Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 22 décembre 2022, confirmée sur son recours préalable, par laquelle la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a refusé de le prendre en charge en qualité de jeune majeur au titre de l'aide sociale à l'enfance et d'enjoindre sous astreinte au département de le faire bénéficier d'un contrat jeune majeur ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de prise en charge. Par un jugement n° 2300595 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et a enjoint au département de prendre en charge M. A... jusqu'à l'âge de 21 ans et de lui proposer un contrat adapté à sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet et 11 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Bouches-du-Rhône demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado, Gilbert, avocat du département des Bouches-du-Rhône ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après un premier jugement du 16 mai 2022 disant n'y avoir lieu à assistance éducative le concernant, M. A..., de nationalité gambienne, a été provisoirement confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par un jugement en assistance éducative du 9 novembre 2022 du juge des enfants du tribunal judiciaire de Marseille retenant qu'il y avait lieu de présumer sa minorité jusqu'au 17 novembre 2022, soit pour une durée de huit jours. Par un courrier du 13 décembre 2022, il a saisi la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône d'une demande de prise en charge en qualité de jeune majeur en indiquant n'avoir pas encore été pris en charge mais en se prévalant de ce jugement et en faisant valoir son absence de logement et de famille en France. Par une décision du 22 décembre 2022, implicitement confirmée sur le recours préalable de M. A..., la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône lui a opposé un refus au motif qu'il n'avait pas fait l'objet d'une prise en charge avant sa majorité, le jugement en assistance éducative ayant été reçu par ses services postérieurement à cette date, le 9 décembre 2022. Le département des Bouches-du-Rhône se pourvoit en cassation contre le jugement du 11 mai 2023 du tribunal administratif de Marseille ayant, à la demande de M. A..., annulé la décision de la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône refusant sa prise en charge comme jeune majeur et enjoint à ce département de le prendre en charge jusqu'à l'âge de 21 ans et de lui proposer un contrat adapté à sa situation dans un délai d'un mois.
2. Aux termes de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : " (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans (...) qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article. / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, (...) les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. (...) "
3. Il résulte de ces dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été effectivement pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département auquel ils ont été confiés avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service jusqu'à ce qu'ils aient l'âge de vingt et un ans, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants.
4. Par le droit ainsi ouvert, le législateur a entendu qu'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département entamée pendant la minorité de celui qui lui a alors été confié puisse, à la seule demande de l'intéressé se trouvant ne pas ou ne plus disposer de ressources ou d'un soutien familial suffisants, se poursuivre ou reprendre à tout moment pendant les trois premières années de sa majorité. Par suite, en jugeant qu'était sans incidence sur le droit ouvert au titre de ces dispositions à M. A... la circonstance que le jugement en assistance éducative le confiant à ce service, rendu huit jours avant sa majorité mais reçu par le département postérieurement, n'ait pas reçu exécution, alors pourtant qu'il en résultait que M. A... n'avait, sans que cette circonstance résulte d'une carence imputable au département, pas été effectivement pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance auquel il avait été confié, de sorte que le droit ouvert par les dispositions précédemment citées était en ce qui le concerne sans objet et qu'il relevait en conséquence des autres dispositions du même article régissant la prise en charge à titre temporaire des jeunes majeurs par le service de l'aide social à l'enfance, le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit.
5. Il suit de là que le département des Bouches-du-Rhône est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le cas échéant le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement.
8. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que M. A... ne peut se prévaloir du droit ouvert par les dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.
9. En deuxième lieu, s'il ne résulte pas de l'instruction que M. A..., qui, bien qu'ayant été mis en cause, n'a pas produit de mémoire devant le Conseil d'Etat, bénéficierait en France d'un soutien familial, il en résulte en revanche qu'il est autonome et qu'il a donné satisfaction dans son apprentissage de charpentier, pour lequel il bénéficiait d'un contrat en alternance lui procurant un salaire mensuel net d'environ 720 euros et devant lui permettrait d'obtenir son certificat d'aptitude professionnelle en juin 2024. En cet état de l'instruction, il n'apparaît ainsi pas, à la date de la présente décision, que, du fait de l'insuffisance de ses ressources ou d'un soutien familial, son absence de prise en charge en qualité de jeune majeur par le service de l'aide sociale à l'enfance soit susceptible, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, de conduire à une méconnaissance des autres dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles régissant la prise en charge à titre temporaire des jeunes majeurs par le service de l'aide social à l'enfance.
10. Il suit de là que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision par laquelle la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a refusé de le prendre en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance comme jeune majeur ne peuvent qu'être rejetées, de même, en conséquence, que ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 11 mai 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département des Bouches-du-Rhône et à M. B... A....
Copie en sera adressé au ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 16 octobre 2024.
Le président :
Signé : Jacques-Henri Stahl
Le rappoteur :
Signé : M. Pierre Boussaroque
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly