Vu 1 ) sous le n 95BX01256, la requête enregistrée au greffe de la Cour le 21 août 1995, présentée pour M. X... PAITRE, demeurant ... (17ème), par Me de Z..., avocat ;
M. X... PAITRE demande à la Cour :
- d'annuler le jugement en date du 15 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande de M. C... tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 200 000 F en réparation du préjudice résultant du refus d'accorder le concours de la force publique pour assurer l'exécution d'un jugement prononçant l'expulsion de Mme B..., occupante d'un immeuble dont il est propriétaire à Cieux (Haute-Vienne) ;
- de condamner l'Etat à lui payer la somme de 230 933,19 F ;
Vu 2 ) sous le n 96BX02018, l'ordonnance en date du 28 mars 1996, par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour administrative d'appel de Bordeaux, en application de l'article R. 80 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la requête présentée pour M. Jacques C..., demeurant ... (9ème), et pour M. X... PAITRE, demeurant ... (17ème), par Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés le 10 août 1995 et le 8 décembre 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat et le 30 avril 1996 au greffe de la Cour ;
M. Jacques C... et M. X... PAITRE demandent à la Cour :
- d'annuler le jugement en date du 15 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande de M. C... tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 200 000 F en réparation du préjudice résultant du refus d'accorder le concours de la force publique pour assurer l'exécution d'un jugement prononçant l'expulsion de Mme B..., occupante d'un immeuble situé à Cieux (Haute-Vienne) ;
- de condamner l'Etat à leur payer la somme de 200 000 F, avec les intérêts de droit à compter de la décision à intervenir ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 juin 1998 :
- le rapport de B. CHEMIN ;
- et les conclusions de D. PEANO, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n 95BX01256 et n 96BX02018 sont dirigées contre le même jugement et sont relatives aux conséquences dommageables d'un même refus de concours de la force publique ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Considérant que M. C... a demandé, le 19 juin 1991, le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'ordonnance du vice-président du tribunal de grande instance de Limoges du 7 septembre 1990 prononçant l'expulsion de Mme B... de la propriété agricole dont il était propriétaire à Cieux (Haute-Vienne) ; que M. C..., ainsi que M. A..., nouveau propriétaire de l'immeuble, font appel du jugement en date du 15 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande de réparation du préjudice subi par M. C..., à raison du refus du préfet de la Haute-Vienne d'accorder le concours de la force publique sollicité ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'après avoir écarté la responsabilité pour faute de l'Etat mais retenu la responsabilité sans faute de ce dernier du fait du refus de concours de la force publique, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. C... en raison du caractère indirect et imprécis du préjudice allégué ; que si les requérants soutiennent qu'en s'abstenant de préciser en quoi l'expulsion de l'intéressée présentait des risques sérieux pour l'ordre public le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, la contestation ainsi soulevée est sans relation avec le motif sur lequel le tribunal s'est fondé pour rejeter la demande ;
Sur la responsabilité :
Considérant que le premier juge ayant admis que la responsabilité sans faute de l'Etat était engagée à raison du refus du préfet de la Haute-Vienne d'accorder le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'ordonnance d'expulsion du 7 septembre 1990, le moyen tiré de ce que ce refus ne serait pas réellement justifié par l'existence de risques sérieux pour l'ordre public est sans portée utile ;
Sur le droit à indemnité de M. C... :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que par acte passé devant notaire le 14 octobre 1994, M. C... a vendu l'immeuble dont il était propriétaire à M. A... ; que cet acte de vente subroge expressément l'acquéreur dans tous les droits du vendeur et principalement dans l'action que ce dernier avait engagée contre l'Etat pour la non exécution de l'ordonnance judiciaire d'expulsion ; que cette subrogation ayant eu pour effet de transférer dans le patrimoine de l'acquéreur la créance que le vendeur détenait à l'égard de l'Etat du fait de l'inexécution de cette décision de justice, M. C... ne peut plus se prévaloir d'un droit à indemnisation à l'encontre de l'Etat ; que, par suite, il n'est pas fondé à demander que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité ;
Sur le droit à indemnité de M. A... :
Considérant que M. A..., agissant en qualité de subrogé dans les droits de l'ancien propriétaire qui lui a vendu l'immeuble, ne peut invoquer d'autres droits que ceux que détenait l'ancien propriétaire à l'encontre de l'Etat ; qu'ainsi ces droits sont nécessairement limités au préjudice qu'a subi M. C... du fait du refus de concours de la force publique pendant la période où il était encore propriétaire depuis la date d'engagement de la responsabilité de l'Etat jusqu'à la date de la vente de l'immeuble ; que si M. A... entend également invoquer les droits propres qu'il détient en sa qualité de nouveau propriétaire depuis l'acquisition de l'immeuble, il est constant qu'il n'a pas lui-même demandé à l'autorité publique l'exécution de l'ordonnance du 7 septembre 1990 par laquelle le vice-président du tribunal de grande instance de Limoges a prononcé, à la demande de l'ancien propriétaire, l'expulsion de Mme B... ; qu'il ne peut, dès lors et en tout état de cause, se prévaloir d'un droit à indemnité tiré de la non exécution de cette décision de justice pour le préjudice qu'il a subi depuis la date à laquelle il a acquis l'immeuble en cause ;
Considérant que M. A... n'établit pas que le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance précitée aurait été demandé par l'ancien propriétaire avant le 19 juin 1991 ; que du fait du refus opposé par le préfet de la Haute-Vienne, qui disposait d'un délai de deux mois pour satisfaire à la demande de C..., la responsabilité de l'Etat est engagée envers celui-ci à partir du 19 août 1991 ; qu'ainsi, M. A..., subrogé dans les droits de M. C..., est seulement fondé à demander réparation du préjudice subi par ce dernier pendant la période du 19 août 1991 au 14 octobre 1994, date de la vente de l'immeuble ;
Sur le préjudice :
Considérant que du fait de l'occupation de l'immeuble, le propriétaire a subi une privation de jouissance sans qu'aucune indemnité d'occupation ne lui soit versée ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice pour la période du 19 août 1991 au 14 octobre 1994 en allouant à M. A... une indemnité de 100 000 F ;
Considérant, en revanche, que M. A... ne saurait demander le versement d'une indemnité d'occupation pour la période antérieure à celle de la responsabilité, ce préjudice n'étant pas la conséquence directe du refus de concours de la force publique ; que les pertes financières pour dépréciation de l'immeuble du fait de son occupation ne sont pas établies ; qu'il n'apporte aucune justification des divers frais bancaires et de poursuite que M. C... aurait exposés, ni des impôts fonciers et charges d'assurance qu'il aurait acquittés à la place du locataire ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 100 000 F, cette somme étant assortie, conformément à sa demande, des intérêts de droit à compter de la date du présent arrêt ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges en date du 15 juin 1995 est annulé.
Article 2 : L'Etat (ministère de l'intérieur) est condamné à payer à M. X... PAITRE une somme de 100 000 F.
Article 3 : Les conclusions de la requête n 96BX02018 en tant qu'elle sont présentées par M. Jacques C..., le surplus des conclusions de cette requête en tant qu'elles sont présentées par M. X... PAITRE et de la requête n 95BX01256 de M. X... PAITRE sont rejetés.