Vu la procédure suivante :
Mme D...A...a demandé à la commission départementale d'aide sociale de La Réunion d'annuler la décision prise par le directeur de la caisse d'allocations familiales de La Réunion le 26 février 2010 de récupérer un indu de revenu minimum d'insertion de 13 538,40 euros pour la période de mars 2008 à décembre 2009. Par une décision n° 1129197 du 3 décembre 2015, la commission départementale d'aide sociale de La Réunion a confirmé l'indu, limité à 6 069,20 euros le montant restant à sa charge et mis la somme de 6 769,20 euros à la charge de M. C...B....
Par une décision n° 160141 du 27 septembre 2017, la Commission centrale d'aide sociale a annulé la décision de la commission départementale d'aide sociale de La Réunion en tant qu'elle statue à l'égard de M. B...et rejeté le recours de MmeA....
Par un pourvoi, enregistré le 17 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge du département de La Réunion la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,
- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme D... A...et M. C...B..., qui ont vécu en concubinage et élevé ensemble leur fille de 2002 à septembre 2010, ont bénéficié du revenu minimum d'insertion pour leur foyer. Le 26 février 2010, la caisse d'allocations familiales de La Réunion a décidé de récupérer auprès de Mme A...un indu de revenu minimum d'insertion de 13 538,40 euros, au titre de la période de mars 2008 à décembre 2009, après avoir établi l'existence de ressources non déclarées sur cette période. MmeA..., désormais séparée de M.B..., a saisi la commission départementale d'aide sociale de La Réunion qui, par une décision du 3 décembre 2015, a jugé l'indu fondé mais a limité à 6 069,20 euros le montant restant à sa charge, compte tenu d'un versement déjà effectué de 700 euros, et mis la somme de 6 769,20 euros à la charge de M. B.... Par une décision du 27 septembre 2017, la Commission centrale d'aide sociale a annulé la décision de la commission départementale en tant qu'elle statuait à l'égard de M. B... et rejeté le recours de Mme A...en jugeant qu'elle était redevable de la somme de 12 838,40 euros compte tenu de la somme de 700 euros déjà acquittée. Mme A...se pourvoit en cassation contre cette décision.
Sur la régularité de la décision de la Commission centrale d'aide sociale :
2. Aux termes de l'article L. 134-9 du code de l'action sociale et des familles, applicable à la procédure devant les juges du fond : " Le demandeur, accompagné de la personne ou de l'organisme de son choix, est entendu lorsqu'il le souhaite, devant la commission départementale et la commission centrale d'aide sociale ". Ces dispositions imposaient à la Commission centrale d'aide sociale de mettre les parties à même d'exercer la faculté qui leur était ainsi reconnue. A cet effet, elle devait soit avertir les parties de la date de la séance, soit les inviter à l'avance à lui faire connaître si elles avaient l'intention de présenter des explications orales pour qu'en cas de réponse affirmative de leur part, elle avertisse ultérieurement de la date de la séance celles des parties qui auraient manifesté une telle intention. En outre, le caractère contradictoire de la procédure lui interdisait de se fonder sur des mémoires ou des pièces si les parties n'avaient pas été effectivement mises à même d'en prendre connaissance et de faire connaître les observations qu'ils appelaient de leur part.
3. Il ressort des pièces de la procédure devant les juges du fond que Mme A... a été avertie, par un courrier de la Commission centrale d'aide sociale du 25 août 2016, l'invitant à faire connaître son intention dans le délai d'un mois, qu'elle pouvait demander à être entendue par cette juridiction lors de la séance de jugement et venir consulter au greffe le dossier concernant le litige qui l'opposait au département de La Réunion, que ce département avait produit. Contrairement à ce que soutient MmeA..., ni la circonstance qu'elle n'a pas été informée de ce que le département n'avait pas produit de mémoire en défense, ni celle qu'elle n'a pas été en mesure de consulter le dossier, qui était le même que celui soumis à la commission départementale d'aide sociale, ni celle qu'elle n'a pas été informée de la date d'audience, dès lors qu'elle n'avait pas fait connaître son intention de présenter des explications orales, n'ont entaché d'irrégularité la procédure au terme de laquelle la Commission centrale d'aide sociale a statué.
