Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...D..., représenté par MeA..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner l'Etat à lui verser une provision de 17 150 euros au titre du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Baie-Mahault.
Par une ordonnance n° 1800431 du 24 juillet 2018, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné l'Etat à verser à M. D...une provision de 10 000 euros, et à son avocat, MeA..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 3 août 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1800431 du 24 juillet 2018 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe.
Elle soutient que :
- les conditions de détention de M. D...ne sont pas attentatoires à la dignité de la personne humaine et à sa vie privée ; si M. D...a occupé des cellules d'une surface de 8,7 m² ou de 10,7 m², il n'a pas été contraint de partager sa cellule avec d'autres codétenus pendant la totalité de son incarcération ; il n'était pas, par ailleurs, tenu d'y rester en permanence et pouvait la quitter lors de ses promenades et de ses activités culturelles ou artistiques ;
- si la législation impose à l'administration pénitentiaire d'observer le principe du respect de la personne, elle l'astreint également à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des personnes détenues ; en tout état de cause, les toilettes sont cloisonnées ce qui permet de totalement préserver l'intimité des codétenus ;
- si M. D...se plaint de la surpopulation carcérale et de l'encellulement collectif, il ressort de l'article 100 de la loi du 24 novembre 2009 modifiée par la loi du 29 décembre 2014 qu'il est possible de déroger au principe de l'encellulement individuel jusqu'au 31 décembre 2019 eu égard, en particulier, à la distribution intérieure des locaux, ce qui correspond à la situation de la maison d'arrêt de Baie-Mahault ;
- si, comme tout établissement pénitentiaire, le centre de Baie-Mahault est menacé par la présence récurrente de nuisibles, ce dernier organise le ramassage des déchets quotidiennement et s'attache les services d'une société de dératisation, désinfection et désinsectisation ;
- la propreté et l'hygiène ne relèvent pas exclusivement des établissements pénitentiaires mais aussi des détenus qui doivent également participer à l'entretien de leur cellule ;
- il ne peut être soutenu que l'aération des lieux serait insuffisante alors que la cellule concernée est spacieuse et qu'un ventilateur peut être mis à la disposition des détenus ;
- M. D...ne démontre pas que la luminosité de sa cellule serait trop faible pour permettre de lire et d'écrire sans lumière artificielle ;
- la variété et la qualité de l'alimentation est indéniable ;
- en l'absence de faute avérée et de préjudice, l'administration pénitentiaire ne saurait être condamnée à indemniser un éventuel préjudice ; si la cour en décidait autrement, il est patent que M. D...a surévalué le dommage subi et il conviendra de le ramener à de plus justes proportions.
Par un mémoire enregistré le 28 septembre 2018, M. C...D..., représenté par MeA..., conclut au rejet du recours et demande à la cour que lui soit donné acte, d'une part, du dépôt d'un dossier d'aide juridictionnelle et, d'autre part, de sa volonté de renoncer, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, au bénéfice de celle-ci, dans l'hypothèse d'une condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il soutient que :
- ayant disposé d'un espace inférieur à 3 m² au sein de sa cellule, il a subi un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; par ailleurs, la durée des promenades était particulièrement courte et les activités disponibles ne sont intervenues qu'en fin d'incarcération ;
- le mauvais état des cellules et les conditions d'hygiènes sont constitutives d'un traitement inhumain et dégradant au sens de ce même article 3 ;
- l'absence de cloisonnement des toilettes porte atteinte au droit au respect de la vie privée et de la dignité de la personne humaine ; elle a engendré des nuisances olfactives, lesquelles sont accentuées par le climat et l'insuffisance des mécanismes d'aération, des nuisances visuelles et des nuisances sonores ainsi qu'une situation d'humiliation ;
- il n'a pas eu accès, au cours de son incarcération, à une activité professionnelle.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi du n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. B...E...en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. D...a été incarcéré au centre pénitentiaire de Baie-Mahault du 27 juillet 2012 au 22 juin 2015 et du 3 juillet 2015 au 29 septembre 2016. La garde des sceaux, ministre de la justice, fait appel de l'ordonnance du 24 juillet 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné l'Etat à verser une provision de 10 000 euros à M. D...au titre du préjudice subi du fait de ses conditions de détention dans ce centre.
2. Aux termes de l'article L. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article D. 349 du code de procédure pénale dispose : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". En vertu de l'article D. 350 du même code : " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération ". Selon l'article D. 351 de ce code : " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. / Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus. ".
4. Tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d'exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes. Des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351, révèleraient l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.
5. Il résulte de l'instruction, notamment des précisions et justifications produites en appel par la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les différentes cellules occupées par M. D... au cours de son incarcération dans le centre pénitentiaire de Baie-Mahault et sur la présence ou non d'autres détenus dans ces cellules, que l'intéressé a incontestablement connu des périodes de sur-occupation d'une même cellule qui se sont élevées au total à 38 mois et 10 jours et qui ont engendré, compte tenu en outre des mauvaises conditions d'aération, et même en tenant compte des promenades autorisées et des possibilités d'activités culturelles, une situation de promiscuité excessive restreignant les possibilités pour l'intéressé de préserver son intimité et portant une atteinte caractérisée à sa dignité, de nature à engendrer un préjudice moral justifiant réparation, alors même que la loi autorise les établissements pénitentiaires à déroger au principe de l'encellulement individuel, que la luminosité des cellules serait suffisante et l'alimentation variée. Pour le surplus de la période d'incarcération de l'intéressé dans ledit centre, en revanche, il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait subi une promiscuité excessive et que ses conditions d'incarcération aient été telles, au regard notamment de l'état des cellules tel qu'il ressort des photographies produites et eu égard aux campagnes de dératisation et de désinsectisation menées, que sa créance à l'égard de l'Etat présente un caractère non sérieusement contestable.
6. Il sera fait une juste appréciation de la créance non sérieusement contestable de l'Etat à l'égard de M. D...en la fixant à 8 000 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice est seulement fondée à demander que la provision que l'Etat a été condamné à verser par l'ordonnance contestée soit ramenée à 8 000 euros.
8. L'Etat n'étant pas la partie perdante, les conclusions présentées au titre des frais irrépétibles par M. D...sont rejetées.
ORDONNE :
Article 1er : La provision que l'Etat a été condamné à verser à M. D...par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 1800431 du 24 juillet 2018 est ramenée à 8 000 euros.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 1800431 du 24 juillet 2018 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté, de même que les conclusions de M. D...formulées au titre des frais irrépétibles.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Fait à Bordeaux, le 19 février 2019.
Le juge des référés,
Aymard de Malafosse
La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 18BX03076