Vu la requête et le mémoire, enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux les 25 août 1997 et 28 août 1997 sous le n? 97BX01643, présentée pour la S.A. ARNODIN dont le siège social est ..., Saint Pantaléon de Larche (19600) ; la S.A. ARNODIN demande que la cour :
- annule le jugement en date du 26 juin 1997, par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la réduction du complément d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1986 ;
- ordonne le sursis à l'exécution de ce jugement ;
- prononce la décharge sollicitée devant le tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention fiscale franco-sénégalaise du 29 mars 1974 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 janvier 2001 :
- le rapport de Mme D. BOULARD, premier conseiller ;
- les observations de Me X..., avocat, pour la S.A. ARNODIN ;
- et les conclusions de M. M. HEINIS, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la S.A. ARNODIN avait comptabilisé dans les résultats de son exercice clos en 1986 des produits relatifs au marché de travaux qu'elle avait conclu avec l'Etat sénégalais pour la remise en état d'un pont métallique situé au Sénégal ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a réintégré dans les résultats de cet exercice 1986 la différence entre les situations de travaux qui avaient été émises par la société à la clôture dudit exercice et les produits comptabilisés jusqu'alors, abstraction faite de ceux regardés comme perçus d'avance ; qu'il résulte des indications non contredites du ministre que les bases contestées du rehaussement effectué au titre de 1986 s'élèvent à la somme de 3.992.425 F ;
Considérant, en premier lieu, que le montant du marché et la durée du chantier réalisé par la société, à défaut de justification quant aux conditions matérielles d'exécution sur place, alors qu'au demeurant il est constant qu'aucune opération n'a eu lieu sur le site au cours de l'exercice en litige, ne suffisent pas à faire regarder ce chantier comme un établissement stable au sens des stipulations des articles 3 et 10 de la convention fiscale franco-sénégalaise du 29 mars 1974 invoquée par la société requérante ; que, par suite, le moyen tiré par la société, en appel de ce que les opérations ayant trait au marché de travaux en cause, ne seraient pas imposables en France, doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 38-2 bis du code général des impôts applicable en l'espèce : "Les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services. Toutefois, ces produits doivent être pris en compte pour les travaux d'entreprise donnant lieu à réception complète ou partielle, à la date de réception, même si elle est seulement provisoire ou faite avec réserves, ou à celle de mise à disposition du maître de l'ouvrage si elle est antérieure" ;
Considérant qu'il est constant que les travaux de réfection du pont entrepris par la S.A. ARNODIN, qui sont au nombre des travaux d'entreprise visés par l'article 38-2 bis du code général des impôts, ont fait l'objet d'une réception provisoire en novembre 1988 ; que, par suite, les produits correspondant à ces travaux devaient être légalement pris en compte à une date postérieure à l'exercice 1986 au titre duquel le redressement a été effectué ; que, dès lors, le rehaussement au titre de 1986 n'est pas fondé au regard des dispositions précitées de l'article 38-2 bis, nonobstant les situations de travaux alors émises et la part de produits déjà comptabilisée par l'entreprise à ce titre ;
Considérant, il est vrai, que pour défendre le supplément d'imposition en litige, le ministre entend se prévaloir de ce que la documentation de base 4 A221 autorisait les entreprises de construction ou de travaux publics à porter au titre des produits d'exploitation les créances afférentes aux travaux effectués telles qu'elles apparaissaient sur la dernière situation établie avant la clôture de l'exercice considéré, à la condition d'exclure ces mêmes travaux du poste "travaux en cours" ; qu'il soutient ainsi que la société doit être regardée comme ayant opté pour ce mode de comptabilisation et que toutes les conséquences de cette option doivent être tirées à son égard ;
Considérant que les instructions contraires à la loi ne peuvent pas donner une base légale à une décision administrative elle-même contraire à la loi, même si, par application des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ces instructions peuvent dans certains cas, être invoquées par le contribuable à l'appui d'une demande en décharge ou en réduction des impositions qui lui sont assignées ;
Considérant que le rattachement des produits d'exploitation dont il s'agit en fonction des situations de travaux et non en fonction de la réception méconnaît les dispositions de l'article 38-2 bis ; qu'aucune disposition législative n'autorise l'administration à permettre aux entreprises de construction ou de travaux publics un autre mode de comptabilisation des produits correspondant aux travaux en cause, fût-il subordonné à leur exclusion du compte "travaux en cours" ; que la consistance de ce dernier compte est par elle-même sans incidence sur les critères légaux de rattachement des produits ; qu'il suit de là que la circonstance, à la supposer établie, que la société aurait opté pour le mode de comptabilisation autorisée par la doctrine et qu'elle n'en aurait pas respecté toutes les exigences est sans effet devant le juge de l'impôt ; que, pour justifier l'imposition découlant du rehaussement qu'elle a effectué, l'administration ne saurait davantage se prévaloir de ce que la comptabilisation suivie par la société, qu'elle soutient faite dans le cadre de sa propre doctrine, résulterait d'une "incorrection comptable" volontaire de la part de l'entreprise ;
Considérant que si le ministre mentionne l'absence d'inscription au poste "travaux en cours" figurant aux bilans de l'exercice 1986 de travaux correspondant aux produits en litige, il n'invoque aucune compensation de ce chef ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la S.A. ARNODIN est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la réduction du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de 1986 à concurrence d'un montant, en bases, de 3.992.425 F ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à verser à la S.A. ARNODIN la somme de 10.000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : La base du complément d'impôt sur les sociétés assigné à la S.A. ARNODIN au titre de 1986 est réduite d'une somme de 3.992.425 F.
Article 3 : La S.A. ARNODIN est déchargée des droits et pénalités correspondant à la réduction de la base d'imposition définie à l'article 2.
Article 4 : L'Etat versera à la S.A. ARNODIN la somme de 10.000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.