Sur la régularité de la décision de la commission départementale d'aide sociale de La Réunion :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction découlant de l'abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011 : " La commission départementale est présidée par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu ou le magistrat désigné par lui pour le remplacer. / (...) / Les fonctions de rapporteur sont assurées par le secrétaire de la commission. (...) / Le secrétaire, les rapporteurs et les commissaires du Gouvernement sont choisis parmi les fonctionnaires ou magistrats en activité ou à la retraite ". Il résulte de ces dispositions que les fonctions de rapporteur de la commission départementale d'aide sociale de La Réunion pouvaient être assurées de façon régulière, dans le litige opposant Mme A...au département de La Réunion, par un fonctionnaire de la direction de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale, secrétaire de la commission. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la commission départementale aurait, du fait de la présence de ce fonctionnaire, statué dans une composition irrégulière.
5. En second lieu, le moyen tiré de ce que la commission départementale d'aide sociale n'aurait pas respecté les dates d'audience et de lecture qui lui avaient été indiquées est nouveau en cassation et n'est pas d'ordre public. Il ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.
Sur le bien-fondé de la décision de la Commission centrale d'aide sociale, en tant qu'elle statue sur le bien-fondé de l'indu :
6. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des décisions de classement sans suite prises par le ministère public, quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Par suite, la Commission centrale d'aide sociale n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le classement sans suite, par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Denis-de-La-Réunion, le 14 novembre 2012, de la plainte déposée par la caisse d'allocations familiales de La Réunion contre Mme A...ne faisait pas obstacle à ce que cette caisse puis le juge de l'aide sociale portent leur propre appréciation sur la nature des sommes qui lui avaient été versées par sa mère et reconnaissent l'existence d'une omission déclarative ainsi que d'un indu de revenu minimum d'insertion.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 262-10 du code de l'action sociale et des familles, applicable au revenu minimum d'insertion : " L'ensemble des ressources des personnes retenues pour la détermination du montant du revenu minimum d'insertion est pris en compte pour le calcul de l'allocation. / Toutefois, certaines prestations sociales à objet spécialisé ainsi que la prime instituée par l'article L. 322-12 du code du travail et les primes forfaitaires instituées respectivement par les articles L. 262-11 du présent code, L. 524-5 du code de la sécurité sociale et L. 351-20 du code du travail, peuvent, selon des modalités fixées par voie réglementaire, être exclues, en tout ou en partie, du montant des ressources servant au calcul de l'allocation. (...) ". En vertu de l'article R. 262-6 du même code, ne sont pas pris en compte dans les ressources, pour le calcul des droits à cette allocation : " (...) 10° les aides et secours financiers dont le montant ou la périodicité n'ont pas de caractère régulier ainsi que les aides et secours affectés à des dépenses concourant à l'insertion du bénéficiaire et de sa famille notamment dans les domaines du logement, des transports, de l'éducation et de la formation (...) ".
8. Les aides et secours mentionnés au 10° de l'article R. 262-6 du code de l'action sociale et des familles visent, en application de l'article L. 262-10 du même code, des prestations sociales à objet spécialisé et non des aides apportées par des parents ou amis, lesquelles doivent être prises en compte dans le calcul des ressources même en l'absence de décision de justice et quel que soit l'usage qui en est fait. Par suite, en jugeant que les sommes régulièrement reçues de sa mère par MmeA..., en 2008 et 2009, devaient être prises en compte dans ses ressources, la Commission centrale d'aide sociale n'a pas commis d'erreur de droit. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que Mme A...ne pouvait utilement se prévaloir de la circulaire du 26 mars 1993 relative à la détermination de l'allocation de revenu minimum d'insertion ni de la réponse faite par un ministre à la question d'un parlementaire.
9. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au revenu minimum d'insertion : " Le revenu minimum d'insertion varie dans des conditions fixées par voie réglementaire selon la composition du foyer et le nombre de personnes à charge (...) ". L'article L. 262-3 du même code précise que le bénéficiaire du revenu minimum d'insertion a droit à une allocation égale à la différence entre le montant de ce revenu et l'ensemble des ressources des personnes retenues pour la détermination de ce montant. Aux termes de l'article L. 262-41 du même code, dans sa rédaction applicable à cette allocation : " Tout paiement indu d'allocations (...) est récupéré par retenue sur le montant des allocations (...) à échoir ou par remboursement de la dette selon des modalités fixées par voie réglementaire. / Toutefois, le bénéficiaire peut contester le caractère indu de la récupération devant la commission départementale d'aide sociale dans les conditions définies à l'article L. 262-39 (...) ". Aux termes de l'article R. 262-43 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " S'il s'agit d'un couple, l'allocataire est celui qui est désigné d'un commun accord ; si ce droit d'option n'est pas exercé, l'allocataire est celui que désigne le président du conseil général. / Toutefois, lorsqu'un des membres du couple a déjà la qualité d'allocataire en matière de prestations familiales, il est également allocataire au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion sauf s'il ne remplit pas les conditions d'ouverture du droit ; dans ce cas, l'autre membre du couple est allocataire ".
