Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 et 27 avril 2020 et le 21 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article LP 56 de la " loi du pays " n° 2020-12 du 21 avril 2020 ;
2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution notamment son article 74 ;
- la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2020, présentée par M. B... ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la Présidence de la Polynésie française et de l'assemblée de la Polynésie française ;
Considérant ce qui suit :
1. L'assemblée de la Polynésie française a adopté le 17 avril 2020, sur le fondement de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la " loi du pays " n°2020-3 LP/APF portant diverses mesures d'urgence en matière économique en raison de l'épidémie de covid-19. Le président de la Polynésie française a promulgué cette " loi du pays ", sous le n° 2020-12, le 21 avril 2020. M.B..., en sa qualité de membre du conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie française, a saisi le Conseil d'Etat d'une requête tendant à l'annulation de l'article LP 56 de cette " loi du pays ".
Sur l'exercice des recours :
2. De façon générale, l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " (...) II. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, l'acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat./ Le recours des personnes physiques ou morales est recevable si elles justifient d'un intérêt à agir./ Dès sa saisine, le greffe du Conseil d'Etat en informe le président de la Polynésie française avant l'expiration du délai de dix jours prévu à l'article 178./ III. - Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Il se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation, en l'état du dossier. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. / Les actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " ne peuvent plus être contestés par voie d'action devant aucune autre juridiction ". L'article 177 prévoit que : " I.- Le Conseil d'Etat se prononce dans les trois mois de sa saisine. Sa décision est publiée au Journal officiel de la République française et au Journal officiel de la Polynésie française. / Si le Conseil d'Etat constate qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, ou aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, et inséparable de l'ensemble de l'acte, celle-ci ne peut être promulguée. / Si le Conseil d'Etat décide qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques ou aux engagements internationaux, ou aux principes généraux du droit, sans constater en même temps que cette disposition est inséparable de l'acte, seule cette dernière disposition ne peut être promulguée. / II.-A l'expiration du délai de trois mois mentionné au premier alinéa du I du présent article, le président de la Polynésie française peut promulguer l'acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays ", dans les conditions mentionnées au second alinéa de l'article 178. Le Conseil d'Etat reste toutefois saisi des recours formés contre l'acte. /Dans ce cas, lorsque l'acte contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, et inséparable de l'ensemble de l'acte, le Conseil d'Etat en prononce l'annulation totale./ Si le Conseil d'Etat estime qu'une disposition est contraire à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, sans constater en même temps que cette disposition est inséparable de l'acte, il prononce l'annulation de cette seule disposition.". Aux termes de l'article 178, " A l'expiration du délai d'un mois mentionné au II de l'article 176 pour saisir le Conseil d'Etat ou à la suite de la publication au Journal officiel de la Polynésie française de la décision de ce conseil constatant la conformité totale ou partielle de l'acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " aux normes mentionnées au deuxième alinéa du I de l'article 177, le président de la Polynésie française dispose d'un délai de dix jours pour le promulguer, sous les réserves énoncées aux troisième et quatrième alinéas du I dudit article./ Il transmet l'acte de promulgation au haut-commissaire. L'acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " est publié, pour information, au Journal officiel de la République française ". Aux termes de l'article 180, " Sans préjudice de l'article 180-1, les actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " ne sont susceptibles d'aucun recours par voie d'action après leur promulgation ".
3. Pour sa part, l'article 180-1 de la loi organique du 27 février 2004 dispose que " Par dérogation au premier alinéa des I et II de l'article 176 et au premier alinéa des articles 178 et 180, les actes dénommés " lois du pays " relatifs aux impôts et taxes peuvent faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat à compter de la publication de leur acte de promulgation. " Aux termes de l'article 180-2 de la même loi, " Les actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " relatifs aux impôts et taxes sont publiés au Journal officiel de la Polynésie française et promulgués par le président de la Polynésie française au plus tard le lendemain de leur adoption. / Le président de la Polynésie française transmet l'acte de promulgation au haut-commissaire de la République. " Selon l'article 180-3 : " (...) II. _ A compter de la publication de l'acte de promulgation, les personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt à agir disposent d'un délai d'un mois pour déférer l'acte dénommé " loi du pays " relatif aux impôts et taxes au Conseil d'Etat ". L'article 180-4 prévoit que " Le Conseil d'Etat se prononce dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Il annule toute disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit. "
4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que les actes dits " lois du pays " qui ne sont pas relatifs aux impôts et aux taxes ne peuvent, en principe, pas faire l'objet d'un recours par voie d'action après leur promulgation par le président de la Polynésie française. Il en va toutefois différemment quand l'acte dit " loi du pays " a été prématurément promulgué, que cette promulgation intervienne avant l'expiration du délai d'un mois prévu au premier alinéa de l'article 178 de la loi organique ou, si le Conseil d'Etat a été saisi, avant l'expiration du délai de trois mois prévu au I de l'article 177.
