 27 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ennemond Preynat demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision du 4 février 2014 du président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
2°) d'enjoindre au président de cet ordre de désigner d'office un avocat aux fins de la représenter pour un recours en révision contre la décision du Conseil d'Etat du 13 janvier 2014 ;
3°) de mettre à la charge de cet ordre le versement d'une somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le décret n° 2000-389 du 4 mai 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Huet, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 11, 14 et 16 mars 2016, présentées par la société Ennemond Preynat ;
1. Considérant que par une décision n° 360145 du 13 janvier 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, relative à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, soulevée par la société Ennemond Preynat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a refusé de désigner d'office à celle-ci un nouvel avocat pour présenter un recours en révision contre la décision n° 306249 du 14 juin 2010 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, et a rejeté cette requête ; que par une décision du 4 février 2014, le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a rejeté la demande de la société Ennemond Preynat tendant ce qui lui soit désigné d'office un avocat pour présenter un recours en révision contre la décision n° 360145 ainsi que pour entreprendre une action en désaveu dans le cadre de la procédure n° 348908 engagée par la même société et une éventuelle demande d'abrogation des articles 1er à 3 du décret du 4 mai 2000 ; que la société requérante demande l'annulation de cette nouvelle décision de refus de désignation d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
2. Considérant que les conclusions à fin de renvoi pour cause de suspicion légitime ne peuvent tendre à ce qu'une affaire soit renvoyée d'une formation de la juridiction compétente à une autre formation de la même juridiction ; que, par suite, les conclusions présentées à cette fin par la société requérante sont irrecevables ;
Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
4. Considérant que dans un mémoire distinct déposé à l'appui de sa requête tendant à l'annulation, par la voie de l'excès de pouvoir, de la décision du 4 février 2014 du président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la société Ennemond Preynat demande le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du premier alinéa de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques aux termes duquel : " Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation " ; que ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, qui ont pour effet de réserver aux seuls avocats de cet ordre la représentation des parties devant le Conseil d'Etat lorsque le ministère d'avocat est rendu obligatoire par les règles de procédure en cause, sont applicables au présent litige, qui tend à l'annulation d'une décision du président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation refusant de désigner d'office un avocat pour introduire devant le Conseil d'Etat un recours en révision, lequel, en vertu de l'article R. 834-3 du code de justice administrative, ne peut être présenté que par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat ;
5. Considérant que la société requérante soutient que les dispositions législatives dont elle demande le renvoi au Conseil constitutionnel caractérisent une incompétence négative du législateur et, d'une part, sont contraires aux principes d'égalité devant la loi, d'impartialité et du droit à un recours juridictionnel effectif qui découlent des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, méconnaissent le principe de la souveraineté nationale qui découle de l'article 3 de la Constitution ;
6. Considérant, en premier lieu, que lorsque le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est saisi d'une demande de désignation d'un avocat de cet ordre pour former, devant le Conseil d'Etat, une requête en vue de laquelle l'intéressé n'a obtenu l'accord d'aucun avocat pour l'assister, une telle demande, qui a pour effet d'interrompre le délai du recours que l'intéressé envisageait d'introduire, ne peut être rejetée que si la requête projetée est manifestement dépourvue de chances raisonnables de succès ; que le Conseil d'Etat peut être saisi par l'intéressé d'un recours, lui-même dispensé du ministère d'avocat, afin de statuer sur la légalité d'une telle décision de rejet prise au nom de l'ordre ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en tant qu'elles réservent aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation la représentation des parties devant le Conseil d'Etat, les dispositions de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portent atteinte au droit à un recours effectif et au principe d'impartialité garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que par ailleurs ces dispositions législatives ne mettent en cause ni la définition de la souveraineté nationale ni les conditions de son exercice ; qu'enfin la circonstance que les conditions d'exercice de ce pouvoir du président de l'ordre ne soient pas précisées par ces dispositions législatives n'est pas de nature à affecter, par elle-même, l'exercice des droits et libertés garantis par la Constitution ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que la dispense du ministère d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dont bénéficie l'Etat résulte de dispositions réglementaires et non des dispositions législatives contestées ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que ces dernières, en raison de cette dispense, porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant la justice ;
