Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... Karaoui a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler le compte-rendu de son entretien professionnel pour l'année 2018 et d'annuler le rejet partiel de sa demande de révision de sa notation au titre de la même année.
Par un jugement n° 1901569 du 23 septembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 novembre 2021, Mme Karaoui, représentée par Me Enard-Bazire, demande à la cour :
1°) d'annuler de jugement du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler le compte-rendu de son entretien professionnel pour l'année 2018 et le rejet partiel de sa demande de révision de sa notation au titre de la même année.
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le compte-rendu définitif a été établi par Mme B..., sa supérieure hiérarchique directe, qui n'était pas compétente pour ce faire ; il n'a pas été visé par l'autorité hiérarchique ni notifié par cette dernière.
- le compte-rendu est erroné en ce qu'il indique qu'elle est greffière principale alors qu'elle appartient au corps des greffiers fonctionnels ;
- il est incohérent de mentionner que l'objectif relatif à l'organisation d'ensemble des services est partiellement atteint alors que le tribunal d'instance de Tulle était en situation de sous-effectif chronique et ne pouvait être organisé autrement, ce qui ne saurait lui être imputé ; il ne saurait davantage lui être reproché de ne pas avoir prévenu Mme B... au cours de l'année 2018 alors que Mme C... était en poste jusqu'au 1er janvier 2019 ; l'évaluateur a par ailleurs mentionné des courriels qui ne lui ont pas été communiqués ; ses congés annuels et congés maladie dûment justifiés ne pouvaient lui être reprochés ; elle est en mesure d'opposer des réponses pertinentes aux quatre exemples pris par Mme B... pour justifier l'évaluation de l'objectif ;
- s'agissant de l'objectif non évalué relatif à l'accomplissement des tâches liées aux fonctions propres, elle a rédigé de nombreux courriers durant l'année 2018 pour justifier des demandes de renfort ; elle a détaillé dans un rapport d'une centaine de pages l'organisation et le fonctionnement des services de l'instance ; des données chiffrées ont donc été portées à la connaissance des chefs de juridiction ; de plus, le juge directeur n'a pas à donner de directives au chef de greffe en matière de nationalité ; elle est revenue de congés pour une délivrance de carte d'identité ; le service a parfaitement fonctionné, à la différence de l'année précédente ;
- s'agissant de l'objet relatif aux comptes de gestion, évalué comme partiellement atteint, Mme B... a été destinataire d'un rapport de la vice-présidente, de courriers et de demandes de renfort, ce qui contredit les affirmations de l'évaluatrice ;
- sa manière de servir n'a jamais donné lieu au moindre reproche en cours d'année ; la dégradation soudaine des appréciations portées sur sa manière de servir est liée au départ de Mme C... et à l'intérim de Mme B..., qui n'a pas été en mesure de l'évaluer convenablement ; or il est jugé qu'un changement brutal d'appréciation est entaché d'erreur manifeste d'appréciation lorsque l'agent n'a objectivement pas changé de manière de service mais seulement de supérieur hiérarchique.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 février 2023, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 10 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 mars 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Laurent Pouget,
- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Karaoui, greffière principale des services judiciaires, a été placée en position de détachement sur un poste de greffier fonctionnel à compter du 1er janvier 2018, en qualité de cheffe du greffe du tribunal d'instance de Tulle. Son entretien avec sa supérieure hiérarchique directe pour son évaluation professionnelle au titre de l'année 2018 s'est déroulé le 4 mars 2019. Le compte-rendu d'évaluation lui a été notifié une première fois le 14 mars suivant, puis de nouveau, après visa de régularisation par la présidente du tribunal, par un courrier du 28 mars 2019 reçu le 12 avril suivant. Mme Karaoui a contesté ce compte-rendu auprès de la cheffe de juridiction, qui a partiellement fait droit à sa demande. Ainsi, un compte-rendu amendé sur plusieurs points a été établi le 20 mai 2019 et notifié à l'intéressée le 1er juillet 2019. Mme Karaoui a néanmoins saisi le tribunal administratif de Limoges d'un recours tendant à l'annulation de son compte rendu définitif d'entretien professionnel ainsi que de la décision du 20 mai 2019 en tant qu'elle a partiellement rejeté sa demande de révision du compte-rendu initial. Elle relève appel du jugement du 23 septembre 2021 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 : " Le compte rendu de