Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D...E...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux en premier lieu, d'annuler la décision du 19 septembre 2014 par laquelle la commune de Lucmau a rejeté leur demande de remise en état du chemin rural dit de Cazalis qui dessert leur propriété et de réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du mauvais état de ce chemin, en deuxième lieu de condamner la commune à leur verser la somme de 70 528,20 euros correspondant au montant des préjudices qu'ils estiment avoir subis et en troisième lieu d'enjoindre à la commune de prendre les mesures nécessaires pour la remise en état de ce chemin dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1404901 du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a d'une part, condamné la commune de Lucmau à verser à M. et Mme E...la somme de 5 000 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2014 et de la capitalisation de ces intérêts, d'autre part mis à la charge de la commune de Lucmau une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et enfin, rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2016, un mémoire en production de pièces enregistré le 10 janvier 2017 et deux mémoires complémentaires enregistrés les 20 mars et 25 septembre 2018, la commune de Lucmau, prise en la personne de son maire et représentée par Me A...qui a substitué MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1404901 du tribunal administratif de Bordeaux du 29 septembre 2016 ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes des épouxE... ;
3°) de mettre à leur charge la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Lucmau soutient que :
- les contentieux mettant en cause des chemins ruraux relèvent normalement de la compétence du juge judiciaire sauf lorsqu'ils concernent des travaux publics ; les travaux effectués par des particuliers sur un chemin rural dans l'intérêt privé n'ont pas le caractère de travaux publics ; comme l'admettent les consortsE..., c'est la société forestière de Gascogne, personne morale de droit privé, qui a effectué, dans son propre intérêt, les travaux de débardage à l'origine des dommages litigieux sur le chemin en cause ; ces dommages résultant de travaux privés sur la voie litigieuse appartenant au domaine privé de la commune relèvent donc de la compétence du juge judiciaire ;
- comme l'a jugé le tribunal, la commune n'a commis aucune faute s'agissant des carences alléguées résultant de l'absence d'application des articles L. 161-5, D.161-11 et D.161-14 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ; les dispositions des articles L. 161-5 et 11 du code rural et de la pêche maritime font peser sur les propriétaires riverains intéressés à la conservation des chemins ruraux la charge de prendre l'initiative des travaux de maintenance de la voie en état de viabilité ; dans ces conditions, et alors que l'association syndicale autorisée (ASA) intercommunale de défense des forêts contre l'incendie (DCFI) de Préchac, Bourideys, Cazalis, Lucmau, Uzeste et Villandraut est responsable de l'entretien de ce chemin, les épouxE..., qui n'ont jamais pris aucune initiative en ce sens, sont particulièrement mal fondés à se prévaloir de ces dispositions pour mettre en jeu sa responsabilité ;
- les dispositions de l'article D. 161-11 du code rural ne sont pas davantage applicables dès lors qu'il n'existe pas d'obstacle à la circulation tels qu'un portail ou une clôture irrégulièrement édifiée sur le chemin rural empêchant la circulation ;
- si les consorts E...reprochent au maire de la commune de pas avoir fait usage de ses pouvoirs de police pour obtenir la remise en état des lieux permettant la circulation sur le chemin, elle a cependant toujours fait le nécessaire pour rétablir le bon ordre sur le chemin litigieux, et se tient régulièrement en contact avec les sociétés exploitantes pour la remise en état des lieux lorsque les débardages ont occasionné des dégâts ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le chemin rural dit de Lomprey n'est pas un chemin ouvert au public mais un chemin forestier, propriété privée de la commune, lequel ne dessert directement que la seule habitation des épouxE... ; le témoignage de M. B..., qui n'est pas riverain du chemin de Lomprey et qui dispose d'un accès à la voie publique à partir d'un autre chemin rural ne saurait être retenu ; si ce chemin a pu être momentanément endommagé, l'entreprise forestière responsable a été immédiatement mise en demeure de remettre le chemin en l'état et ce n'est que par l'attitude des consorts E...que ledit chemin n'a pu être remis en état immédiatement par l'entreprise ; dans la mesure où il n'est pas rapporté la preuve que par le passé, ce chemin rural appartenant en application de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime à son domaine privé ait été entretenu, aucune obligation d'entretien ne pèse sur la collectivité ;
