Vu la requête enregistrée le 10 juin 2011 sous forme de télécopie et régularisée par courrier le 20 juin 2011 présentée pour le département de La Réunion, représenté par la présidente du conseil général en exercice à ce dûment habilitée par délibération de la commission permanente du 29 septembre 2010, par Me Argemi ;
Le département de La Réunion demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1000310 du 24 février 2011 en tant que par ledit jugement le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion a annulé, à la demande de la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes, la décision en date du 11 février 2010 par laquelle la présidente du conseil général de La Réunion a refusé de déclarer sans suite la procédure d'appel d'offres lancée en 2009 pour la dévolution de quatre marchés publics de prestations de géomètres devant être exécutés durant les années 2010 et 2013, ainsi que les décisions par lesquelles la même autorité a attribué ces marchés publics et a décidé de les signer ;
2°) de rejeter la demande présentée par la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes devant le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion ;
3°) de mettre à la charge de la chambre syndicale nationale des géomètres topographes la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts ;
Vu le décret n° 96-478 du 31 mai 1996 portant règlement de la profession de géomètre-expert et code des devoirs professionnels ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 novembre 2012 :
- le rapport de M. Jean-Pierre Valeins, président assesseur ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- les observations de Me Neveux, avocat de la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes ;
1. Considérant que le département de La Réunion, en août 2009, a lancé un avis d'appel d'offres pour des marchés à commande de prestations de géomètres à réaliser durant les années 2010 à 2013 ; que ces prestations concernaient le patrimoine routier du département ; qu'elles ont été divisées en quatre lots géographiques ; qu'elles devaient répondre aux besoins de la direction des déplacements et de la voirie du département notamment en matière de levés topographiques de rues ou de voies, d'implantations d'ouvrages ou de points caractéristiques, d'auscultation d'ouvrages ; que ces lots ont été réservés aux géomètres-experts, les soumissionnaires devant fournir une attestation d'inscription à l'ordre des géomètres-experts ; que, par lettre du 9 décembre 2009 adressée au président du conseil général, le président de la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes soulignait qu'aucune des prestations envisagées par le département ne relevait du ressort exclusif des géomètres-experts tel qu'il résulte de la loi du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts ; qu'en conclusion de cette lettre, la chambre syndicale demandait au président du conseil général de modifier les termes de la consultation afin de permettre au géomètres-topographes de soumissionner ; qu'en réponse, par lettre du 11 février 2010, le président du conseil général rejetait la demande, pour les motifs que la date de remise des offres était passée depuis plusieurs jours, qu'un cinquième lot était accessible aux géomètres-topographes et que, pour les autres lots " la restriction professionnelle a été rendue nécessaire par le fait que dans le domaine routier, la grande majorité des prestations topographiques débouchent en général sur des acquisitions foncières qui ne peuvent que s'appuyer sur des plans réalisés par des géomètres experts " ; que, par jugement du 24 février 2011, à la demande de la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes, le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion a annulé les décisions par lesquelles le président du conseil général de La Réunion avait rejeté la demande de la chambre syndicale, attribué les quatre marchés publics réservés aux géomètres-experts et décidé de signer lesdits marchés ; que le département de La Réunion interjette appel du jugement ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que le département de La Réunion soutient que le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de la nécessité de réserver les quatre premiers lots aux géomètres-experts en raison de la préservation des deniers publics ; que, toutefois, le tribunal administratif a estimé, d'une part, que le département de La Réunion n'apportait pas la preuve qu'il pouvait à bon droit exiger que tous les soumissionnaires soient inscrits à l'ordre des géomètres-experts alors que seule une partie des prestations demandées comptait au nombre de celles qui sont réservées aux géomètres-experts ; que, d'autre part, le tribunal administratif a relevé que la circonstance que selon les dispositions de l'article 48 du décret du 31 mai 1996, un géomètre-expert chargé de déterminer les limites d'un bien doive s'assurer de la qualité et de la validité des documents portés à sa connaissance et qui n'ont pas été établis par un autre géomètre-expert, ne justifie pas de restreindre aux seuls membres de cette profession la réalisation de la totalité des prestations de géomètre alors que la part des prestations qui auront effectivement pour objet la délimitation des biens fonciers et la définition des droits qui y seront attachés reste indéterminée ; que le tribunal administratif a ainsi répondu implicitement au moyen invoqué par le département selon lequel ne pas faire appel aux seuls géomètres-experts aurait pour conséquence une double dépense, rémunérer un géomètre-topographe et ensuite un géomètre-expert pour finaliser l'opération ;
3. Considérant que le département de La Réunion conteste la régularité du jugement par le moyen qu'il serait insuffisamment motivé dès lors qu'il n'aurait pas précisé, parmi les prestations des marchés, lesquelles auraient été de nature à justifier que lesdits marchés ne soient pas réservés aux géomètres-experts ; que, toutefois, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement en considérant qu'il ressortait des pièces du dossier qu'une partie des prestations des marchés relevait du monopole des géomètres-experts mais que le département n'apportait pas la preuve que les autres prestations relevaient également de ce monopole ;
4. Considérant que, si le département de La Réunion soutient que le jugement attaqué ne vise pas le mémoire en défense qu'il avait présenté le 10 mars 2011, il ressort des pièces du dossier de première instance qu'à cette date le département n'a pas produit de mémoire, alors d'ailleurs que le jugement avait été notifié le 9 mars 2011 ; qu'il ressort de ces mêmes pièces que le département de La Réunion n'a présenté qu'un mémoire, daté du 20 octobre 2010, qui a été enregistré le 22 octobre 2010 au greffe du tribunal administratif et qui, s'il n'est pas visé dans le jugement notifié aux parties, est visé dans la minute du jugement qui figure dans le dossier de première instance ;
