Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...F...a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la société électricité de France (EDF) à lui verser une indemnité complémentaire d'un montant de 5 600 034, 33 euros, avec intérêts à compter du 17 janvier 2012 et capitalisation des intérêts, en réparation de l'aggravation des préjudices résultant de l'accident d'électrocution dont il a été victime le 21 septembre 1995.
Par un jugement n° 1200372 du 18 juin 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la société EDF à verser à M. F...une indemnité de 30 854, 16 euros, portant intérêts à compter du 25 janvier 2012, les intérêts étant capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter du 26 janvier 2013 et à chaque échéance annuelle, ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 août 2015, 9 mars 2016,et 11 juillet 2017, M.F..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 18 juin 2015 en tant qu'il a limité son indemnisation au montant de 30 854, 16 euros ;
2°) de condamner la société EDF à lui verser la somme de 5 600 034, 33 euros en réparation de l'aggravation de ses préjudices ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise en vue d'établir l'aggravation de son état de santé, de fixer l'antériorité de cette aggravation et d'évaluer ses besoins effectifs en assistance par une tierce personne, et de lui allouer à titre provisionnel une somme de 2 800 170, 66 euros ;
4°) de mettre à la charge de la société EDF la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif du 21 octobre 2010 ne lui est pas opposable ; en effet, le présent recours, fondé sur ses besoins en matériels et équipements adaptés et en aide humaine en raison de l'aggravation de son état de santé, repose sur une cause juridique distincte ;
- cette aggravation peut être fixée à une date antérieure au jugement du 21 octobre 2010, et indemnisée au titre d'une période démarrant avant cette date ;
- son état de santé s'est dégradé après le rapport d'expertise du Docteur Fineltain du 10 novembre 2000, au point que son état nécessite désormais l'assistance d'une tierce personne 24 heures sur 24, ainsi que cela ressort de plusieurs certificats médicaux, notamment ceux établis les 27 avril 2010 et 20 septembre 2010 ; il ne disposait pas, à la date du premier jugement, d'élément probant sur l'aggravation de son état de santé ; il justifie avoir subi de nombreuses hospitalisations et reçu de nombreux soins en raison de la dégradation de son état de santé ; l'évolution de ses besoins en tierce personne sont liés à l'imprévisibilité de ses besoins et à ses troubles psychiques ; compte tenu de son âge à la date de consolidation de son état de santé, du taux de l'euro de rente et d'un montant de 18 euros par heure, l'indemnisation du préjudice lié à ses besoins d'assistance par une tierce personne doit être fixée au montant de 4 996 068, 80 euros ;
- son handicap nécessite l'aménagement d'un véhicule ; il justifie avoir acquis un véhicule aménageable et exposé des frais d'aménagement de ce véhicule postérieurement au jugement du 21 octobre 2010 ; eu égard au montant des frais exposés et au taux d'obsolescence d'un véhicule de 5 ans, une somme de 366 152, 69 euros doit lui être allouée en réparation de ce chef de préjudice ;
- ne pouvant rester dans son logement locatif, il a dû acquérir un nouveau logement ; les nécessaires aménagements de ce logement se montent à 119 059, 92 euros ; une somme identique doit lui être allouée, correspondant aux frais d'aménagement de la résidence secondaire qu'il espère pouvoir acquérir en Guadeloupe ; une somme totale de 238 119, 84 euros doit dès lors lui être allouée, sans qu'il y ait lieu de déduire la somme de 27 745 euros qui lui avait été allouée au titre des aides techniques de son ancien logement.
Par une lettre enregistrée le 25 août 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne a informé la cour qu'elle n'avait pas l'intention d'intervenir dans la procédure.
Par des mémoires en défense enregistrés les 4 novembre 2015, 15 juin 2016, 14 juin 2017 et 29 août 2017, la société EDF, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête, demande de déclarer commune à la société Getelec la décision à intervenir et, par la voie de l'appel incident, conclut à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à indemniser M.F....
