Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 15 et 25 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Mayotte demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 20-DCC-072 du 26 mai 2020 de l'Autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle exclusif de la société Vindémia Group par la société Groupe Bernard Hayot ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'en premier lieu, la prise de contrôle de la société Vindémia par la société Groupe Bernard Hayot (GBH) peut intervenir à tout moment, qu'en deuxième lieu, les engagements pris par GBH sont insusceptibles d'enrayer les atteintes portées à la concurrence sur le territoire de Mayotte et qu'en dernier lieu, l'opération autorisée est susceptible d'aboutir au verrouillage du marché mahorais eu égard au caractère verticalement intégré de la société GBH ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- en l'absence d'engagement sur la diversité de l'offre et sur les prix, la décision contestée, qui permet notamment la prise de contrôle par GBH de trente et un magasins de proximité, a pour effet de conférer à l'enseigne Carrefour une position dominante sur l'île de Mayotte lui permettant ainsi de se comporter de manière indépendante sur des zones où les consommateurs ne disposent pas d'alternative d'approvisionnement ;
- l'appréciation portée par l'Autorité de la concurrence sur les mesures correctives proposées par GBH est erronée dès lors que, d'une part, la cession de points de vente sur l'île de La Réunion est sans incidence sur la situation de la distribution à Mayotte et que, d'autre part, les engagements comportementaux souscrits par GBH présentent peu d'intérêt au regard des risques induits par le passage de 40 % des parts de marchés sous l'enseigne unique Carrefour ;
- la décision contestée a pour effet, en ce qui concerne le marché de la distribution en amont, de permettre à GBH d'éliminer la concurrence sur le marché des grossistes importateurs ;
- elle a pour effet, en ce qui concerne le marché de la distribution en aval, en premier lieu, de conserver aux filiales de GBH l'exclusivité de la vente de marques notoires et, en second lieu, de leur permettre de vendre aux consommateurs à un prix inférieur au prix de revient de produits similaires pour les distributeurs concurrents ;
- la conjonction de l'intégration verticale de GBH et de la maîtrise des budgets de coopération commerciale par le grossiste importateur crée la capacité et l'incitation à adopter une stratégie de verrouillage par les intrants ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit eu égard à l'absence de désignation par l'Autorité de la concurrence d'un mandataire indépendant chargé de veiller au respect des engagements pris par GBH.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2020, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient que l'association requérante ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés par la requête n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, les sociétés Casino Guichard-Perrachon et Vindémia Group concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'association requérante la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés par la requête n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, la société Groupe Bernard Hayot conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'association requérante la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés par la requête n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 1er juillet 2020, les sociétés Casino Guichard-Perrachon et Vindémia Group concluent au non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par la CPME Mayotte.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 1er juillet 2020, la société Bernard Hayot conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par la CPME Mayotte.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 2 juillet 2020, la CPME Mayotte demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 26 mai 2020 en tant qu'elle précise les engagements au respect desquels l'Autorité de la concurrence a subordonné l'autorisation de prise de contrôle exclusif de la société Vindémia par la société GBH.
La requête a été communiquée au ministre de l'économie et des finances qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 2 juillet 2020 à 20 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Le 24 janvier 2020, la société Groupe Bernard Hayot (GBH) a adressé à l'Autorité de la concurrence un dossier de notification relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Vindémia Group qui intervient notamment dans le secteur de la distribution alimentaire à Mayotte et sur l'île de La Réunion. Par une décision n° 20-DCC-072 du 26 mai 2020, l'Autorité de la concurrence a autorisé cette opération de concentration, sous réserve de la mise en oeuvre de divers engagements structurels et comportementaux. Par deux décisions n° 20-DCC-069 et n° 20-DCC-074 des 19 et 26 mai 2020, l'Autorité de la concurrence a, dans le cadre de la même opération, autorisé d'une part, la prise de contrôle conjoint par les sociétés Aram Financial et Victor Bellier Participation de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire situés à La Réunion et, d'autre part, la prise de contrôle exclusif par la société Ah-Tak de deux fonds de commerce à dominante alimentaire situés dans la même île. La CPME Mayotte demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 20-DCC-072 de l'Autorité de la concurrence.
