Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 juin 2012 par lequel le maire de Bordeaux a délivré à la SA Domofrance un permis de construire pour la construction d'un ensemble immobilier comprenant sept logements et un local commercial sur un terrain situé 20 à 26 rue Leupold à Bordeaux ainsi que la décision du 1er octobre 2012 par laquelle le maire de Bordeaux a rejeté son recours gracieux dirigé contre cet arrêté.
Par un jugement n° 1204333 du 23 octobre 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du maire de Bordeaux du 4 juin 2012 ainsi que la décision de rejet du recours gracieux en date du 1er octobre 2012.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 décembre 2014 et 27 mars 2015, la commune de Bordeaux, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif a annulé, sur la demande de M.C..., le permis de construire délivré le 4 juin 2012 à la SA Domofrance pour la démolition et la construction d'un immeuble collectif sur un terrain sis 20 à 26 rue Leupold ;
2°) de mettre à la charge de M. C...une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Bordeaux soutient que :
- l'article R. 111-1 du code de l'urbanisme dans sa version modifiée par le décret n°2007-18 du 5 janvier 2007 puis par le décret n° 2011-1903 du 19 décembre 2011, exclut l'application des dispositions de l'article R. 111-21 dans les secteurs sauvegardés. Le jugement du 23 octobre 2014, qui a retenu ce seul motif d'annulation, est par conséquent entaché d'une erreur de droit. Le renvoi à cet article par le plan de sauvegarde et de mise en valeur de Bordeaux ne produit donc aucun effet juridique, les dispositions de l'article 2.1 du règlement dudit plan ayant été nécessairement abrogées lors de l'entrée en vigueur de l'article R. 111-1 du code de l'urbanisme ;
- pour l'analyse d'un projet situé en secteur sauvegardé, il convient donc de s'appuyer sur les prescriptions générales du code de l'urbanisme et sur l'expertise de l'architecte des bâtiments de France, lequel assure, conformément à l'article R. 313-17 du code de l'urbanisme, la surveillance générale du secteur sauvegardé en vue de préserver son caractère historique ou esthétique ;
- dans l'hypothèse où les dispositions de l'article R.111-21 du code de l'urbanisme seraient jugées applicables, il ne pourrait qu'être constaté que l'erreur manifeste d'appréciation n'est pas caractérisée et que le juge de première instance a fait une inexacte application de ces dispositions ;
- ni les dispositions de cet article ni celles du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) n'interdisent la modernité et l'architecture contemporaine en secteur sauvegardé. Si le projet de la société Domofrance s'inscrit dans une logique de modernité par rapport à l'architecture néoclassique bordelaise, les principaux codes de cette architecture sont toutefois préservés ;
- le projet litigieux ne porte pas atteinte aux lieux existants mais apporte au contraire une plus-value par le comblement d'une dent creuse en complétant le front bâti par un immeuble s'insérant parfaitement en termes de hauteur, de volumétrie et de toiture par rapport aux constructions avoisinantes. Par ailleurs, l'habillage de la construction, en donnant l'effet d'une façade peu percée selon un rapport de pleins dominant les vides, en référence à l'architecture classique voisine, permet à l'immeuble de s'insérer parfaitement dans son environnement ;
- tant la charte de Venise de 1964 sur la conservation et la restauration des monuments et des sites que la déclaration sur la conservation des paysages urbains historiques d'octobre 2005 ou la Charte de Leipzig sur la ville européenne durable de mai 2007 invitent à une vision modernisée de la ville et soulignent la place de l'architecture moderne dans le tissu urbain patrimonial ;
- l'architecte des bâtiments de France a émis, le 9 mars 2012, un avis favorable en imposant au constructeur des prescriptions pour la couverture et les matériaux utilisés afin de rendre le projet conforme au PSMV ;
- les dispositions de l'article 11 du PSMV relatives aux façades ne concernant que les travaux sur les constructions existantes, les matériaux autres que la pierre de taille et les menuiseries en aluminium ne sont donc pas proscrits pour les constructions neuves, dès lors que ces dernières s'insèrent en secteur sauvegardé et préservent les éléments ainsi protégés.