l'entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. (...) / Il est communiqué au fonctionnaire qui le complète, le cas échéant, de ses observations. / Il est visé par l'autorité hiérarchique qui peut formuler, si elle l'estime utile, ses propres observations ". Selon l'article 6 de ce décret : " L'autorité hiérarchique peut être saisie par le fonctionnaire d'une demande de révision du compte rendu de l'entretien professionnel. (...) / L'autorité hiérarchique notifie sa réponse dans un délai de quinze jours francs à compter de la date de réception de la demande de révision du compte rendu de l'entretien professionnel. (...) / L'autorité hiérarchique communique au fonctionnaire, qui en accuse réception, le compte rendu définitif de l'entretien professionnel "
3. Mme Karaoui persiste à soutenir en appel que les dispositions précitées ont été méconnues dans la mesure où le compte-rendu définitif de son entretien professionnel n'a pas été visé par l'autorité hiérarchique et ne lui a pas été notifié par cette autorité. Il ressort cependant des pièces du dossier que le compte-rendu établi à l'issue de l'entretien professionnel du 4 mars 2019 a été notifié en dernier lieu à Mme Karaoui le 28 mars 2019 après qu'il ait été visé le 22 mars précédent par la présidente du tribunal judiciaire de Tulle et par le procureur de la République près ce tribunal. Par ailleurs, les dispositions précitées de l'article 6 du décret du 28 juillet 2010 n'imposent pas que l'autorité hiérarchique vise de nouveau le compte-rendu définitif faisant suite à un recours exercé devant elle. Par suite, et alors que les conditions dans lesquelles ce compte-rendu a été notifié le 19 juin 2019 à Mme Karaoui sont en tout état de cause sans incidence sur sa légalité, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions ont été méconnues.
4. En deuxième lieu, le compte-rendu d'évaluation de Mme Karaoui, qui mentionne qu'elle relève du corps de greffier principal et qu'elle est affectée sur un emploi de cheffe de greffe ne comporte à cet égard aucune erreur, contrairement à ce que soutient la requérante.
5. En troisième lieu, et d'une part, il ressort des pièces du dossier que, s'agissant de la mission d'organisation des services du tribunal d'instance, l'évaluatrice, dont les constats n'ont pas été remis en cause par l'autorité hiérarchique, a fait mention d'un objectif " partiellement atteint", en précisant notamment que Mme Karaoui a " rencontré de nombreuses difficultés organisationnelles " et " a été en grande difficulté pour anticiper les changements et les accompagner de façon concrète et constructive ". Si l'appelante indique qu'en raison d'un effectif réel bien inférieur à l'effectif théorique de la juridiction, elle disposait de peu de marges de manœuvre en matière d'organisation, elle ne conteste pas ainsi valablement les remarques de l'évaluatrice selon lesquelles elle a eu des difficultés à appréhender les charges de travail, n'a pas établi de fiches de postes adaptées à la situation réelle des agents et n'a pas réalisé de sa propre initiative certains documents nécessaires à la bonne organisation des services, tels que des tableaux d'audience et de congés. Sur ce dernier point, la requérante ne saurait utilement faire valoir que la vice-présidente sous l'autorité de laquelle elle travaillait ne lui avait pas fait de remarques à ce sujet. Si elle conteste également le reproche qui lui est fait de n'avoir pas su préparer efficacement la prise de poste d'un greffier affecté en renfort pendant l'été 2018, ses explications non étayées de justifications n'apportent pas à cet égard de réponse convaincante. Il en va de même de ses réponses concernant les remarques de l'évaluatrice tenant à l'anticipation insuffisante d'un départ en retraite, l'organisation erratique des congés des agents ou encore l'absence d'information d'un agent vacataire quant au non renouvellement de son contrat. Au demeurant ces cas ont été mentionnés à titre d'exemple, le compte-rendu soulignant plus généralement que " L'appréciation des charges de travail est restée difficile à appréhender par Mme Karaoui, les fiches de postes élaborées ne se détachant pas des modèles institutionnels et n'étant pas adaptées à la situation réelle " et que par ailleurs " Les tâches organisationnelles ne sont pas accomplies d'initiative, il a été souvent nécessaire de solliciter Mme Karaoui et de lui adresser des rappels ". Enfin, si l'intéressée fait valoir qu'il ne peut lui être reproché ses absences pour des congés annuels et des congés de maladie, qui étaient selon les cas autorisés ou justifiés, elle n'établit pas le caractère systématique des autorisations sollicitées ou des justifications apportées, alors que le compte-rendu relève que lesdites absences n'étaient pas toujours précédées soit d'une demande soit d'une information du juge directeur.
