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07/04/2016 | FRANCE | N°14BX00011

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 07 avril 2016, 14BX00011


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G...B...A..., M. C...E..., Mme I...E..., M. D...F...et Mme M...-G... B...A...ont demandé au tribunal administratif de Cayenne de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à leur verser les sommes suivantes : au titre du préjudice moral lié au décès de l'enfant Jérémy Roubert, 100 000 euros à Mme G...B...A..., 60 000 euros à M. D...F..., 25 000 euros à Mme I...E..., 20 000 euros à M. C...E...et 20 000 euros à Mme M...-G... E...; au titre du préjudice d'accompagnement, 15 000 euros chacun à M

me G...B...A...et à M. D...F...et 5 000 euros chacun à Mme I...E..., à M. C......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G...B...A..., M. C...E..., Mme I...E..., M. D...F...et Mme M...-G... B...A...ont demandé au tribunal administratif de Cayenne de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à leur verser les sommes suivantes : au titre du préjudice moral lié au décès de l'enfant Jérémy Roubert, 100 000 euros à Mme G...B...A..., 60 000 euros à M. D...F..., 25 000 euros à Mme I...E..., 20 000 euros à M. C...E...et 20 000 euros à Mme M...-G... E...; au titre du préjudice d'accompagnement, 15 000 euros chacun à Mme G...B...A...et à M. D...F...et 5 000 euros chacun à Mme I...E..., à M. C...E...et à Mme M...-G... E...; à Mme G...B...A..., en réparation de ses autres préjudices propres : 6 000 euros au titre des frais d'obsèques, 1 500 euros au titre des frais divers engagés, 22 500 euros au titre de la perte de chance, et la somme globale de 276 000 euros au titre des pertes de revenus ; à Mme G...B...A...en sa qualité d'ayant-droit de son fils décédé, 40 000 euros au titre des souffrances endurées, 10 000 au titre du déficit fonctionnel temporaire total, 6 357,60 euros au titre de l'assistance par une tierce personne et 10 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire.

Par un jugement n° 1201248 du 12 novembre 2013, le tribunal administratif de Cayenne a condamné le centre hospitalier Andrée Rosemon à verser à Mme G...B...A...et à Mme M...-G... B...A...les sommes respectives de 27 303 euros et 4 000 euros, majorées des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2010, capitalisés au 16 avril 2013, et il a rejeté le surplus des conclusions présentées devant lui.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2014, et par un mémoire en réplique enregistré le 26 février 2016, Mme G...B...A...et autres, représentés par MeL..., demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Cayenne du 12 novembre 2013;

2°) de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à leur payer l'intégralité des sommes demandées en première instance ou, à tout le moins, selon le taux de réparation de 80 % évoqué par les rapports d'expertise, ces sommes étant assorties d'intérêts au double du taux légal à compter du 23 décembre 2010 ;

3°) subsidiairement, d'ordonner une expertise complémentaire ;

4°) à titre infiniment subsidiaire de rectifier l'erreur de calcul dont est entaché le jugement ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier Andrée Rosemon, au bénéfice de chacun d'eux, une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi qu'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

On été entendus au cours de l'audience publique du 8 mars 2016 :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public,

- et les observations de MeH..., représentant le centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne.

Considérant ce qui suit :

1. Le jeuneJ..., atteint de troubles autistiques profonds, a été pris en charge par le service de pédopsychiatrie du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne à compter d'octobre 2003, à l'âge de onze ans. Il a été admis le 16 février 2005 à l'institut médico-éducatif, où a été alors assurée sa surveillance médicale et psychiatrique, le service de pédiatrie du centre hospitalier conservant le suivi somatique de l'enfant. A l'occasion d'une consultation auprès du chef de ce service, le 3 mai 2005, celui-ci a décidé de modifier le traitement médicamenteux administré à l'enfant, soigné par des neuroleptiques pour un comportement agressif et des crises récurrentes d'épilepsie, en substituant du Tégrétol à la Dikaline. Le 16 mai 2005, Jérémy Roubert a présenté une forte fièvre accompagnée de toux et a été reçu au service des urgences du centre hospitalier, dont il est ressorti avec un traitement antibiotique. Il devait y être réadmis le 22 mai suivant en raison d'une dégradation sérieuse de son état général. Compte tenu de l'état d'agitation de l'enfant, de son comportement difficilement prévisible et de sa corpulence importante, il a été décidé de l'hospitaliser dans un premier temps dans le service de psychiatrie pour adultes, avant un transfert en pédiatrie le 24 mai 2005 à la suite d'une nouvelle altération de son état de santé et après une brève admission aux urgences. L'enfant est finalement décédé d'un choc septique le 26 mai 2005 dans le service de réanimation du centre hospitalier. Les consorts B...A..., membres de la familleK..., relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Cayenne du 12 novembre 2013 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leurs demandes d'indemnisation des préjudices subis par l'enfant et de leurs préjudices propres. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier Andrée Rosemon sollicite l'annulation de ce jugement en tant qu'il a partiellement accueilli les demandes des consorts B...A....

