Vu la requête, enregistrée le 18 juillet 2013, présentée pour la société par actions simplifiées (SAS) Qualiconsult, dont le siège est 8 rue jean Goujon à Paris (75008), par Me A... ;
La SAS Qualiconsult demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1103726 du 22 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a déclaré les sociétés Eiffage construction nord Aquitaine et Qualiconsult solidairement responsables du désordre affectant l'immeuble destiné aux services de signalisation de la communauté urbaine de Bordeaux, a mis hors de cause les sociétés Ginger CEBTP et Temsol Atlantique et a ordonné la réalisation d'un complément d'expertise pour évaluer la nature et le coût des travaux nécessaires pour remédier au désordre ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il a retenu la responsabilité de la SAS Qualiconsult ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il a retenu la responsabilité solidaire de la SAS Qualiconsult ;
4°) de mettre à la charge de la communauté urbaine de Bordeaux la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de la communauté urbaine de Bordeaux les dépens, y compris le droit de timbre de 35 euros ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 février 2015 :
- le rapport de M. Paul-André Braud, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Christine Mège, rapporteur public ;
1. Considérant que par un acte d'engagement daté du 30 mai 2000, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) a confié à la société Aquitaine de construction l'exécution d'un marché public de travaux relatif à la restructuration d'un immeuble qu'elle venait d'acquérir, situé rue Dumont d'Urville à Bordeaux, en vue du transfert de sa division signalisation ; qu'une mission de contrôle technique a été attribuée à la société Qualiconsult ; que les sociétés Temsol Atlantique et CEBTP ont respectivement été chargées de procéder aux sondages du sol et à une analyse géotechnique sur la base des sondages réalisés ; que la réception des travaux est intervenue au 15 décembre 2000 pour l'ensemble des ouvrages, à l'exception des peintures extérieures, éclairages extérieurs par candélabres, plantations et espaces verts pour lesquels la réception a été prononcée au 6 janvier 2001 ; que des désordres étant apparus au cours de l'été 2003, la CUB a saisi le président du tribunal administratif de Bordeaux en référé, lequel a ordonné une expertise le 25 novembre 2003 ; que la société Qualiconsult relève appel du jugement n° 1103726 du tribunal administratif de Bordeaux en date du 22 mai 2013 retenant sa responsabilité sur le fondement de la garantie décennale, solidairement avec la société Eiffage Construction Nord Aquitaine (ECNA), venant aux droits de la SNC Aquitaine de Construction, et ordonnant un complément d'expertise pour évaluer le coût et la nature des travaux nécessaires pour remédier au désordre ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, d'une part, que la SAS Qualiconsult soutient que le tribunal n'a pas suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de la prescription de la garantie décennale en n'indiquant pas le motif pour lequel le référé expertise a interrompu le délai de la garantie pour l'ensemble des fissures des parties considérées de l'immeuble ; que toutefois, en rappelant que la demande en référé " tendait à la désignation d'un expert à raison de fissures, considérées comme (...) évolutives (...) apparues sur les murs et sols des parties de l'immeuble de la rue Dumont d'Urville affectées au service habillement, à deux ateliers et à l'unité de peinture (...) ", le tribunal a suffisamment motivé sa réponse sur l'étendue de la garantie concernée par l'interruption du délai à raison de la demande de référé ; que, dès lors, en en déduisant que la demande en référé " a eu pour effet d'interrompre, pour l'ensemble des fissures des parties considérées de l'immeuble , le délai de garantie décennale ", le tribunal a suffisamment motivé sa réponse à l'exception de prescription de la garantie décennale ;
3. Considérant, d'autre part, que la SAS Qualiconsult soutenait, dans son mémoire enregistré au greffe du tribunal le 13 mars 2013, que la CUB, en sa qualité de maître d'oeuvre, était responsable du désordre pour ne pas avoir correctement exécuté sa mission de direction et suivi des travaux ; que le tribunal administratif n'a pas visé le moyen de défense ainsi présenté et n'y a pas répondu ; que cette omission à statuer, qui concerne la détermination des responsables au titre de la garantie décennale, n'a aucune incidence sur le coût et la nature des travaux nécessaires pour remédier au désordre ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le jugement attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il a statué sur la responsabilité des constructeurs, et non en tant qu'il a ordonné une expertise complémentaire portant uniquement sur l'évaluation des coûts de réparation, laquelle n'avait pas été faite par la première expertise et demeure en tout état de cause indispensable ;
4. Considérant qu'il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur la responsabilité des constructeurs ;