Elle soutient que :
- les conclusions de M. F...relatives à l'assistance d'une tierce personne se heurtent à l'autorité de la chose jugée par le jugement du 21 octobre 2010 ; le requérant n'établit pas une aggravation de son état de santé depuis ce jugement ; en outre, l'intéressé ne justifie pas du montant réclamé puisque la valeur de l'euro de rente viagère qu'il a appliquée ne correspond pas à l'âge d'un homme de quarante-trois ans, si la date du jugement du 21 octobre 2010 est retenue comme point de départ de l'aggravation alléguée, et que le coût horaire ne s'élève pas à 18 euros mais 15 euros ;
- s'agissant du préjudice lié à l'aménagement du logement principal et aux aides techniques, le jugement du 21 octobre 2010 a déjà alloué à M. F...une somme de 27 745 euros au titre du surcoût correspondant à son logement principal, et rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du coût total d'acquisition du logement ; le requérant n'a pas fait appel de ce jugement, et, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, n'établit pas que sa nouvelle demande indemnitaire répondrait à la nécessité d'assurer le renouvellement de ces aménagements et aides techniques ;
- le préjudice tenant au coût d'aménagement d'une résidence secondaire n'est pas directement lié à l'accident dont M. F...a été victime ;
- le jugement devra être infirmé concernant l'indemnisation des frais de véhicule et de ses adaptations ; si le jugement du 21 octobre 2010 du tribunal administratif a retenu la possibilité pour le requérant de justifier du surcoût d'un véhicule adapté acquis postérieurement, les sommes sollicitées en 1ère instance étaient excessives ; l'indemnisation du surcoût doit être calculée notamment en déduisant le coût d'un véhicule répondant aux besoins de la famille et en tenant compte d'une durée d'obsolescence tous les huit ans et non tous les cinq ans ; à défaut de présentation d'une facture acquittée, M. F...ne justifie pas du coût des aménagements sur le véhicule qui, de ce fait, ne pourront être pris en compte ; en tout état de cause, si la cour retient ce chef de préjudice, il lui appartiendra de ramener le montant total de l'indemnisation à 20 000 euros ;
- la demande de nouvelle expertise de M. F...ne pourra qu'être rejetée dès lors que le rapport d'expertise du docteur Ouanhes ne fait que confirmer ceux élaborés antérieurement par les docteurs Bouaita et Rumilly ;
- la demande d'allocation d'une provision à valoir sur les sommes sollicitées ne pourra être accueillie, du fait qu'il elle irrecevable et infondée ;
- l'arrêt à intervenir devra être déclaré commun à la société Gétélec ou, à tout le moins, opposable à cette société ; elle est, en effet, partie à la procédure administrative depuis qu'elle a déposé en première instance, le 22 mai 2015, un mémoire en intervention.
Par des mémoires enregistrés les 23 décembre 2015 et 27 juillet 2017, la société Getelec, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête, à sa mise hors de cause et à ce que soit mise à la charge de la société EDF la somme de 4 000 euros, à son profit, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut être considérée comme un tiers dont les fautes propres seraient susceptibles d'exonérer une partie de la responsabilité d'EDF ; elle travaillait pour le compte et sous la direction exclusive de cette société dans le cadre d'un contrat de dépenses contrôlées, ainsi que l'a estimé le tribunal administratif ; le rapport de l'expert judiciaire près la cour d'appel de Paris relève le non-respect des règles de sécurité par EDF, à l'origine du dommage causé à M. F... ;
- elle ne peut être considérée comme pénalement responsable de l'accident du 21 septembre 1995 ; d'ailleurs, la juridiction administrative a relevé que le jugement du 22 septembre 2000 de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Basse-Terre visait non les personnes morales mais la responsabilité des personnes privées ; les défaillances en matière de sécurité à l'origine du drame ont été exclusivement imputées au représentant d'EDF ;
- sa condamnation à contribuer à parts égales au paiement de la totalité des sommes susceptibles d'être mises à la charge d'EDF est sollicitée en appel par cette société qui ne motive toutefois aucunement cet ajustement ; le tribunal des affaires de sécurité sociale, et non la cour, est compétent pour statuer sur une éventuelle faute de l'employeur, sous certaines conditions ; or, le tribunal des affaires de sécurité sociale a statué le 5 avril 2010 par un jugement devenu définitif sur ce litige ;
- elle n'avait pas être mise en cause dans l'instance qui a abouti au jugement du 21 octobre 2010 du tribunal administratif de Basse-Terre, devenu définitif ; en outre, ce même tribunal a estimé, par le jugement contesté du 18 juin 2015, que la demande de M. F...n'était pas susceptible de lui causer un préjudice lui ouvrant droit à former tierce opposition ; la société EDF n'apporte pas davantage qu'en première instance d'arguments à l'appui de sa demande d'opposabilité de l'arrêt à son encontre.
Par ordonnance du 15 juin 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 12 septembre 2017 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant M.F..., et de MeC..., représentant la société Electricité de France.
Considérant ce qui suit :
1. M.F..., salarié de la société Getelec chargée d'exécuter des travaux pour le compte de la société Electricité de France (EDF), a été victime le 21 septembre 1995 d'une double électrocution alors qu'il procédait à la réparation des installations électriques endommagées sur le territoire de la commune de Vieux-Habitants en Guadeloupe. M. F...a sollicité la réparation des conséquences dommageables de cet accident. Par un jugement du 21 octobre 2010, le tribunal administratif de la Guadeloupe, après avoir considéré que la société EDF était entièrement responsable de cet accident et que ni M. F...ni la société Getelec n'avaient commis de faute exonératoire de responsabilité, a condamné la société EDF à verser à M. F...une somme totale de 1 614 445 euros en réparation de ses préjudices. M. F...a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la société EDF à lui verser une indemnité complémentaire d'un montant de 5 600 034, 33 euros en réparation de l'aggravation des préjudices résultant de l'accident d'électrocution dont il a été victime le 21 septembre 1995. Par un jugement du 18 juin 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la société EDF à lui verser une indemnité de 30 854,16 euros au titre du préjudice lié aux frais d'aménagement d'un véhicule, et rejeté le surplus de ses conclusions. M. F...relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation au montant susmentionné de 30 854, 16 euros, et demande à la cour de porter cette indemnisation au montant total de 5 600 034, 33 euros. La société EDF demande à la cour de déclarer commune à la société Getelec la décision à intervenir et, par la voie de l'appel incident, conclut à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à indemniser M.F....