Sur la régularité du jugement :

2. Il ne ressort ni des visas ni de la motivation du jugement attaqué que le tribunal, lequel n'était pas tenu d'évoquer d'office l'ensemble des postes de préjudice figurant dans la nomenclature " Dintilhac ", aurait omis de statuer sur ceux de ces préjudices invoqués par les requérants où aurait entaché ledit jugement d'une insuffisance de motivation. En particulier, le tribunal a répondu explicitement, aux considérants 13 et 14 du jugement, aux demandes d'indemnisation présentées devant lui au titre des préjudices d'accompagnement.

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.(... ) ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions convergentes à cet égard d'un rapport d'expertise amiable du 4 mai 2007 et du rapport de l'expert judiciaire désigné par la juridiction pénale, remis le 20 mars 2007, que Jérémy Roubert a succombé à une septicémie opportuniste liée à une agranulocytose aigue. Celle-ci, caractérisée par une diminution drastique des globules blancs et l'affaiblissement consécutif du système immunitaire est, selon les experts, due avec une quasi-certitude à une réaction de l'organisme de l'enfant au Tégrétol, compte tenu du caractère connu de ce risque de complication, du délai écoulé entre la prescription et les symptômes observés, et de l'absence d'autre cause identifiable. Il est d'ailleurs recommandé par le laboratoire pharmaceutique produisant ce médicament d'effectuer un contrôle de la formulation sanguine du patient préalablement à toute prescription, puis de manière hebdomadaire, afin de s'assurer que le produit est supporté et n'entraîne aucun effet indésirable. Or, il est constant que le pédopsychiatre du centre hospitalier n'a pas suivi ces préconisations du fabricant et que ce n'est que le 18 mai 2005 qu'un hémogramme a été réalisé, soit quinze jours après la prescription du Tégrétol et alors que l'enfant présentait déjà des signes infectieux depuis deux jours. Le service des urgences de l'établissement n'a, pour sa part, procédé à aucune investigation approfondie lorsque Jérémy Roubert y a été admis le 16 mai 2005. Enfin, alors que l'hémogramme réalisé le 18 mai 2005 a révélé une agranulocytose accentuée, le service de biologie, qui semble ne pas avoir effectué l'antibiogramme indispensable pour le traitement efficace de la bactérie, n'a pas transmis immédiatement ces résultats alarmants au service de pédopsychiatrie. Or, selon les experts, cette agranulocytose aurait vraisemblablement pu être résorbée si elle avait été décelée et traitée de manière suffisamment précoce. Ainsi, les manquements commis au sein du centre hospitalier Andrée Rosemon, caractérisés par des retards de diagnostic et de prise en charge thérapeutique du patient, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'établissement à l'égard des consorts B...A....

5. Dès lors qu'il y a retard fautif ou abstention fautive, il y a nécessairement une perte de chance. Ainsi, alors même que les fautes commises ne peuvent être regardées comme étant directement à l'origine de l'infection contractée par Jérémy Roubert, la responsabilité du centre hospitalier Andrée Rosemon du fait de ces fautes est engagée à raison de la perte de chance de survie du patient. En appel, le centre hospitalier n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation portée sur ce point par les premiers juges qui, au regard en particulier des conclusions des experts, ont estimé que les défaillances imputables à l'établissement ont fait perdre à Jérémy Roubert 80 % de chances de limiter les conséquences de l'infection et de survivre à celle-ci.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de l'enfant :

6. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause, et si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers.

7. En premier lieu, le préjudice résultant des revenus futurs perdus par suite d'une mort précoce n'apparaît qu'au jour du décès de la victime et ne peut donner naissance à aucun droit entré dans son patrimoine avant ce jour. Il ne constitue donc pas un droit susceptible d'être transmis à ses héritiers. Pour ce motif, les appelants ne sont pas fondés à demander une quelconque indemnisation au titre d'un préjudice, au demeurant hypothétique, qu'ils désignent sous le terme de " perte de revenus futurs " de l'enfant, et à laquelle Mme G...B...A..., mère de Jérémy Roubert, pourrait prétendre en sa qualité d'ayant droit.