8. Considérant, en troisième lieu, que si la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il est loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées à l'objectif poursuivi ; qu'en prévoyant que le monopole des avocats pour assister et représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions s'exerçait sous réserve des règles applicables aux avocats aux Conseils, le législateur a pris en compte, notamment, la spécificité procédurale du contentieux porté devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ; qu'ainsi, ces exceptions au monopole des avocats à la cour poursuivent un objectif d'intérêt général et ne portent pas à la liberté d'entreprendre de ceux-ci une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis ; qu'il suit de là que le grief tiré de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre n'a pas de caractère sérieux ;
9. Considérant enfin que la société requérante invoque la méconnaissance, par les dispositions contestées, de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ; que, toutefois, la méconnaissance de cet objectif ne peut, en elle-même, être utilement invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
11. Considérant que, dans son mémoire enregistré le 2 mars 2016, la société Ennemond Preynat, tout en développant de nouveaux arguments au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans son mémoire distinct du 19 janvier 2016, demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 ; que, toutefois, faute d'avoir été introduit par mémoire distinct dans les formes prescrites par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et l'article R. 771-13 du code de justice administrative, cette nouvelle question est irrecevable ;
Sur les autres moyens :
12. Considérant qu'aux termes de l'article R. 834-1 du code de justice administrative : " Le recours en révision contre une décision contradictoire du Conseil d'Etat ne peut être présenté que dans trois cas : 1° Si elle a été rendue sur pièces fausses ; 2° Si la partie a été condamnée faute d'avoir produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire ; 3° Si la décision est intervenue sans qu'aient été observées les dispositions du présent code relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu'à la forme et au prononcé de la décision " ; qu'aux termes de l'article R. 834-3 du même code : " Le recours en révision est présenté par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat, même si la décision attaquée est intervenue sur un pourvoi pour la présentation duquel ce ministère n'est pas obligatoire " ;
13. Considérant, en premier lieu, que l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est un auxiliaire du service public de la justice ; qu'à ce titre, il incombe à son président d'apprécier, sous le contrôle du juge de la légalité, s'il y a lieu de faire droit à une demande de désignation d'un avocat de cet ordre pour former devant le Conseil d'Etat une requête en vue de laquelle l'intéressé n'a obtenu l'accord d'aucun avocat pour l'assister ; qu'une telle demande ne peut être rejetée que si la requête projetée est manifestement dépourvue de chances raisonnables de succès ; qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par une requête de l'intéressé lui-même, dispensée du ministère d'avocat, de statuer sur la légalité de la décision prise au nom de l'ordre ; que, compte tenu de ces garanties, la circonstance que l'ordre refuse de désigner l'un de ses membres, alors même que la recevabilité de la requête est subordonnée à sa présentation par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ne constitue pas, par elle-même, une méconnaissance du principe constitutionnel du droit pour les personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction, rappelé par les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les moyens par lesquels la société Ennemond Preynat soutient que ce principe et ces stipulations ont été méconnus ne peuvent qu'être rejetés ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la requête en révision déposée par la société Ennemond Preynat ne relevait d'aucune des trois hypothèses limitativement énumérées par l'article R. 834-1 précité du code de justice administrative ; que cette requête était ainsi manifestement dépourvue de toute chance raisonnable de succès ; que la société Ennemond Preynat n'est ainsi pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le président de l'ordre a refusé de désigner d'office un avocat pour donner suite à cette demande ;
15. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions régissant la procédure à suivre devant les juridictions administratives, qui ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou par d'autres dispositions constitutionnelles, relèvent de la compétence réglementaire ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les articles 1er à 3 du décret du 4 mai 2000 relatif à la partie réglementaire du code de justice administrative sont entachés d'incompétence en tant qu'ils codifient les dispositions relatives au ministère d'avocat obligatoire ;
16. Considérant enfin que les moyens tirés, d'une part, de la méconnaissance du principe de la prééminence du droit garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, de l'irrespect du principe du contradictoire par le Conseil d'Etat dans la procédure n° 360145 sont inopérants dans le présent litige ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des conclusions de la requête de la société Ennemond Preynat, y compris celles à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Ennemond Preynat.
Article 2 : La requête de la société Ennemond Preynat est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ennemond Preynat, à l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.