Sur l'exception de prescription de la garantie décennale :
5. Considérant que selon l'article 2270 du code civil dans sa version alors applicable : "Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article. " ; qu'aux termes de l'article 2244 de ce code dans sa rédaction alors applicable : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir " ; qu'il résulte de l'application combinée de ces dispositions qu'une demande en référé présentée par une collectivité publique, tendant à la désignation d'un expert aux fins de constater des désordres imputés à des constructeurs, ou d'en rechercher les causes, a pour effet non de suspendre mais d'interrompre le délai de dix ans à l'expiration duquel la responsabilité de ces constructeurs ne peut plus être recherchée devant le juge administratif à raison desdits désordres ; qu'il résulte également de ces dispositions qu'une citation en justice n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du certificat de réception du 3 décembre 2001, que, ainsi qu'il a été dit au point 1, les travaux du marché en cause ont été réceptionnés en 2000 et 2001 ; que la requête en référé expertise, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 24 septembre 2003 était dirigée contre les sociétés Aquitaine construction, Qualiconsult, Temsol Atlantique et aussi, contrairement à ce que soutient la SAS Ginger CEBTP, contre la société CEBTP aux droits de laquelle elle vient ; que cette requête en référé concerne les désordres constatés dans les parties de l'immeuble affectées au service de l'habillement, à deux ateliers et à l'unité de peinture ; que si la SAS Qualiconsult soutient que le désordre dont il est demandé réparation diffère de celui évoqué dans la requête en référé expertise, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le désordre en cause consiste en un affaissement du dallage et en de multiples fissures dont " l'évolution permanente (...) est de nature à compromettre la solidité des ouvrages (...) " ; qu'ainsi, en demandant la réparation du désordre en prenant en compte l'aggravation des fissures, la demande de la CUB tend à la réparation des conséquences dommageables des mêmes malfaçons que celles qui étaient à l'origine de sa requête en référé ; que, dans ces conditions, cette requête, formée dans le délai de la garantie décennale a pu, à l'égard des sociétés précitées, régulièrement interrompre le délai de cette garantie ; que, dès lors, ce délai n'était pas expiré lorsque la CUB a, par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 15 septembre 2011, sollicité la condamnation de ces constructeurs sur le fondement de la garantie décennale ;
Sur la responsabilité des constructeurs :
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'après la réception des travaux qui a lieu, selon les travaux en cause, en 2000 et 2001, sont apparus des désordres consistant en un affaissement du dallage et en de multiples fissures dont l'évolution est de nature à compromettre la solidité du bâtiment ; que ces désordres sont ainsi de nature à engager envers le maître de l'ouvrage la responsabilité des constructeurs sur la base des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil, dans la mesure où ces désordres leur seraient imputables ;
8. Considérant qu'il résulte également du rapport d'expertise que ces désordres trouvent leur origine dans la pose de dalles d'une épaisseur inférieure à celle indiquée dans les plans d'exécution des ouvrages et de recollement ; que les documents du marché prévoient, pour les locaux du service habillement, la pose d'une dalle de 22 centimètres dans le local de stockage et de 16 centimètres dans le magasin du service habillement ; que la fouille manuelle a révélé une épaisseur de la dalle de 13 centimètres, inférieure de 9 centimètres aux prescriptions du marché ; qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise, la SNC Eiffage Construction Nord Aquitaine a réalisé cinq carottages révélant pour quatre d'entre eux une épaisseur de la dalle de 20 centimètres et pour le cinquième une épaisseur de 16 centimètres ; que si l'un de ces carottages a révélé une épaisseur de dalle conforme aux prescriptions du marché, les quatre autres carottages ont révélé une épaisseur de dalle inférieure de 2 centimètres aux prescriptions du marché alors que le document technique unifié n'autorisait pour l'épaisseur qu'une marge d'erreur inférieure à 1 centimètre ; que, dans ces conditions, les carottages réalisés par la SNC Eiffage Construction Nord Aquitaine ne permettent pas de remettre en cause les conclusions de l'expert ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-25 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction alors en vigueur : " L'activité de contrôle technique prévue à la présente section est incompatible avec l'exercice de toute activité de conception, d'exécution ou d'expertise d'un ouvrage (...) " ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le manquement ainsi relevé est imputable à la SNC Aquitaine de Construction qui a posé les dalles en cause ; que toutefois le désordre en litige est également