2. En premier lieu, seuls peuvent faire l'objet d'une déclaration de jugement commun, devant une juridiction administrative, les tiers dont les droits et obligations à l'égard des parties en cause pourraient donner lieu à un litige dont la juridiction saisie eût été compétente pour connaître et auxquels, d'autre part, pourrait préjudicier ledit jugement, dans des conditions leur ouvrant le droit de former tierce-opposition à ce jugement. La société Getelec ne peut être regardée, dans le cadre du présent litige relatif à l'engagement de la responsabilité de la société EDF du fait de l'accident d'électrocution subi par M.F..., comme pouvant se prévaloir d'un droit de cette nature. Il n'y a, dès lors, pas lieu de déclarer le présent arrêt commun à la société Getelec.
3. En deuxième lieu, le premier recours indemnitaire présenté par M. F...devant la juridiction administrative avait pour objet la réparation des conséquences dommageables de l'accident d'électrocution dont il a été victime le 21 septembre 1995 et était fondé sur la responsabilité pour faute de la société EDF. Par son jugement du 21 octobre 2010, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a notamment indemnisé du préjudice tenant au surcoût lié à l'aménagement et aux aides techniques de son " projet de logement ", de sorte que l'indemnisation complémentaire demandée par M. F...au titre de l'adaptation du logement principal qu'il a acquis postérieurement à ce jugement ne porte pas sur un préjudice nouveau. Dès lors, et comme le fait valoir la société EDF, en raison de l'identité d'objet, de cause et de parties entre le litige tranché par le jugement précité du 21 octobre 2010 statuant en dernier ressort et le présent litige en tant qu'il porte sur ce chef de préjudice, l'autorité relative de la chose jugée s'attachant à ce jugement fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions indemnitaires de M. F...relatives aux frais d'aménagement de son logement principal.
4. En troisième lieu, si M. F...demande l'indemnisation du préjudice lié au coût d'aménagement d'une résidence secondaire, il ne justifie pas avoir acquis une telle résidence. Ce préjudice présente dès lors un caractère purement éventuel, de sorte que les conclusions indemnitaires du requérant ne peuvent davantage, sur ce point, être accueillies.
5. En quatrième lieu, s'agissant des conclusions indemnitaires portant sur un véhicule aménagé, les premiers juges ont estimé à juste titre que le requérant ne saurait prétendre à l'octroi d'une indemnité correspondant au coût total d'acquisition d'un véhicule, mais uniquement au surcoût lié à l'aménagement du véhicule. Eu égard au devis établi le 23 novembre 2011, qui fixe à 4 990 euros les frais liés à l'installation d'un treuil de chargement, d'un support d'élevage, d'un support de fixation et d'un faux plancher, et à la nécessité de renouveler de tels aménagements à chaque changement de véhicule, selon une périodicité qui a été à juste titre évaluée à cinq ans par le jugement attaqué, le tribunal a fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. F...une somme de 30 854, 16 euros.
6. En cinquième lieu, M.F..., qui s'est vu allouer par le jugement précité du 21 octobre 2010 une indemnité de 1 202 500 euros en réparation du préjudice tenant à l'assistance par une tierce personne à raison de dix heures par jour, soutient que son état de santé s'est dégradé, de sorte qu'une assistance par une tierce personne 24 heures sur 24 est désormais nécessaire. Il ne pourrait toutefois, eu égard à l'autorité de chose jugée s'attachant au jugement du 21 octobre 2010, obtenir une augmentation de l'indemnité allouée par le tribunal administratif que dans la mesure d'une éventuelle aggravation de son état intervenue depuis ce jugement. A cet égard, les éléments médicaux versés au dossier ne permettent pas à eux seuls à la cour de se prononcer sur l'existence d'une aggravation de l'état de santé de M. F...depuis le 21 octobre 2010, sur l'étendue de cette aggravation et sur les conséquences en résultant quant aux besoins de M. F...en assistance par une tierce personne. Il y a lieu, dès lors, avant de statuer sur ce point, d'ordonner la réalisation d'une expertise aux fins précisées au dispositif du présent arrêt.
7. En l'état du dossier, la cour n'est pas à même de se prononcer sur l'octroi d'une indemnité provisionnelle à M.F.... Il n'y a dès lors pas lieu d'accueillir les conclusions présentées sur ce point par le requérant.
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant plus amplement dire droit sur la requête de M.F..., procédé par un expert médical désigné par le président de la cour, à une expertise à l'effet d'éclairer la cour sur l'existence d'une aggravation de l'état de santé de M. F...depuis le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 21 octobre 2010, et, le cas échéant, sur l'étendue de cette aggravation et sur les conséquences en résultant quant aux besoins de M. F...en assistance par une tierce personne.
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.
Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...F..., à la société électricité de France, à la société Getélec et à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Essonne. Copie sera adressée à la ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2017 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 30 novembre 2017.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUY
Le président,
Aymard de MALAFOSSE
Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 15BX02766