Par ordonnance du 18 mars 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 26 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le décret du 25 octobre 1988 approuvant le plan de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé de Bordeaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cécile Cabanne,
- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 4 juin 2012, le maire de la commune de Bordeaux a délivré à la SA Domofrance un permis de construire un ensemble immobilier comprenant sept logements et un local commercial sur un terrain cadastré section KL n° 102, 103 et 325 situé 20 à 26 rue Leupold, après démolition totale des constructions existantes. Saisi par M. C...en sa qualité de propriétaire d'une parcelle voisine du projet ainsi autorisé, le tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement du 23 octobre 2014, annulé ce permis de construire au motif qu'il méconnaissait les dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme. La commune de Bordeaux relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de l'arrêté du maire de Bordeaux du 4 juin 2012 :
2. Le tribunal a annulé le permis de construire en litige au motif que la conception architecturale du projet, en rupture avec le bâti ancien de la rue Leuvret, méconnaissait l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme dans sa version alors applicable, qui disposait : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. "
3. Pour estimer que ces dispositions étaient invocables, le tribunal s'est référé au règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) de Bordeaux, approuvé et publié en dernier lieu en 1999, qui prévoit au paragraphe 2.1. de l'article 2 que " Les dispositions de ce P.S.M.V. se substituent à celles des articles R. 111-2 à R.111-24 du Code de l'Urbanisme, à l'exception des articles R. 111-2, R.111-3-2, R.111-4, R .111-14-2, R.111-15, R.111-21, qui restent applicables. "
4. La commune de Bordeaux soutient que ces dispositions étaient caduques dès lors que l'article R. 111-1 du code de l'urbanisme dispose que : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux constructions, aménagements, installations et travaux faisant l'objet d'un permis de construire, d'un permis d'aménager ou d'une déclaration préalable ainsi qu'aux autres utilisations du sol régies par le présent code (...) / b) Les dispositions de l'article R. 111-21 ne sont applicables ni dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, ni dans les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine, ni dans les territoires dotés d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé en application de l'article L. 313-1 du présent code ". Toutefois, ces dispositions de portée générale n'ont pu avoir pour effet d'abroger les dispositions d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur qui ont entendu expressément s'approprier l'exigence de contrôle de l'insertion dans l'environnement des constructions nouvelles que reflètent les dispositions de l'article R. 111-21. Dans ces conditions, la circonstance que ces dispositions n'étaient pas directement applicables au litige ne faisait pas obstacle à ce que la même règle, telle qu'édictée par le plan de sauvegarde et de mise en valeur,lequel de ce fait n'a pas exprimé de prescriptions particulières dans ce domaine pour les constructions nouvelles, soit appliquée dans l'examen de la légalité du permis de construire. Par suite, la commune ne saurait se plaindre de ce que le tribunal a examiné l'atteinte que le projet était susceptible de porter au caractère et à l'intérêt des lieux environnants.
5. Il est constant que le projet, objet de la demande de permis de construire déposée par la SA Domofrance, situé dans une rue étroite héritée du tissu médiéval entre le chevet de l'église Saint-Pierre, classée monument historique, et la place de la Bourse, est inclus dans le périmètre du plan de sauvegarde et de mise en valeur de Bordeaux approuvé en 1988 et révisé en 1998. Il ressort du dossier de demande, et notamment du document d'insertion paysagère, que la conception architecturale de l'immeuble, résolument contemporaine, tranche fortement avec le bâti ancien de la rue qui, s'il ne présente pas une homogénéité parfaite ni un très bon état général, comporte des immeubles aux façades travaillées des XVIII ème et XIX ème siècles. Le projet comporte deux bâtiments accolés formant un angle léger pour épouser la sinuosité de la rue, d'une longueur respective de 12,26 m et 18,61 mètres et d'une hauteur respective de R+4 et R+3. Le rez-de chaussée et les trois ou quatre étages sont entièrement vitrés en façade avec menuiseries en aluminium, et les étages sont " habillés " d'un maillage en lames de béton verticales imitant la pierre et formant une " seconde peau ", lequel ne dissimule que partiellement le décrochage des niveaux par rapport au bâtiment mitoyen du projet de trois étages, lequel comporte deux étages seulement sur la même hauteur. Si l'architecte des bâtiments de France a donné un avis favorable à cet important projet, tout en prescrivant l'emploi de tuiles canal pour la couverture et en imposant que " les éléments dits " lames de pierres " en pierre ou en béton spécial seront de même aspect, texture et coloration que les pierres existantes des immeubles mitoyens ", il ressort des photographies de l'environnement que cette dernière prescription ne permet en tout état de cause pas d'assurer à elle seule une bonne insertion de l'immeuble dans son environnement bâti, laquelle ne résulte pas seulement des couleurs mais aussi des formes adoptées. Dès lors, la décision prise par le maire, alors même que le permis a prescrit de soumettre les échantillons à l'architecte des bâtiments de France, est entachée d'erreur d'appréciation. Dans ces conditions, et même si aucune disposition du plan de sauvegarde et de mise en valeur ne fait par principe obstacle à la construction de bâtiments d'architecture contemporaine dans son périmètre, le bâtiment tel qu'il est projeté porte atteinte au caractère des lieux avoisinants et au paysage urbain du centre historique, et le permis délivré méconnait, comme le soutenait M. C...devant le tribunal, les dispositions du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville de Bordeaux.
6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Bordeaux n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal a annulé le permis de construire délivré à la société Domofrance, et que ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Bordeaux est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bordeaux, à M. B...C...et à la SA Domofrance.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2016 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 octobre2016.
Le rapporteur,
Cécile CABANNELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre du logement et de l'habitat durable en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 14BX03599