Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 avril et 28 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :
1°) de condamner l'Etat à lui verser un somme de 19 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative, majorée des intérêts et de leur capitalisation à compter du 12 août 2014, date de sa demande d'indemnisation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...soutient que la durée de la procédure, qui comprend l'ensemble de la phase administrative préalable à la procédure juridictionnelle, soit onze ans et sept mois, a excédé un délai raisonnable de jugement et lui a causé un préjudice moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut à ce que le préjudice soit indemnisé en allouant au requérant une somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin de Maillard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; qu'enfin, lorsque des dispositions applicables à la matière faisant l'objet d'un litige organisent une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la durée globale de jugement doit s'apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable ;
2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 28 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date à laquelle M. B... a saisi l'administration : " Tout bénéficiaire d'une pension temporaire chez qui s'est produite une complication nouvelle ou une aggravation de son infirmité peut, sans attendre l'expiration de la période de trois ans prévue à l'article L. 8, adresser une demande de révision sur laquelle le médecin-chef du centre de réforme doit formuler une proposition de liquidation dans les deux mois qui suivent le dépôt de la demande, selon les modalités définies à l'article L. 6 " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...a, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, saisi le 13 décembre 2002 la direction interdépartementale compétente d'une réclamation tendant à la révision de sa pension d'invalidité pour aggravation ; que l'administration a accusé réception de sa demande le 17 janvier 2003 en l'informant de l'instruction de son dossier et d'une prochaine convocation pour expertise médicale ; qu'en dépit de plusieurs relances de M.B..., la procédure administrative ne s'est achevée que le 18 février 2008 par un arrêté du ministre chargé des anciens combattants rejetant sa demande de révision ; que le requérant a saisi le tribunal départemental des pensions militaires du Var le 21 mars 2008 ; que sa requête a été transférée au tribunal des pensions de Marseille, nouvelle juridiction compétente, qui a statué par un jugement du 3 juillet 2014 ;
4. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 1, la durée globale de jugement d'un litige inclut la durée de la phase de recours administratif préalable obligatoire ; que la durée des recours administratifs non obligatoires n'est ainsi pas prise en compte ; que si la procédure administrative d'instruction de la demande de révision d'une pension d'invalidité pour complication nouvelle ou aggravation n'est pas formellement imposée comme un préalable obligatoire avant la saisine du juge, eu égard néanmoins à ses caractéristiques particulières, notamment à la mise en oeuvre d'une expertise préalable et nécessaire à l'intervention du juge, sa durée doit être incluse dans le calcul de la durée globale de la procédure juridictionnelle ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le calcul de la durée globale de la procédure juridictionnelle engagée par M. B...doit s'apprécier à compter, de la date de sa demande de révision de sa pension auprès du ministre de la défense ; qu'il résulte de l'instruction que la durée globale de cette procédure a été de plus de onze ans et six mois ; que, d'une part, la circonstance que M. B...a, ainsi que l'a constaté le jugement du 3 juillet 2014, renoncé à certaines de ses conclusions en cours d'instance devant le tribunal des pensions de Marseille, est sans incidence sur l'appréciation du caractère excessif de la durée de la procédure de jugement ; que, d'autre part, à supposer même que la situation médicale de M. B...aurait présenté un caractère complexe, l'affaire ne présentait pas de difficulté spécifique et nécessitait, compte tenu des conséquences de la décision attaquée sur la situation de l'intéressé, une diligence particulière ; qu'enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas même allégué, que l'intéressé aurait concouru à l'allongement de cette procédure ; que, par suite, M. B...est fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et à demander, pour ce motif, la réparation des préjudices qu'il a subis ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 8 000 euros, y compris tous intérêts capitalisés à la date de la présente décision ;
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. B...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B...la somme de 8 000 euros.
Article 2 : L'Etat versera à M. B...la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de la défense.