- le tribunal a considéré à tort que les époux E...avaient la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public que constitue le chemin rural alors que tous les griefs qu'ils formulent concernent la fonction même de desserte du chemin et l'usage qui en est fait ; selon la jurisprudence, le riverain d'un chemin rural doit être qualifié d'usager dès lors que le dommage trouve son origine dans l'utilisation même de l'ouvrage, c'est-à-dire son fonctionnement ; les usagers d'un chemin rural ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute présumée de la commune, pour défaut d'entretien normal, dès lors que la commune n'a aucune obligation d'entretien dudit chemin ;
- le jugement la condamnant à verser une somme de 6 200 euros a pour effet de grever de manière critique le budget d'une commune de 221 habitants.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 28 juin 2017 et 19 juin 2018, M. et Mme E..., représentés par MeG..., concluent :
1°) à titre principal et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions dirigées contre la décision du 19 septembre 2014, n'a pas retenu le fondement de la responsabilité pour faute de la commune et leur a alloué une somme très inférieure à celle réclamée ;
2°) à ce qu'il soit enjoint à la commune de prendre les dispositions nécessaires pour la remise en état de ce chemin dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
3°) à la condamnation de la commune à leur verser la somme de 70 528,20 euros correspondant au montant des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés ;
4°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête de la commune ;
5°) à la mise à la charge de la commune de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme E...font valoir que :
- contrairement à ce que soutient la commune, ils n'ont, à aucun moment, fondé leur recours sur un préjudice lié à des travaux qu'aurait effectués la commune sur le chemin rural de Cazalis ; la saisine du tribunal administratif tendait d'une part à l'annulation de la décision de refus du maire de faire respecter son arrêté du 26 septembre 1996 relatif à la préservation de l'accès des usagers aux chemins ruraux de la commune et d'autre part à la condamnation de la commune à réparer leurs préjudices résultant de l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés, depuis bientôt dix ans, d'emprunter ce chemin rural et d'accéder à leur domicile ; ces conclusions ressortissent à l'évidence de la compétence de la juridiction administrative, comme l'ont admis, implicitement mais nécessairement, les premiers juges ;
- le chemin rural en cause, lequel dessert plusieurs habitations, est ouvert à la circulation publique comme l'a reconnu le tribunal ; il est devenu impraticable en raison de travaux liés à une exploitation forestière ; si, en application des dispositions combinées du code général des collectivités territoriales et du code rural et de la pêche maritime, une commune n'est pas tenue d'assurer l'entretien d'un chemin rural relevant de son domaine privé, ce principe s'efface lorsque le chemin est ouvert à la circulation publique et dès lors que les riverains sollicitent l'exercice par le maire de ses pouvoirs de police afin d'assurer la libre circulation sur le chemin ; l'impraticabilité du chemin rural constitue en effet selon la jurisprudence un obstacle à la circulation publique auquel le maire est tenu de remédier ; sauf à faire échec au principe de libre circulation publique, la commune ne peut opposer l'absence de toute obligation d'entretien ; le tribunal ne pouvait sans erreur rejeter leurs conclusions tendant à l'annulation de la décision du maire du 19 septembre 2014, en tant que celui-ci a refusé à plusieurs reprises, malgré les dispositions des codes précités et en méconnaissance d'un arrêté municipal du 26 septembre 1996 organisant les conditions de la remise en état des lieux dans le cadre des travaux forestiers, d'assurer la circulation publique sur le chemin rural et de mettre en oeuvre les dispositions prévues par ledit arrêté pour sa remise en état ; ces refus illégaux sont constitutifs d'une faute engageant la responsabilité de la commune, alors que le tribunal ne précise pas en quoi ils ne rapporteraient pas la preuve du lien entre l'inapplication de ces dispositions et le préjudice subi ;
- les dommages subis se rattachent non pas à un accident lié à une opération de travaux publics ou à un défaut de la voie publique mais, de façon quasi permanente, à l'existence même de l'ouvrage public que constitue le chemin rural ouvert à la circulation publique ; ayant dès lors la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage, ils sont fondés à se prévaloir de la responsabilité sans faute de la commune, comme l'a jugé sans erreur le tribunal ;
