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17/09/2024 | FRANCE | N°496928

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 17 septembre 2024, 496928


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 août et 9 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Jonas Paris " demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret du 26 juin 2024 prononçant sa dissolution ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.





Elle soutient que :

- la condit...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 août et 9 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Jonas Paris " demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 26 juin 2024 prononçant sa dissolution ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que sa dissolution, d'une part, l'empêche de poursuivre une vie associative, entraîne la perte d'un bail et emporte liquidation de son patrimoine et, d'autre part, porte une atteinte grave et immédiate à la liberté d'association et à la liberté de religion ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée est fondée sur une mesure préparatoire illégale l'ayant privée d'une garantie, dès lors que le signataire du courrier de notification des griefs du 30 avril 2024 n'a pas été habilité par délégation du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

- la décision contestée repose sur des faits matériellement inexacts, dénaturés ou insuffisants à caractériser les faits reprochés de " provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence religieuse " ou " d'agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme ", dès lors que, en premier lieu, elle n'assure pas la promotion d'une idéologie qui provoque à la discrimination, à la haine et à la violence à l'égard des non-musulmans, des femmes, des homosexuels, en deuxième lieu, elle ne légitime pas la guerre sainte, en troisième lieu, elle n'assure pas le recrutement d'élèves par sa chaîne Telegram et, en dernier lieu, elle s'engage clairement contre le terrorisme ;

- la décision contestée est une mesure non adaptée, non nécessaire et non proportionnée au regard de l'atteinte portée à la liberté d'association et à la liberté de religion.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 septembre 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association " Jonas Paris ", et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 septembre 2024, à 10 heures 30 :

- les représentants de l'association " Jonas Paris " ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (...) 6° (...) qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ". (...) ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

3. D'une part, eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public. D'autre part, la décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de ces dispositions ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

4. Par un décret du 26 juin 2024, pris sur le fondement des dispositions précitées des 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, l'association " Jonas Paris " a été dissoute. Par la présente requête, cette association a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat d'une demande, fondée sur l'article L. 521-1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de ce décret.

5. Le décret contesté, pour justifier que les agissements de l'association relèvent du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, énonce en particulier qu'à travers les cours qu'elle dispense, les ouvrages qu'elle recommande et ses publications sur sa chaine Telegram, l'association " Jonas Paris " provoque à la discrimination, à la haine et à la violence à l'encontre des juifs et des chrétiens et d'une manière générale des non musulmans, ainsi qu'à l'encontre des femmes et des homosexuels.

6. D'une part, eu égard à l'imbrication étroite entre la chaine Telegram animée par le président de l'association et cette dernière, qui exige de ses membres et élèves qu'ils fassent la promotion de cette chaine, le décret attaqué pouvait légalement prendre en compte les messages diffusés sur celle-ci au soutien de la mise en œuvre de la mesure de dissolution contestée.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'association " Jonas Paris " délivre chaque année à une soixantaine d'élèves un enseignement religieux se revendiquant d'un islam traditionnel dit " salafiste ". Certains des cours dispensés et des messages diffusés sur sa chaine Telegram professent la supériorité de la loi islamique sur les lois de la République, et justifient la pratique de la loi du talion, la soumission de la femme à son conjoint et la peine de mort pour les relations homosexuelles. En outre, plusieurs ouvrages parmi ceux recommandés aux élèves de l'association et aux abonnés de la chaine Telegram comprennent des passages appelant à la malédiction des juifs et des chrétiens voire à leur meurtre.

8. Si l'association fait valoir que les références ainsi faites à un islam traditionnel et rigoriste doivent être replacées dans leur contexte historique et n'appellent pas une interprétation littérale, les éléments fournis par cette dernière, y compris lors de l'audience de référé, ne permettent pas d'estimer, en l'état de l'instruction et en tout état de cause, que les précautions propres à assurer une contextualisation adéquate de ces propos auraient été prises lors de leur diffusion à un public composé principalement de jeunes adultes qui apparaissent particulièrement influençables. Une " note blanche " versée au dossier soumis au contradictoire fait à cet égard état de la radicalisation de plusieurs élèves ou anciens élèves de l'association.

9. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'en regardant les agissements et publications de l'association ainsi relevés comme caractérisant une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes, au sens du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, le décret contesté aurait fait une inexacte application de ces dispositions, ni que la dissolution, pour ce motif, de l'association ne serait pas proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par ses agissements. Dès lors que la mesure contestée apparaît, en l'état de l'instruction, justifiée au regard de ce seul motif, les moyens dirigés contre le décret attaqué en tant qu'il est fondé sur le 7° du même article ne sont pas susceptibles d'entraîner la suspension de son exécution.

10. Enfin, aucun des autres moyens soulevés n'apparaît de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité du décret attaqué.

11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le respect de la condition d'urgence, les conclusions de la requête tendant à la suspension de l'exécution du décret contesté doivent être rejetées, ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'association " Jonas Paris " est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association " Jonas Paris " ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Alain Seban et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 17 septembre 2024

Signé : Pierre Collin


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 496928
Date de la décision : 17/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 sep. 2024, n° 496928
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Seban

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:496928.20240917
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