Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier intercommunal du Val d'Ariège de l'indemniser, d'une part, en sa qualité d'ayant droit de sa mère, à hauteur de 22 750 euros en réparation des préjudices subis par cette dernière et, d'autre part, de l'indemniser à hauteur de 26 547,67 euros en réparation des préjudices subis personnellement.
Par un jugement n° 1101259 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le centre hospitalier intercommunal du Val d'Ariège à verser à M. A...une somme de 1 000 euros, a mis à la charge de l'établissement la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Lot agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège et celles du centre hospitalier intercommunal du Val d'Ariège.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er septembre 2014, des pièces nouvelles et un mémoire enregistrés les 26 mars et 9 novembre 2015, M.A..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1101259 du 3 juillet 2014 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande ;
2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal du Val d'Ariège à lui verser une somme de 49 296,67 euros tant en qualité d'ayant droit de sa mère qu'en son nom propre ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier du val d'Ariège la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique ;
5°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise, afin d'évaluer l'ensemble des préjudices imputables aux faits dommageables.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Philippe Delvolvé,
- et les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 27 décembre 2007, Mme D...A..., qui était alors âgée de 71 ans, a été admise au service des urgences du centre hospitalier intercommunal du Val d'Ariège (CHIVA), puis dans le service de gériatrie du même établissement, en raison de troubles sévères dus à la maladie d'Alzheimer, entrainant notamment des désorientations temporo-spatiales et des fugues répétées. Le lendemain, après avoir fugué hors du centre hospitalier, elle a été reconduite dans le service de gériatrie où des mesures particulières ont été prises à son égard. Malgré cela, le 31 décembre 2007, Mme A...s'est défenestrée en sautant d'une fenêtre du salon d'accueil du service, faisant une chute du troisième étage, ce qui lui a causé des traumatismes au bassin, aux vertèbres et aux poignets. Ceux-ci ont nécessité plusieurs interventions chirurgicales, à la suite desquelles Mme A...a présenté des escarres et a été victime d'infections. Mme A...est décédée le 20 juin 2009. Entre temps, le 27 juin 2008, M. B... A..., fils de la victime et représentant légal de MmeA..., a saisi en cette dernière qualité la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Le rapport de l'expertise diligentée par la commission a conclu à l'absence de faute commise par le CHIVA. Le 12 avril 2010, la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), assureur du CHIVA, a proposé une offre d'indemnisation pour un montant de 10 300 euros, laquelle offre a été refusée. M. B...A..., agissant en son nom propre et en qualité d'ayant droit de MmeA..., a ensuite saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation du CHIVA à réparer les préjudices qu'il a imputés à une faute de surveillance commise par l'établissement et à des infections nosocomiales contractées en son sein. Par jugement du 3 juillet 2014, le tribunal administratif a condamné le CHIVA à verser à M. A...la somme de 1 000 euros en réparation des préjudices subis et a rejeté le surplus des conclusions de M. A...ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie. Par sa requête, M. A...relève appel de ce jugement en tant qu'il ne lui a pas entièrement donné satisfaction. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège demande la condamnation du CHIVA à lui verser la somme de 225 116,62 euros en remboursement des débours engagés pour le compte de son assurée, ainsi que la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, outre les frais de procès non compris dans les dépens. Par la voie de l'appel incident, le CHIVA demande l'annulation du jugement attaqué et le rejet des demandes de première instance de M.A..., ainsi que des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie.
