Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 7 mai 2002, présentée par Mme Veuve X Z... née Y X... demeurant Chez M. X Y..., épicier à ... ;
Mme Veuve X Z... demande à la cour :
- d'annuler le jugement du 5 décembre 2001 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande dirigée contre la décision du ministre de la défense, en date du 3 janvier 2000, refusant de lui accorder une pension de réversion du fait du décès de son mari ;
- d'annuler cette décision ;
- de la renvoyer devant l'administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de la pension à laquelle elle estime avoir droit ;
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Classement CNIJ : 48-03-06 C
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 novembre 2003 :
- le rapport de Mme Roca ;
- et les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite : Le droit à l'obtention ou à la jouissance de la pension et de la rente viagère d'invalidité est suspendu : par la révocation avec suspension des droits à pension ; par la condamnation à la destitution prononcée par application du code de justice militaire ou maritime ; par la condamnation à une peine afflictive ou infamante pendant la durée de la peine ; par les circonstances qui font perdre la qualité de Français durant la privation de cette qualité ; (...) ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'une pension de retraite proportionnelle a été concédée à M. Z... X, radié des contrôles de l'armée française le 18 janvier 1954 à l'issue de 15 ans de services militaires effectifs ; qu'après son décès, le 29 septembre 1996, son épouse, née Y X..., a demandé à bénéficier de la pension de réversion prévue par l'article L. 50 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que, par une décision du 3 janvier 2000, le ministre de la défense a rejeté cette demande au motif que Mme Veuve X Z... était réputée avoir perdu la nationalité française à compter du 1er janvier 1963 à la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite : La pension est une allocation pécuniaire, personnelle et viagère accordée aux fonctionnaires civils et militaires et, après leur décès, à leurs ayants cause désignés par la loi, en rémunération des services qu'ils ont accomplis jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Le montant de la pension, qui tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis, garantit en fin de carrière à son bénéficiaire des conditions matérielles d'existence en rapport avec la dignité de sa fonction ; qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 38 et L. 47 du même code, le conjoint survivant non séparé de corps d'un militaire peut, sous les réserves et dans les conditions prévues par ces articles, prétendre à 50 pour cent de la pension obtenue par lui ; que, dès lors, les pensions de réversion constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er précité du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer, ou à assurer à leurs ayants cause, des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité des fonctions passées de ces agents ; que, par suite, la perte collective de la nationalité française survenue pour les pensionnés ou leurs ayants cause à l'occasion de l'accession à l'indépendance d'Etats antérieurement rattachés à la France ne peut être regardée comme un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts du régime des pensions des agents publics, de nature à justifier une différence de traitement ; que les dispositions précitées de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite ne peuvent donc être regardées comme compatibles avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en tant qu'elles n'excluent pas, pour l'application de cet article, le cas d'une perte collective de nationalité à l'occasion d'un transfert de la souveraineté sur un territoire ; que, dès lors, cet article ne pouvait justifier le refus opposé par le ministre de la défense à la demande de pension de réversion présentée par Mme Veuve X Z... ; que, par suite, cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande à fin d'annulation de la décision du 3 janvier 2000 susmentionnée ;
Considérant que l'autorité administrative est tenue, si Mme Veuve X Z... remplit l'ensemble des conditions prévues par le code pour l'attribution d'une pension de réversion, de procéder immédiatement au versement de cette pension ; que le dossier soumis à la cour ne permet pas de s'assurer si ces conditions sont remplies ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer la requérante devant le ministre pour qu'il soit procédé à un réexamen de sa demande ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 décembre 2001 et la décision du ministre de la défense en date du 3 janvier 2000 sont annulés.
Article 2 : Mme Veuve X Z... est renvoyée devant le ministre de la défense pour qu'il soit procédé à un réexamen de sa demande de pension de réversion.
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N° 02BX00847