10. Il résulte des dispositions des articles L. 262-2 et L. 262-3 du code de l'action sociale et des familles que le revenu minimum d'insertion a pour objet de porter les ressources de l'ensemble du foyer à un niveau garanti. Par suite, alors même qu'un seul des membres du foyer a été désigné comme allocataire, les sommes qui ont été indument perçues au titre de l'allocation peuvent en principe être récupérées, en tout ou partie, tant auprès de l'allocataire que de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin, lorsque cette personne a été prise en compte pour le calcul du revenu garanti. En effet, en cas de mariage ou de pacte civil de solidarité, chacun des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité peut être, le cas échéant, appelé à répondre solidairement d'une telle dette sur le fondement, respectivement, des articles 220 et 515-4 du code civil et, en cas de concubinage, eu égard à l'objet de l'allocation et à son mode de calcul, les concubins sont tenus solidairement au remboursement de l'indu à raison du bénéfice qu'ils en ont l'un et l'autre retiré. Par ailleurs, il appartient au président du conseil général, devenu président du conseil départemental, de prendre en considération, dans l'exercice de son pouvoir de remise ou de réduction de la créance à titre gracieux, la situation de chacun des intéressés à la date à laquelle il se prononce.
11. Il résulte de ce qui précède que la Commission centrale d'aide sociale, qui a relevé que Mme A...et M. B...avaient tous deux signé la demande de revenu minimum d'insertion présentée le 28 février 2007 pour un foyer composé de trois personnes ainsi que les déclarations trimestrielles de ressources et que Mme A...n'établissait pas que l'allocation aurait été perçue par M. B...uniquement, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la caisse d'allocation familiales avait pu décider de récupérer l'indu à l'encontre de MmeA..., alors même que la demande de revenu minimum d'insertion avait été présentée par M.B....
12. En dernier lieu, la question de savoir si la décision attaquée de récupération d'indu du 26 février 2010 a pu valablement interrompre le délai de prescription est sans incidence sur la régularité et le bien-fondé de cette décision, objet du présent litige. Il y a lieu de substituer ce motif, qui justifie le dispositif de la décision de la Commission centrale sur ce point, au motif tiré de l'interruption de la prescription qu'elle a retenu. Par suite, les moyens tirés de ce que la Commission centrale d'aide sociale aurait insuffisamment motivé sa décision, commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en regardant cette décision comme interruptive du délai de prescription ne peuvent qu'être écartés.
Sur la décision de la Commission centrale d'aide sociale, en tant qu'elle annule partiellement la décision de la commission départementale :
13. Par sa décision du 3 décembre 2015, la commission départementale d'aide sociale de La Réunion a réduit à 6 069,20 euros le montant de l'indu réclamé à MmeA.... Sur l'appel de celle-ci, la Commission centrale d'aide sociale a annulé la décision de la commission départementale dans cette mesure, en rétablissant le montant de l'indu à rembourser par l'intéressée à la somme de 13 538,40 euros, sous réserve d'une somme de 700 euros déjà acquittée par elle. En statuant ainsi alors qu'elle n'était saisie que par le seul appel de Mme A..., en l'absence de tout appel incident, la Commission centrale d'aide sociale a commis une erreur de droit. Il s'ensuit que Mme A...est fondée à demander l'annulation de la décision de la Commission centrale en tant qu'elle met à sa charge une somme de 13 538,40 euros au lieu de 6 069,20 euros.
14. Aucune question ne reste à juger sur ce point. Dès lors, il n'y a lieu ni de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ni de la renvoyer dans cette même mesure à la cour administrative d'appel de Paris.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de La Réunion une somme de 300 euros à verser à Mme A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Commission centrale d'aide sociale du 27 septembre 2017 est annulée en tant qu'elle met à la charge de Mme A...une somme de 13 538,40 euros au lieu de 6 069,20 euros.
Article 2 : Le département de La Réunion versera une somme de 300 euros à Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A...est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D...A...et au département de La Réunion.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé et à la caisse d'allocations familiales de La Réunion.