3. Il résulte de l'instruction que la prise de contrôle exclusif de la société Vindémia Group par la société GBH, autorisée par la décision du 26 mai 2020 de l'Autorité de la concurrence, a été réalisée le 30 juin 2020 par la cession de l'intégralité du capital correspondant. La décision contestée du 26 mai 2020 de l'Autorité de la concurrence ayant ainsi été entièrement exécutée, les conclusions tendant à la suspension de son exécution sont devenues sans objet en tant que cette décision autorise l'opération de concentration. En revanche, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à sa suspension en tant qu'elle comporte la prise d'engagements structurels et comportementaux auxquels l'Autorité de la concurrence a entendu subordonner son autorisation.
4. Pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, la CPME Mayotte fait valoir que la prise de contrôle de la société Vindémia par la société GBH porte une atteinte grave et immédiate au maintien d'une concurrence effective sur le marché de la distribution à Mayotte, eu égard à l'insuffisance des engagements pris par GBH et à la circonstance que la décision contestée, qui permettra à GBH d'être horizontalement et verticalement présente à Mayotte, pourrait aboutir à une stratégie de verrouillage du marché par les intrants.
5. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.
6. En premier lieu, s'agissant du maintien de la concurrence sur le marché de la distribution au détail à Mayotte, la CPME soutient que l'opération contestée aboutit à la reprise par GBH de 34 structures de distribution, d'une activité de grossiste-importateur et d'une plateforme logistique. Toutefois, il est constant que la société GBH n'était pas, à la date de la décision contestée, présente sur le marché de la distribution à Mayotte de sorte que l'opération autorisée par l'Autorité de la concurrence aboutit, pour ce qui concerne le territoire mahorais, à la substitution d'un opérateur à un autre et non à une opération de concentration. Dès lors, si la requérante évoque l'insuffisance des engagements pris par GBH en ce qu'ils seraient sans influence sur le territoire de Mayotte, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard à l'absence de modification de la structure concurrentielle du marché mahorais, que l'Autorité de la concurrence aurait porté une appréciation erronée du territoire de Mayotte en ne sollicitant pas de GBH des engagements concernant ce marché. Enfin, si la CMPE fait valoir que le passage de 31 supérettes de proximité, actuellement exploitées sous quatre enseignes différentes, sous l'enseigne unique Carrefour aura pour conséquence de modifier les rapports concurrentiels sur l'île de Mayotte, il résulte de l'instruction, d'une part, que les activités exercées par les opérateurs intéressés ne se chevauchent pas et, d'autre part, que l'opération contestée n'a pas pour conséquence de modifier l'importance respective des surfaces de vente des différents opérateurs.
7. En second lieu, s'agissant du caractère verticalement intégré de la société GBH, la CPME soutient que l'opération contestée a pour conséquence de lui conférer une position de grossiste-importateur et ainsi de lui permettre d'adopter une stratégie de verrouillage du marché par les intrants. Toutefois, il résulte de l'instruction que la réalisation de l'opération contestée permet seulement à la société GBH, qui n'était pas présente sur le marché de la distribution en amont à Mayotte, d'exercer une activité de grossiste-importateur similaire à celle qu'exerçait la société Vindémia via l'intermédiaire de la société SDCOM. Dès lors, en l'absence d'atteinte à la concurrence sur le marché mahorais, la circonstance qu'aucun engagement structurel n'ait été exigé de la société GBH n'est pas de nature à caractériser une situation d'urgence.
8. Par suite, la CPME ne justifie pas, en l'état de l'instruction, que la décision contestée, en tant qu'elle comporte des engagements structurels et comportementaux, porterait une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de la concurrence sur le marché de la distribution à Mayotte, impliquant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de cette décision soit suspendue.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, la condition d'urgence n'étant pas remplie, les conclusions tendant à la suspension de la décision contestée en tant qu'elle comporte des engagements doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête ni de se prononcer sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité, dans cette mesure, de la décision contestée.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association requérante les sommes que les sociétés Casino Guichard-Perrachon et Vindémia Group et la société GBH demandent au même titre.
O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la CPME Mayotte tendant à la suspension de l'exécution de la décision n° 20-DCC-072 du 26 mai 2020 de l'Autorité de la concurrence en tant qu'elle autorise la prise de contrôle exclusif de la société Vindémia par la société GBH.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la CPME Mayotte est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par les sociétés Casino Guichard-Perrachon et Vindémia Groupe et la société GBH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Confédération des petites et moyennes entreprises Mayotte, à l'Autorité de la concurrence, à la société Casino Guichard-Perrachon, à la société Vindémia Groupe et à la société Groupe Bernard Hayot.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.