- si la commune croit pouvoir se décharger de sa responsabilité sur l'association syndicale autorisée intercommunale de défense de la forêt contre l'incendie en affirmant que c'est elle qui serait " responsable de l'entretien du chemin litigieux " et aurait proposé à ce titre en 2011 des travaux d'empierrement, ce projet ne s'étant jamais réalisé, la commune n'est pas pour autant exonérée de ses obligations au titre des dispositions des codes précités ;
- le " blocage " ponctuel et symbolique du chemin en mai 2014 qu'invoque la commune n'avait pour objet que de protester contre les détériorations occasionnées à ce chemin par les exploitants forestiers ; ceci n'a rien à voir avec l'impraticabilité permanente du chemin rural constatée depuis dix ans en raison des dégâts causés et non réparés par les forestiers ;
- si le tribunal a fait droit à leurs conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité sans faute résultant de la présence d'un ouvrage public, les premiers juges, en leur accordant la somme de 5 000 euros, ont cependant sous-estimé l'importance des préjudices anormaux et spéciaux subis ; ils ont pourtant produit plusieurs factures attestant de l'existence de préjudices matériels liés au caractère impraticable du chemin, soit 15 253,20 euros résultant de l'impossibilité de se rendre sur une manifestation pour laquelle un stand avait été loué et des marchandises achetées, 5 000 euros correspondant à un prêt contracté pour l'acquisition d'un véhicule 4X4, seul moyen d'accéder à leur habitation, 275 euros se rapportant à des contraventions en raison du stationnement forcé de leur véhicule au début du chemin, totalement impraticable ;
- l'ensemble des troubles graves dans leurs conditions d'existence et les préjudices moraux pourront être indemnisés à hauteur de 50 000 euros ; ils sollicitent donc le réajustement de leur indemnisation à un montant tenant compte du chiffrage figurant dans leur requête, soit un total de 70 528,20 euros, auxquels s'ajoutent les intérêts au taux légal et capitalisés ;
- dans l'hypothèse où la cour rejetterait leur appel incident, il est demandé de confirmer le jugement entrepris et de rejeter la requête de la commune ; il n'est pas contesté que le chemin rural en cause est ouvert à la circulation publique et dessert, outre leur propriété, d'autres habitations ; ce chemin rural revêt dans ces conditions le caractère d'un ouvrage public et les dommages qui en résultent relève du régime de dommages de travaux publics, sans que la commune puisse invoquer une faute de leur part, dès lors qu'ils n'ont en aucun cas contribué à la situation dommageable qu'ils subissent.
Par ordonnance du 27 août 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 3 octobre 2018 à 12 heures.
Par un courrier du 12 octobre 2018, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions de M. et MmeE..., enregistrées après l'expiration du délai d'appel, par lesquelles ils demandent l'annulation du jugement en tant que le tribunal a rejeté leurs conclusions dirigées contre la décision du 19 septembre 2014 ainsi que leurs conclusions à fin d'injonction, soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal et ne sont, par suite, pas recevables.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 octobre 2018 :
- le rapport de M. Jean-Claude Pauziès,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- les observations de MeF..., représentant la commune de Lucmau, et de MeG..., représentant M. et MmeE....
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 23 juillet 2014, M. et Mme E...ont mis en demeure le maire de Lucmau (Gironde) de remettre en état le chemin rural de Cazalis permettant l'accès à leur propriété située au lieu-dit " Lomprey " et lui ont demandé de réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison du mauvais état récurrent dudit chemin. Le maire de la commune de Lucmau a rejeté leurs demandes par un courrier du 19 septembre 2014. M. et Mme E...ont alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant en premier lieu, à l'annulation de cette décision, en deuxième lieu à la condamnation de la commune à leur verser la somme de 70 528,20 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis et en troisième lieu, à ce qu'il soit enjoint à la commune de prendre les mesures nécessaires pour la remise en état de ce chemin dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 300 euros par jour de retard. La commune de Lucmau relève appel du jugement du 29 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif l'a condamnée, sur le fondement de la responsabilité sans faute, à verser aux époux E...la somme de 5 000 euros en réparation de leurs préjudices. Par la voie de l'appel incident, les époux E...demandent à la cour d'annuler le jugement en tant que le tribunal a rejeté leurs conclusions dirigées contre la décision du 19 septembre 2014, n'a pas retenu le fondement de la responsabilité pour faute de la commune et leur a alloué une somme très inférieure à celle réclamée.
Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée par la commune :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les époux E...ont demandé au tribunal l'annulation d'une décision de refus du maire de Lucmau de faire suite à leur mise en demeure de remettre en état le chemin rural n° 18 permettant l'accès à leur propriété située lieu-dit " Lomprey " et de réparer les conséquences dommageables liées à l'impraticabilité alléguée de ce chemin.
3. En premier lieu, le refus opposé par le maire de Lucmau à leur demande tendant à ce qu'il fasse usage des pouvoirs de police qu'il tient des articles L. 161-5 et D. 161-11 du code rural et de la pêche maritime pour la remise en état d'un chemin rural appartenant au domaine privé de la commune se détache de la gestion du domaine privé communal. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient la commune de Lucmau, la juridiction administrative est compétente pour connaître des conclusions des époux E...tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
4. La juridiction administrative est également compétente pour connaître de la question de savoir si la responsabilité d'une personne publique est susceptible d'être engagée, notamment sans faute, du fait de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage ouvert à la circulation publique, alors même qu'une société forestière serait à l'origine de la détérioration dudit chemin ou que son entretien serait assuré par une association syndicale intercommunale de droit privé.
5. Par suite, la commune de Lucmau n'est pas fondée à soutenir que la juridiction administrative ne serait pas compétente pour statuer sur les demandes des épouxE....
Sur la recevabilité des conclusions d'appel incident de M. et Mme E... :
6. Si les épouxE..., par la voie de l'appel incident, demandent la réformation du jugement en tant que le tribunal leur a alloué une somme très inférieure à celle qu'ils ont réclamée, ils sollicitent également l'annulation du jugement en tant que le tribunal a rejeté leurs conclusions dirigées contre la décision du 19 septembre 2014 ainsi que leurs conclusions à fin d'injonction. Ces conclusions constituent toutefois un litige distinct de l'appel principal formé par la commune, laquelle conteste uniquement l'engagement de sa responsabilité sans faute ainsi que le montant des indemnités allouées par le tribunal. Par suite, les conclusions à fin d'annulation et à fin d'injonction présentées par la voie de l'appel incident par les consorts E...doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur l'appel principal :
7. Aux termes de l'article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime : " L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale. " Un seul des éléments indicatifs figurant à cet article permet de retenir la présomption d'affectation à l'usage du public.
8. La commune de Lucmau soutient en premier lieu que le chemin en cause est un chemin forestier qui ne dessert qu'une seule habitation et qu'il ne constitue donc pas un ouvrage public. Toutefois, il résulte de l'instruction que le chemin rural est utilisé par des exploitants forestiers, des chasseurs, et dessert une autre propriété que celle de M. et MmeE.... Par suite, et quand bien même cette propriété serait accessible par un autre accès, le chemin en litige constitue bien un ouvrage public et la commune, maître d'ouvrage, est responsable même sans faute des dommages anormaux et spéciaux que ce chemin a occasionnés.
9. En deuxième lieu, et quand bien même les propriétaires desservis par un chemin rural auraient comme le soutient la commune la qualité d'usagers de ce chemin, la décision légale de la commune de ne pas entretenir le chemin peut engager la responsabilité sans faute de la commune si elle cause un préjudice anormal et spécial.