Sur la responsabilité du CHIVA :
En ce qui concerne la faute résultant d'un défaut de surveillance :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de
soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ". M. B...A...soutient qu'en raison de l'état de santé et des risques élevés de fugues que présentait sa mère lors de son hospitalisation, le CHIVA aurait dû prendre des mesures de surveillance et de sécurité particulières, notamment pour condamner les ouvertures auxquelles la patiente avait accès. Il soutient qu'en s'abstenant de prendre de telles mesures, ou à tout le moins en prenant des mesures insuffisantes par rapport aux risques présentés, alors pourtant que l'établissement hospitalier avait connaissance du comportement fugueur de Mme A..., le centre hospitalier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
3. Pour écarter toute faute du centre hospitalier, le tribunal administratif a considéré que " compte tenu de l'absence de risque suicidaire de la victime, du renforcement des mesures de surveillance mises en place par le centre hospitalier et des missions incombant à un service de médecine générale, la défenestration de Mme A... ne peut être regardée comme révélant un défaut d'organisation ou de fonctionnement du service ". Il résulte toutefois de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que le centre hospitalier avait connaissance du comportement " fugueur " de Mme A...lié à la maladie d'Alzheimer dont elle souffrait, ainsi que des troubles spécifiques qu'elle subissait en raison de cette maladie, à savoir une désorientation spatio-temporelle et une atteinte généralisée des fonctions cognitives. Il résulte également de l'instruction que Mme A...avait fugué le 28 décembre 2007, lendemain de son hospitalisation et avait été retrouvée errant au bord d'une route et qu'elle avait ensuite tenté à plusieurs reprises de s'enfuir du service qui l'accueillait, malgré des mesures de surveillance renforcées. En particulier, le matin de la défenestration, Mme A...a profité du passage de deux brancardiers pour se glisser derrière eux et sortir par une porte de service avant d'être récupérée et ramenée dans sa chambre. De même, 1h30 avant la défenestration, Mme A...avait été retrouvée en train de déambuler dans un couloir, refusant de regagner sa chambre. Il résulte, en outre, de l'instruction que tous les moyens dont disposait le CHIVA pour prévenir l'accident n'avaient pas été mis en oeuvre, les éléments de l'enquête de gendarmerie montrant notamment que le verrouillage des issues ne nécessitait aucune technique sophistiquée. D'ailleurs, la fenêtre de la chambre de MmeA..., contrairement à celle du salon d'accueil du service d'où la victime a sauté, avait été verrouillée. La double circonstance que Mme A...n'était pas identifiée comme une patiente à tendance suicidaire et que le service l'ayant accueillie n'était pas apte à faire face aux risques générés par les patients présentant des pathologies psychiatriques pouvant conduire à une autolyse, ne pouvait dispenser le CHIVA de son obligation de mise en oeuvre de mesures de surveillance particulières à l'égard de MmeA..., dès lors que le stade de gravité de la maladie d'Alzheimer qui affectait la patiente était parfaitement connu de l'établissement, que celle-ci avait manifesté à plusieurs reprises, entre le premier jour de son hospitalisation et le jour de la défenestration, son intention de fuguer avec une forte détermination et qu'un service de médecine générale ne pouvait ignorer les risques d'atteinte à l'intégrité physique des patients souffrant de cette maladie à un tel niveau de gravité. Enfin, quand bien même le service ayant accueilli Mme A...n'aurait pas disposé des équipements et aménagements propres à prévenir ces risques, il appartenait en toute hypothèse au CHIVA de transférer la patiente dans un service adéquat. Par conséquent, M. A... est fondé à soutenir que c'est tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a refusé de reconnaître l'existence d'une faute dans le fonctionnement et l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du CHIVA dans la chute de sa mère.
En ce qui concerne l'infection nosocomiale :
4. Il résulte du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que tout établissement dans lequel sont réalisés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins est responsable des dommages résultant d'infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, sauf s'il rapporte la preuve d'une cause étrangère. Seule une infection survenant au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale. L'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, applicable aux infections contractées à la date des faits, prévoit que les conséquences dommageables des infections nosocomiales sont indemnisées au titre de la solidarité nationale, lorsque le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de la victime est supérieur à 25 % ou lorsque la victime est décédée à raison de l'infection.
5. Pour retenir la responsabilité du CHIVA à raison d'une infection nosocomiale, le tribunal administratif s'est fondé sur les constatations de l'expertise diligentée par la commission d'indemnisation et a estimé que l'infection de l'escarre sacrée, qui n'était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge de la patiente, devait être regardée comme étant survenue au cours ou au décours de sa prise en charge par le CHIVA, entre le 27 décembre 2007 et le 23 avril 2008. Il a, en outre, pertinemment relevé que le décès de MmeA..., survenu le 20 juin 2009, n'était pas imputable à l'infection et que le taux de déficit fonctionnel permanent résultant strictement de l'infection n'était pas supérieur à 25 %.