5. En cas de promulgation prématurée, si le Conseil d'Etat est saisi d'un recours dirigé seulement contre l'acte de promulgation, lequel peut être contesté au motif qu'il méconnait les exigences qui découlent de l'article 177 de la loi organique ou qu'il est entaché d'un vice propre, et si le Conseil d'Etat prononce l'annulation de cet acte, la " loi du pays " cesse d'être exécutoire et la publication qui a été faite de la " loi du pays " promulguée vaut publication pour information, ouvrant le délai de recours par voie d'action prévu par les dispositions citées au point 2 de l'article 176 de la loi organique.
6. Si, en cas de promulgation prématurée, le Conseil d'Etat est simultanément saisi de conclusions dirigées contre l'acte de promulgation et contre la " loi du pays " promulguée et s'il annule l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la " loi du pays " est alors regardé comme un recours tendant à déclarer non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique la délibération adoptée par l'assemblée de la Polynésie française. S'il rejette les conclusions dirigées contre l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la " loi du pays " présente le caractère d'un recours en annulation.
7. Enfin, si le Conseil d'Etat n'est saisi, dans le délai d'un mois suivant la publication de la " loi du pays " prématurément promulguée, que d'un recours par voie d'action contre la " loi du pays ", ce recours présente le caractère d'un recours en annulation. Il appartient alors au Conseil d'Etat d'annuler les dispositions de la " loi du pays " qu'il juge contraires au bloc de légalité voire, si ces dispositions ne sont pas séparables des autres dispositions de l'acte, d'en prononcer l'annulation totale.
8. Il ressort des pièces du dossier que la délibération n°2020-12 LP/APF portant diverses mesures d'urgence en matière économique en raison de l'épidémie de covid-19 a été adoptée le 17 avril 2020 par l'assemblée de la Polynésie française. Le président de la Polynésie française a promulgué la " loi du pays " n° 2020-12 qui en procède dès le 21 avril 2020, laquelle a été publiée le même jour au Journal officiel de la Polynésie française. Cette " loi du pays " n° 2020-12 du 21 avril 2020 a été promulguée prématurément, avant l'expiration des délais prévus par la loi organique. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la requête de M. B..., mettant en cause l'article LP 56 de cette " loi du pays ", doit être regardée comme tendant à l'annulation de cet article LP 56.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française et l'assemblée de la Polynésie française :
9. Le II de l'article 151 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " Le conseil économique, social, environnemental et culturel est consulté sur les projets et propositions d'actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " à caractère économique ou social. A cet effet, il est saisi, pour les projets, par le président de la Polynésie française, et, pour les propositions, par le président de l'assemblée de la Polynésie française. (...) ".
10. M. B... conteste l'article LP 56 de la " loi du pays " portant diverses mesures d'urgence en matière économique en raison de l'épidémie de covid 19 qui dispense de toute consultation les projets de texte réglementaire dans les domaines du droit économique et du droit de la consommation pris pour répondre aux contraintes de la gestion de l'épidémie. Eu égard à son objet, cette disposition, divisible des autres dispositions de la " loi du pays " attaquée, n'a pas un caractère économique ou social au sens des dispositions du II de l'article 151 de la loi organique du 27 février 2004. Elle n'était, dès lors, pas soumise à la consultation obligatoire du conseil économique, social, environnemental et culturel.
11. Il résulte de ce qui précède que le président de la Polynésie française et l'assemblée de la Polynésie française sont fondés à soutenir que M. B..., qui ne se prévaut que de sa seule qualité de membre de ce conseil, ne justifie pas d'un intérêt pour agir contre la disposition de la " loi du pays " qu'il attaque.
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... la somme globale de 500 euros à verser à la Polynésie française et à l'assemblée de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Polynésie française et de l'assemblée de la Polynésie française qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à la Polynésie française et à l'assemblée de la Polynésie française la somme globale de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Copie en sera adressée au ministre des outre-mer.