5. Considérant qu'en affirmant que le département de La Réunion n'apportait pas la preuve qu'il pouvait exiger que tous les candidats à l'attribution des marchés litigieux soient inscrits à l'ordre des géomètres dès lors que ni le cahier des clauses techniques particulières ni l'avis public à la concurrence n'indiquait les prestations qui participent directement à la fixation des limites de propriété et en jugeant que la procédure méconnaissait le principe de libre accès à la commande publique, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement de contradiction dans les motifs ;
6. Considérant que si le département de La Réunion entend soutenir que le tribunal administratif n'aurait pas répondu à une fin de non recevoir tirée de ce que l'une des décisions attaquées, qui aurait refusé de déclarer sans suite la procédure d'attribution des marchés, aurait été inexistante, cette fin de non recevoir ne figurait que dans son argumentation relative à l'irrecevabilité de la demande d'injonction qui était présentée par la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes ; que le tribunal administratif ayant rejeté la demande d'injonction, la circonstance qu'il ne se soit pas prononcé sur l'irrecevabilité des conclusions à fin d'injonction est sans incidence sur la régularité du jugement ; qu'en tout état de cause, le tribunal administratif a implicitement mais nécessairement répondu à cette fin de non recevoir en jugeant que la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes avait intérêt à agir contre la décision attaquée ainsi d'ailleurs que contre les autres décisions ;
Sur le bien-fondé du jugement :
7. Considérant, d'une part, qu'aux termes du II de l'article 1er du code des marchés publics : " Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code " ; qu'aux termes de l'article 10 du même code : " Afin de susciter la plus large concurrence, et sauf si l'objet du marché ne permet pas l'identification de prestations distinctes, le pouvoir adjudicateur passe le marché en lots séparés (...)A cette fin, il choisit librement le nombre de lots, en tenant notamment compte des caractéristiques techniques des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause et, le cas échéant, des règles applicables à certaines professions (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que s'il est toujours loisible à l'administration d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, d'un niveau de qualification minimal, il appartient au juge administratif de s'assurer que cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de limiter la concurrence en restreignant le nombre des prestataires possibles, est objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des opérations à réaliser ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1 de la loi du 7 mai 1946 : " Le géomètre-expert est un technicien exerçant une profession libérale qui, en son propre nom et sous sa responsabilité personnelle : / 1° Réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d'échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " Peuvent seuls effectuer les travaux prévus au 1° de l'article 1er les géomètres-experts inscrits à l'ordre conformément aux articles 3 et 26 (...) " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret du 31 mai 1996 : " Le géomètre-expert fixe les limites des biens fonciers à partir d'études, de travaux topographiques établis par lui-même ou par un membre de l'ordre ou dressés dans les conditions prévues à l'article 2-1 de la loi du 7 mai 1946 modifiée susvisée ainsi que de tout autre document ou information dont il pourrait avoir connaissance après s'être assuré de leur qualité et de leur validité (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que seules les prestations qui ont directement pour objet la délimitation des biens fonciers et la définition des droits qui y sont attachés relèvent de la compétence exclusive des géomètres-experts ;
9. Considérant que les prestations demandées pour les lots 1 à 4 étaient énumérées dans l'avis de marché ainsi qu'à l'article 1 du cahier des clauses techniques particulières applicable aux quatre lots en cause ; qu'il s'agissait des prestations suivantes : travaux de levés terrestres, implantations d'ouvrages, implantations de points caractéristiques, auscultations d'ouvrages, piquetages de voirie, piquetages de chantiers routiers, contrôles de nivellement et travaux fonciers (états parcellaires, recherche de propriétés, bornage d'emprises...) ; que le contenu détaillé de ces prestations est stipulé à l'article 6 du cahier des clauses techniques particulières ; qu'il résulte de ces stipulations ainsi que du bordereau des prix unitaires de ces prestations que sur les 48 prestations demandées et figurant au bordereau des prix unitaires, seules 4 prestations ont directement pour objet la délimitation des biens fonciers et la définition des droits qui y sont attachés ; qu'il s'agit des opérations de bornage : état des lieux contradictoire, bornage des emprises-piquets, bornage des emprises-borne OGE et plans de bornage après travaux ; que, dans ces conditions, c'est à tort que le département de La Réunion a réservé aux géomètres-experts la possibilité de soumissionner pour les quatre lots en cause, alors que la majorité des prestations pouvait être effectuée par des géomètres-topographes, méconnaissant ainsi le principe énoncé à l'article 1 précité du code des marchés publics de libre accès à la commande publique ;
10. Considérant que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué a été notifié au procureur de la République près la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, alors que les dispositions de l'article R. 751-10 du code de justice administrative ne prévoient une telle communication que pour les jugements annulant un permis de construire ou de démolir ou annulant une mesure de police, ne peut être utilement invoqué à l'appui de la contestation du jugement dès lors que cette circonstance lui est postérieure et dès lors sans influence sur son bien-fondé ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le département de La Réunion n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion a annulé la décision, en date du 11 février 2010, du président du conseil général de La Réunion refusant de modifier les conditions de l'appel d'offres afin de permettre aux géomètres-topographes de soumissionner, ainsi que les décisions de la même autorité d'attribuer ces marchés et de les signer ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que le département de La Réunion demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du département de La Réunion une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : La requête du département de La Réunion est rejetée.
Article 2 : Le département de La Réunion versera à la chambre syndicale nationale des géomètres-topographes une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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No 11BX01413