Vu la procédure suivante :
La société commerciale de Taiarapu Est a demandé au tribunal administratif de Polynésie française d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté n° 11 CM du 23 janvier 2009 du conseil des ministres de Polynésie française autorisant la société commerciale de Tahiti Iti à exploiter un hypermarché de 3 460 m² de surface de vente sous l'enseigne Carrefour dans la commune de Taiarapu Est. Par un jugement n° 0900146 du 6 octobre 2009, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 10PA00077 du 18 octobre 2012, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société commerciale de Taiarapu Est contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique enregistrés les 10 avril et 10 juillet 2013, le 29 juin et le 18 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société commerciale de Taiarapu Est demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 74 ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 355 ;
- la délibération 94-163 AT du 22 décembre 1994 de la commission permanente de l'assemblée territoriale de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 mars 2016, présentée par la société commerciale de Taiarapu Est ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin de Maillard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société commerciale de Taiarapu Est, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société commerciale de Tahiti Iti et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Présidence de la Polynésie française ;
1. Considérant que par un arrêté n° 11 CM du 23 janvier 2009, le conseil des ministres de la Polynésie française a accordé à la société commerciale de Tahiti Iti l'autorisation d'exploiter un hypermarché de 3 460 m² de surface de vente sous l'enseigne " Carrefour " sur le territoire de la commune de Taiarapu Est ; que la société commerciale de Taiarapu Est se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Polynésie française ayant rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Considérant, d'une part, que l'invocation par la société requérante, devant le tribunal administratif, d'une atteinte à la libre concurrence n'était présentée qu'à l'appui d'un moyen tiré d'une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ; qu'ainsi, c'est sans se méprendre sur la portée des écritures de première instance que la cour a jugé que le tribunal administratif avait pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, écarter ce moyen sans se prononcer spécifiquement sur l'atteinte alléguée à la libre concurrence ;
3. Considérant, d'autre part, que la cour n'était pas tenue de répondre à tous les arguments présentés à l'appui du moyen tiré de ce que la délibération litigieuse n'avait pas fait une exacte application des critères au vu desquels une autorisation d'exploitation d'une surface de vente au détail est accordée en Polynésie française, dont le critère tiré de l'impact du projet en matière de relations concurrentielles ; que par suite, elle n'a pas entaché son arrêt d'irrégularité en ne se prononçant pas explicitement sur les effets de certaines spécificités du marché polynésien en matière de relations concurrentielles ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
4. Considérant qu'aux termes de l'article A de la délibération du 22 décembre 1994 règlementant l'implantation de certains commerces de vente au détail en Polynésie française, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " La liberté et la volonté d'entreprendre sont les fondements des activités commerciales. Celles-ci s'exercent dans un cadre de concurrence saine et loyale. / (...) / Les pouvoirs publics territoriaux veillent à ce que l'essor du commerce permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes de distribution ne provoque des bouleversements profonds et inappropriés de l'équilibre du tissu commercial " ; que son article 1er dispose que : " Il est institué un régime d'autorisation préalable en matière de création, extension ou transformation de magasins de commerce de détail dans les cas suivants : [...] 1°. Sur l'île de Tahiti, pour les projets de construction nouvelle entraînant création de magasins de commerce de détail d'une surface de plancher hors-oeuvre supérieure à 1 200 m² ou d'une surface de vente supérieure à 600 m²(...) " ; qu'aux termes de son article 4 : " Il est institué une commission d'implantation des grandes surfaces commerciales chargée de donner son avis sur les projets commerciaux définis à l'article 1er ; " qu'enfin son article 5, dans sa rédaction applicable en l'espèce, dispose que : " La commission d'implantation des grandes surfaces commerciales, dans la limite de ses compétences, donne un avis sur l'impact du projet en matière : - de relations concurrentielles ; - d'emploi ; - d'animation de la vie urbaine ; - et d'équilibre et d'organisation du commerce. Pour fonder son avis, la commission précitée prend connaissance des études et analyses contenues dans un rapport établi par le service instructeur " ;
5. Considérant, qu'en vertu de ces dispositions, il appartient aux autorités compétentes pour se prononcer sur une demande d'autorisation d'implantation d'une surface commerciale en Polynésie française, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si ce projet est de nature à compromettre, dans la zone de chalandise concernée, les objectifs fixés par l'article A de cette délibération du 22 décembre 1994, compte tenu des critères posés en son article 5 ; que la création ou l'extension d'une surface commerciale ne peut ainsi être légalement accordée si elle a pour effet de méconnaitre l'objectif d'une concurrence saine et loyale ou de provoquer des bouleversements profonds et inappropriés de l'équilibre du tissu commercial eu égard à l'impact du projet en matière de relations concurrentielles, d'emploi, d'animation de la vie urbaine et d'équilibre et d'organisation du commerce ; que par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en vérifiant, pour l'application de la délibération du 22 décembre 1994, que les autorités compétentes n'avaient pas méconnu les objectifs fixés par cette délibération, notamment, l'absence de bouleversements profonds et inappropriés de l'équilibre du tissu commercial dans la zone de chalandise ;
6. Considérant que la cour administrative d'appel de Paris, en estimant que le projet en cause ne méconnaissait pas les objectifs posés par l'article A de la délibération du 22 décembre 1994, notamment en ce qu'il avait un effet positif sur l'emploi et l'animation de la vie urbaine et qu'il n'était pas de nature à bouleverser l'équilibre du tissu commercial dans la zone de chalandise concernée, a souverainement apprécié les pièces dont elle était saisie sans les dénaturer ;
7. Considérant qu'il résulte des termes mêmes de son arrêt que si la cour a relevé que la société requérante ne présentait pas de données chiffrées concordantes en termes d'années utiles et de lieux, elle ne s'est pas fondée sur ce motif pour écarter les moyens d'appel articulés devant elle ; que, par suite, les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif surabondant sont inopérants ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Polynésie française qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante la somme de 1 500 euros chacun à verser respectivement à la société commerciale de Tahiti Iti et à la Polynésie française, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société commerciale de Taiarapu Est est rejeté.
Article 2 : La société commerciale de Taiarapu Est versera une somme de 1 500 euros respectivement à la société commerciale de Tahiti Iti et à la Polynésie française.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société commerciale de Taiarapu Est, à la société commerciale de Tahiti Iti et à la Polynésie française.