6. D'autre part, l'objectif d'accomplissement des tâches relatives au " fonctions propres relatives aux questions de nationalité " n'a pas été évalué. Si la requérante soutient qu'elle a plusieurs fois demandé des renforts pour accomplir cette mission, que les dossiers de nationalité relèvent de l'administration centrale du ministère de la justice et que le service a parfaitement fonctionné, elle ne conteste pas ainsi valablement la mention du compte-rendu selon laquelle elle n'a pas transmis d'éléments permettant d'apprécier l'accomplissement spécifique de sa mission en dépit de sollicitations en ce sens. Elle fait certes valoir qu'elle a détaillé le fonctionnement des services de l'instance dans un rapport à sa hiérarchie mais il apparaît qu'il s'agissait d'un rapport destiné à une inspection de la juridiction et rien n'indique qu'il comportait les éléments d'information nécessaires à sa hiérarchie pour procéder spécifiquement à l'évaluation de ses tâches en matière de nationalité. Il est en outre relevé par le compte-rendu et sans que Mme Karaoui le conteste, comme l'a mentionné le tribunal, que celle-ci n'a pas toujours adopté un comportement respectueux de la confidentialité des échanges sur des données individuelles et que plusieurs justiciables se sont plaints de la longueur de traitement de leurs demandes ou se sont présentés à des rendez-vous qui leur avaient été fixés alors que la requérante était absente, et qu'aucune mesure n'avait été prise pour y pallier.
7. Enfin, s'agissant de l'objectif d'accomplissement des " fonctions propres " liées au contrôle des comptes de gestion, évalué comme partiellement atteint, Mme Karaoui se borne à faire valoir, sans davantage de précisions, que sa hiérarchie disposait d'un rapport sur le sujet ainsi que " de courriers, de notes, de demandes de renfort exprimant les besoins ", éléments contredisant les affirmations de l'évaluatrice. Celle-ci a toutefois relevé, de façon circonstanciée, qu'alors que Mme Karaoui avait évoqué la réalisation d'un rapport sur le contrôle des comptes de gestion et que des rappels à ce sujet lui ont été adressés, le rapport n'a jamais été réalisé, ajoutant qu'" aucune information, ni quantitatives ni qualitatives sur le travail de contrôle accompli n'a été donnée au notateur. Il n'existe pas de suivi des dossiers contrôlé, ni des courriers adressés aux fins de production de pièces complémentaires ". Le compte-rendu fait état, sans contradiction de la part de la requérante, de tâches non réalisées, comme un circuit de contrôle préalable des comptes, de difficultés pour prioriser les contrôles à réaliser, d'un suivi insuffisant ou encore de demandes de transmission de pièces inutiles révélant une méconnaissance du cadre juridique.
8. En dernier lieu, si la requérante affirme qu'elle est très investie dans ses fonctions, qu'elle est " reconnue unanimement comme une excellente professionnelle et une collègue agréable ", et n'a pas donné lieu à des remontrances ou reproches au cours de l'année 2018, sa notatrice, qui a évalué au niveau " moyen " toutes ses compétences et aptitudes professionnelles à l'exception du sens du service public, évalué comme " bon ", a relevé dans l'appréciation globale de la valeur de l'agent que celle-ci, qui " a rapidement rencontré des difficultés dans l'exécution des missions qui lui étaient confiées et dans ses relations professionnelles ", " doit mieux mobiliser ses connaissances professionnelles ", " doit mieux mobiliser les ressources matérielles et organisationnelles, ainsi que ses savoirs généraux et savoir-faire techniques, doit " mieux mettre en valeur ses dispositions à exercer dans un service public au service d'une plus grande efficacité dans l'emploi occupé ", " doit affiner ses modes de communications et développer ses capacités relationnelles afin d'améliorer la qualité des échanges avec son entourage professionnel " et qu'elle " n'a pas démontré au cours de cette première année d'exercice [sur ses fonctions de chef de greffe] d'aptitude réelle à l'encadrement ". Alors que l'évaluatrice précise néanmoins que Mme Karaoui a dû prendre un poste sans avoir bénéficié d'une formation complète et sans adjoint ayant pu assurer un intérim et faciliter son intégration, la requérante n'oppose aucun argument sérieux à l'ensemble de ces appréciations.
9. Eu égard à ce qui précède, la requérante n'est pas fondée à soutenir que son compte rendu définitif d'entretien professionnel établi au titre de l'année 2018 et la décision du 20 mai 2019 de la présidente du tribunal judiciaire de Tulle et du procureur de la République rejetant partiellement son recours gracieux à l'encontre de son évaluation initiale sont entachés d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation, et à en demander l'annulation.
10. Par suite, Mme Karaoui n'est pas davantage fondée à soutenir que c'est tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence ses conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE
Article 1er : La requête de Mme Karaoui est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Karaoui et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président rapporteur,
Laurent Pouget La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX04174