imputable à la CUB, qui, en sa qualité de maître d'oeuvre, n'a pas correctement exécuté sa mission de direction de l'exécution du contrat de travaux, laquelle lui imposait de s'assurer de la conformité de l'exécution des travaux au contrat ; qu'il en va de même pour la SAS Qualiconsult qui, en sa qualité de contrôleur technique, et en vertu de la convention de contrôle technique signée le 23 août 1999, était chargée, durant la réalisation de l'ouvrage, de procéder à un examen d'ouvrages et équipements sur chantier et, avant la réception des travaux, d'effectuer des vérifications finales des ouvrages et équipements ; que, contrairement à ce que soutient la SAS Qualiconsult, l'article L. 111-25 du code de la construction et de l'habitation, en interdisant au contrôleur technique l'exercice de toute activité de conception et d'exécution, ne lui interdit pas d'exercer le contrôle de la conception et de l'exécution des ouvrages ;
11. Considérant en revanche, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'en l'absence d'erreur dans l'appréciation des sols, le désordre ne peut être regardé comme étant imputable aux sociétés Temsol Atlantique et CEBTP qui étaient chargées respectivement de procéder aux sondages du sol et à une analyse géotechnique sur la base des sondages réalisés ; que, par suite, ces sociétés doivent être mises hors de cause, et ne seront donc pas tenues d'assister aux opérations de l'expertise ordonnée pour déterminer le montant du préjudice ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le désordre en cause est imputable à la SNC Aquitaine de Construction et à la SAS Qualiconsult, mais également à la CUB elle-même ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de retenir, au titre du défaut de contrôle de l'exécution des travaux par la maîtrise d'oeuvre, qui avait pourtant visé les plans d'exécution des travaux, lesquels précisaient nécessairement l'épaisseur des dalles, une responsabilité de la CUB à hauteur de 30% du préjudice, qui devra venir en déduction des sommes qui seront mises à la charge des constructeurs ; que la SAS Qualiconsult a signé la convention de contrôle technique le 23 août 1999 ; que dès lors, elle ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, laquelle ne s'applique qu'aux contrats conclus après sa publication, pour soutenir qu'elle ne pourrait faire l'objet d'une condamnation solidaire avec les constructeurs tenus à la responsabilité décennale ; que, dans ces conditions, il y a lieu de retenir la responsabilité solidaire de la SNC Eiffage Construction nord Aquitaine, venant aux droits de la SNC Aquitaine de Construction, et de la SAS Qualiconsult ; qu'en appel, seule la SAS Qualiconsult a présenté des conclusions tendant au rejet de sa responsabilité ; qu'en outre, en invoquant la responsabilité de la CUB, la SAS Qualiconsult doit être regardée comme ayant entendu également présenter des conclusions tendant, à titre subsidiaire, à ce que sa responsabilité soit atténuée ; que, dès lors, en l'absence de toute demande de la SNC Eiffage Construction nord Aquitaine et de toute représentation mutuelle entre ces deux débiteurs, il y a lieu de ramener la responsabilité solidaire que la SAS Qualiconsult devra assumer à hauteur de 70 % des conséquences dommageables de l'insuffisante épaisseur des dalles ;
Sur les dépens :
13. Considérant que le jugement attaqué a ordonné un complément d'expertise dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait fait l'objet d'une ordonnance de liquidation ; que, dans ces conditions, les demandes afférentes à la mise à la charge des frais d'expertise sont prématurées et doivent dès lors être rejetées ;
14. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Bordeaux Métropole le remboursement à la société Qualiconsult de la contribution pour l'aide juridique de 35 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS Qualiconsult, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la CUB au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de Bordeaux Métropole, la somme demandée par la SAS Ginger CEBTP au même titre ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Bordeaux Métropole une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SAS Qualiconsult et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement n° 1103726 du tribunal administratif de Bordeaux en date du 22 mai 2013 sont annulés.
Article 2 : La SNC Eiffage Construction nord Aquitaine et la SAS Qualiconsult sont déclarées solidairement responsables des désordres affectant l'immeuble de la communauté urbaine de Bordeaux situé rue Dumont d'Urville à Bordeaux. La responsabilité solidaire que Qualiconsult devra assumer est ramenée à 70%.
Article 3 : La SAS Ginger CEBTP et la société Temsol Atlantique sont mises hors de cause.
Article 4 : Bordeaux Métropole venant aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux versera à la SAS Qualiconsult une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des demandes de la SAS Qualiconsult, de la SAS Ginger CEBTP et de la communauté urbaine de Bordeaux sont rejetés.
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No 13BX02011