6. Dans le cadre de son appel incident, le CHIVA soutient que l'infection en cause n'est pas la conséquence d'un acte de soin, dès lors que l'escarre est une affection qui atteint les personnes âgées alitées et qui s'infecte généralement au contact des germes présents à l'extérieur de la peau, indépendamment de tout soin. Il est cependant constant que Mme A...a présenté des infections qui ont été contractées lors de son hospitalisation, ce qui, en l'absence de cause étrangère, suffit à leur conférer un caractère nosocomial. Au surplus, la présence d'une escarre n'a été rendue possible que par le traitement des traumatismes qui ont eux-mêmes directement résulté de la chute et de la faute de surveillance commise par le CHIVA, de sorte que la survenue de l'infection de cette escarre se trouve elle-même directement rattachée à cette faute. Dans ces conditions, le CHIVA n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a engagé sa responsabilité pour indemniser les conséquences dommageables résultant de l'infection dont Mme A...a été victime.
Sur la réparation :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des dépenses de santé :
7. Contrairement à ce que soutient le CHIVA, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège, représentant celle du Lot, justifie que cette dernière a engagé des dépenses de santé pour le compte de MmeA.... Elle est donc recevable à demander à la cour le remboursement de ses débours.
8. Il résulte de l'instruction que la créance de la caisse, à raison des frais médicaux, pharmaceutiques et de transport engagés pour le compte de son assurées lors du traitement, d'une part, des conséquences de la chute et, d'autre part, des conséquences de l'infection nosocomiale, s'élève à la somme non sérieusement contestée de 225 116,62 euros. Il y a donc lieu de condamner le CHIVA à verser cette somme à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
S'agissant du déficit fonctionnel permanent ayant affecté MmeA... :
9. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise diligentée par la commission d'indemnisation, que Mme A...est restée atteinte jusqu'à son décès d'un déficit permanent fonctionnel de 25 % en lien avec sa chute et avec l'infection. M. A...sollicite la somme de 1 250 euros en réparation des préjudices résultant d'une telle incapacité. Il y a lieu de faire droit à cette demande.
S'agissant des souffrances endurées par MmeA... :
10. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise susmentionnée, que les souffrances endurées par MmeA..., qui a été hospitalisée à plusieurs reprises, peuvent être estimées à 5 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M.A..., en sa qualité d'ayant droit de la victime, une indemnité de 15 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique supporté par MmeA... :
11. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise susmentionnée que la requérante a subi un préjudice esthétique évalué à 1,5 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en fixant à 1 000 euros le montant de l'indemnité destinée à réparer ce préjudice.
S'agissant des préjudices subis par M.A... :
12. M. A...soutient avoir subi un préjudice d'affection à raison de la chute dont a été victime sa mère et de l'infection qu'elle a contractée ainsi qu'un préjudice d'accompagnement, et avoir dû supporter des frais de transport pour se rendre au chevet de sa mère. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A...à raison de l'état dans lequel sa mère s'est trouvée à la suite de la faute du CHIVA et de l'infection nosocomiale, en lui allouant la somme de 1 000 euros. En revanche, le préjudice d'accompagnement n'est pas établi et M. A... ne verse au dossier aucun élément permettant de justifier de la réalité et du montant des frais de transport allégués.
Sur la demande de la CPAM au titre de l'indemnité forfaitaire :
13. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. ". Il y a lieu, en vertu de l'arrêté du 26 décembre 2016 relatif aux montants de cette indemnité, applicable en l'espèce, de mettre à la charge du CHIVA la somme de 1 055 euros, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège sollicite sur le fondement des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise complémentaire que demande M.A..., que le CHIVA doit être condamné à verser à M. A... la somme totale de 18 250 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège, la somme de 225 116,62 euros au titre de ses débours et la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHIVA la somme de 1 500 euros au titre des frais de procès engagés par M. A...et non compris dans les dépens et la somme de 700 euros demandée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège au titre des frais de procès qu'elle a engagés, non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier du Val d'Ariège versera à M. A...la somme de 18 250 euros au titre de la réparation de ses préjudices et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : Le centre hospitalier du Val d'Ariège versera à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ariège la somme de 225 116,62 euros en remboursement des débours, la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et la somme de 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 3 juillet 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. A...et les conclusions du centre hospitalier intercommunal du Val d'Ariège sont rejetées.
N° 14BX02577 2