8. En second lieu, la circonstance que les préjudices subis par la victime entre le 3 mai et le 26 mai 2005 n'ont donné lieu à aucune évaluation par les experts ne fait pas obstacle à une réparation intégrale de ces préjudices dès lors qu'ils apparaissent comme certains. En l'espèce, s'il n'est nullement justifié de la nécessité, au cours de la période considérée, d'une assistance particulière de l'enfant par une tierce personne en lien avec le dommage résultant des fautes commises par le centre hospitalier, ni d'un préjudice esthétique indemnisable, la réalité des troubles dans les conditions d'existence endurés par Jérémy Roubert à raison de ses souffrances et des conditions de son hospitalisation doit être regardée comme établie. Compte tenu du quantum de perte de chance de 80 % et de la durée de la période considérée, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de ces troubles en allouant de ce chef la somme de 2 000 euros à Mme G...B...A...en sa qualité d'ayant droit, sans qu'il y ait lieu en revanche pour le juge administratif de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 736 du code civil, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges.

En ce qui concerne les préjudices propres des appelants :

9. Les requérants soutiennent, en premier lieu, que Mme G...B...A...a subi un préjudice économique du fait du décès de son fils, dans la mesure où elle ne bénéficie plus du versement de l'allocation d'éducation spéciale ni de la pension alimentaire auxquelles lui ouvraient droit la charge de son fils autiste. Ces sommes, compte tenu de leur nature, ne peuvent toutefois être regardées comme une perte de revenus propres de l'intéressée et ne sont donc pas susceptibles de lui ouvrir droit à indemnisation. Les frais divers supportés par Mme B...A...en lien direct et certain avec le décès de son fils ne sont par ailleurs établis qu'à concurrence de la somme de 2 878,74 euros, correspondant à la facture de frais d'obsèques produite par les requérants. Compte tenu du ratio de perte de chance susmentionné, Mme G...B...A...est donc en droit de prétendre à cet égard à une indemnité de 2 303 euros.

10. En second lieu, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice moral de Mme G...B...A...et de son préjudice d'accompagnement en fixant globalement leur évaluation à la somme de 30 000 euros, justifiant la condamnation du centre hospitalier à lui verser à ce titre une indemnité de 24 000 euros, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu. C'est en revanche à tort que le tribunal a estimé au motif de la seule circonstance, au demeurant non établie, que Mme M...-G... B...A...aurait cohabité avec son neveu, qu'il était justifié de l'existence entre eux de liens affectifs particulièrement intenses de nature à lui ouvrir droit à indemnisation au titre d'un préjudice moral. Il n'est pas davantage justifié par les éléments soumis à l'instruction par les requérants que Jérémy Roubert aurait conservé des liens privilégiés avec M.F..., époux de Mme G...B...A...de 1996 à 2001, avec lequel la cohabitation avait cessé. De même, il n'est pas établi que M. et MmeE..., oncle et tante de l'enfant résidant en métropole entretenaient avec lui des liens profonds, alors même qu'ils l'hébergeaient parfois avec sa mère. Il n'est enfin pas justifié par M. F...et par les oncle et tantes de l'enfant de la réalité des préjudices d'accompagnement qu'ils invoquent.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts B...A...sont seulement fondés à demander que l'indemnité allouée à Mme G...B...A...par le tribunal, lequel n'a pas commis d'erreur dans le calcul de cette indemnité, contrairement à ce que prétendent les requérants, soit portée de 27 303 euros à la somme globale de 28 303 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2010, date de réception de la réclamation préalable par l'établissement de soins, capitalisés à la date du16 avril 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Le centre hospitalier Andrée Rosemon est pour sa part seulement fondé à demander que la demande présentée par les requérants au titre du préjudice moral de Mme M...-G... B...A...soient rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif ait fait une inexacte appréciation du montant des frais exposés en première instance par les consorts B...A...et non compris dans les dépens en fixant à 1 000 euros la somme mise à ce titre à la charge du centre hospitalier Andrée Rosemon en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions respectivement présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la présente instance.

DECIDE

Article 1er : Le montant de la somme due par le centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne à Mme G...B...A...est porté à 28 303 euros. Les intérêts échus à la date du 16 avril 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La demande présentée par les requérants au titre de l'indemnisation du préjudice moral de Mme M...-G... B...A...est rejetée.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Cayenne du 12 novembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

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No 14BX00011


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 14BX00011
Date de la décision : 07/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : RADAMONTHE FICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-04-07;14bx00011 ?
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