10. Il résulte de l'instruction que M. et Mme E...ont informé la commune depuis plusieurs années de l'état du chemin rural de Cazalis rendant très difficile l'accès des véhicules à leur propriété. La commune ne conteste pas plus en appel qu'en première instance les pièces produites par les intéressés indiquant notamment que les services postaux ou de distribution d'énergie, ainsi qu'une infirmière prodiguant régulièrement à Mme E...les soins nécessaires à son état de santé ont renoncé à se rendre chez eux avec leur véhicule en empruntant ce chemin et n'établit pas, quand bien même il existerait une servitude de passage sur fonds voisins dont le tracé n'est pas connu, que ce chemin ne constituerait pas la seule desserte adaptée de leur propriété. Dans ces conditions, le tribunal a pu estimer à juste titre que ces derniers subissent un préjudice anormal et spécial.
11. Enfin, en se bornant à indiquer que le montant de l'indemnité mise à sa charge par le tribunal est excessif compte du nombre d'habitants, la commune de Lucmau ne démontre pas que les premiers juges auraient fait une appréciation excessive du préjudice de jouissance subi par M. et Mme E...en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.
Sur l'appel incident :
12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2321-1 du code général des collectivités territoriales : " Sont obligatoires pour la commune les dépenses mises à sa charge par la loi. " Aux termes de l'article L. 2321-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " Les dépenses obligatoires comprennent notamment : (...) / 20° Les dépenses d'entretien des voies communales (...) " Aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. " Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les dépenses obligatoires pour les communes incluent les dépenses d'entretien des seules voies communales, dont ne font pas partie les chemins ruraux. Par ailleurs, la responsabilité d'une commune en raison des dommages trouvant leur origine dans un chemin rural n'est pas, en principe, susceptible d'être engagée sur le fondement du défaut d'entretien normal. Il en va différemment dans le cas où la commune a exécuté, postérieurement à l'incorporation du chemin dans la voirie rurale, des travaux destinés à en assurer ou à en améliorer la viabilité et a ainsi accepté d'en assumer, en fait, l'entretien.
13. Ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que, d'une part, le chemin en litige aurait été incorporé à la voirie communale et, d'autre part, que la commune aurait accepté, de fait, d'entretenir ce chemin. Par suite, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que la carence du maire dans l'entretien du chemin litigieux serait illégale et donc fautive.
14. En deuxième lieu, si M. et Mme E...soutiennent que les préjudices qu'ils allèguent sont la conséquence du mauvais état dudit chemin, et d'une carence fautive du maire dans l'exercice des pouvoirs de police qu'il détient en application des dispositions de l'article L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, il résulte de l'instruction que le maire a mis en demeure l'entreprise forestière qui avait dégradé le chemin d'en assurer la remise en état, et que les requérants avaient fait obstacle à l'enlèvement des bois, et par suite à la réparation du chemin, en stationnant des véhicules devant les grumes entreposées à l'entrée du chemin. Ainsi, les intimés n'établissent pas que l'état du chemin résulterait d'une faute commise par le maire à l'occasion de l'application des dispositions de l'arrêté municipal du 26 septembre 1996 réglementant les travaux forestiers sur la commune et imposant notamment aux exploitants sylvicoles la remise en état des lieux en cas de détérioration constatée des voies.
15. Par suite, et comme l'a estimé à juste titre le tribunal, les consorts E...ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour faute de la commune de Lucmau.
16. M. et Mme E...soutiennent que les premiers juges ont sous estimé l'importance des préjudices subis. Toutefois, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le lien de causalité entre les préjudices économiques et financiers invoqués par les requérants et le caractère impraticable du chemin litigieux n'est pas suffisamment établi. D'autre part, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice de jouissance résultant des troubles dans les conditions d'existence de M. et Mme E...liés à l'état du chemin rural en cause en leur accordant la somme de 5 000 euros.
17. Il résulte de tout ce qui précède qui ni la commune de Lucmau ni les époux E...ne sont fondés à demander la réformation du jugement attaqué.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
18. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit à aucune des conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Lucmau et les conclusions d'appel de M. et Mme E... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lucmau et à M. et Mme D...E....
Délibéré après l'audience du 25 octobre 2018, où siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.
Le rapporteur,
Jean-Claude PAUZIÈSLe président,
Catherine GIRAULTLe greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX03812