Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la délibération du conseil municipal d'Esnandes du 11 décembre 2014 ainsi que la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 1500432 du 20 septembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la délibération du conseil municipal d'Esnandes du 11 décembre 2014 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de Mme E....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 21 novembre 2017 et le 18 janvier 2019, Mme G... E..., représentée par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 20 septembre 2017 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle ;
2°) d'annuler la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Esnandes la somme de 2 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que la minute ne comporte pas les signatures exigées par l'article R.741-6 du code de justice administrative ;
- il est insuffisamment motivé en ce qu'il se borne à faire état de la situation de harcèlement moral sans évoquer les attaques verbales dont elle a été victime ;
- il est entaché d'une omission à statuer dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 15 décembre 2014, qui n'était pas inopérant.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 15 décembre 2014 ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle ne justifiait pas d'agissements susceptibles d'ouvrir droit à la protection fonctionnelle, les faits invoqués au soutien de sa demande caractérisant tant des propos outrageants ou diffamatoires qu'une situation de harcèlement moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2018, la commune d'Esnandes, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande la mise à la charge de Mme E... de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 janvier 2019, la clôture d'instruction au 12 février 2019 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B... ;
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;
- et les observations de Me C..., représentant Mme E... et Me F..., représentant la commune d'Esnandes.
Une note en délibéré pour Mme E... a été enregistrée le 23 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., attachée territoriale, a été recrutée le 1er novembre 2008 par la commune d'Esnandes (Charente-Maritime) en qualité de directrice générale des services. Elle a été placée en congé de maladie du 13 au 17 août 2014 puis durant plusieurs jours au cours du mois de septembre 2014. S'estimant victime d'agissements répétés de harcèlement moral, elle a demandé le 17 octobre 2014 au maire de la commune de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Mme E... relève appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 20 septembre 2017 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 refusant de lui octroyer cette protection fonctionnelle.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte de l'examen du dossier de première instance qu'à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, Mme E... a soulevé, dans un mémoire en réplique enregistré le 9 juin 2017, un moyen tiré de ce que le maire s'étant estimé, à tort, lié par la position du conseil municipal, ladite décision est entachée d'incompétence négative. Les premiers juges ont omis de se prononcer sur ce moyen qui n'était pas inopérant et qu'ils n'ont d'ailleurs pas visé.
3. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à sa régularité, le jugement du 20 septembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers doit être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 15 décembre 2014. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par voie d'évocation, sur lesdites conclusions à fin d'annulation présentées par Mme E....
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 15 décembre 2014 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée, applicable à la date de la décision contestée : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; (...). ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Les décisions par lesquelles l'administration refuse le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue par les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 doivent être motivées.
5. La décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 rejetant la demande de protection fonctionnelle de Mme E... comporte, d'une part, différentes références précises de jurisprudence portant notamment sur l'application de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et, d'autre part, l'énoncé en neuf points détaillés des circonstances de fait qui ont l'ont conduit à prendre ladite décision. Il suit de là qu'elle est suffisamment motivée et que le moyen doit par conséquent être écarté.
6. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de la décision litigieuse, laquelle mentionne notamment le fait qu'il répond à la demande de protection fonctionnelle de Mme E... en sa qualité de maire, que ce dernier ne s'est pas estimé lié par la position du conseil municipal qui, par la délibération du 11 décembre 2014 annulée par le tribunal administratif de Poitiers pour incompétence de l'auteur de l'acte, avait refusé d'accorder la protection fonctionnelle à l'appelante. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence négative doit être écarté.
7. En troisième lieu, d'une part, aux termes des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. (...) / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...). ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
8. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
9. Au titre des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part du maire de la commune d'Esnandes, Mme E... fait état, en premier lieu, d'attaques verbales réitérées et diffamatoires dont elle a été victime depuis la prise de fonctions en avril 2014 de la nouvelle équipe municipale et de sa mise à l'écart systématique de la gestion des dossiers de la collectivité, situation à l'origine de différents arrêts maladie, en deuxième lieu, de la réduction progressive de ses attributions la coupant du fonctionnement normal de la collectivité, en troisième lieu, de la mise en cause publique de ses qualités professionnelles de directrice générale des services et de son honnêteté, notamment devant les élus municipaux, et en quatrième lieu, de la baisse drastique de sa notation pour 2014.
10. Cependant, d'abord, il ressort des pièces du dossier que les remarques adressées à Mme E... dans le cadre de la gestion de certains contentieux, dont celui des redevances du camping municipal, n'excédaient pas les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, pas plus que celles qui lui ont été faites par courriels sur les finances locales et la préparation du budget communal. Il ne ressort des pièces du dossier ni que le maire aurait agi en considération des orientations politiques de Mme E... ni qu'il aurait formulé des observations particulières au sujet de ses absences rendues nécessaires par l'exercice de ses différents mandats électifs pour lesquelles elle a d'ailleurs toujours obtenu les autorisations demandées.
11. Si les critiques émises par le maire sur la conservation par Mme E... de plusieurs chèques non encaissés libellés au profit de la commune et sur la gestion des relations financières de la collectivité avec le camping municipal ont de façon regrettable été exprimées publiquement, il ressort des pièces du dossier qu'elles ne tendaient pas à la mise en cause de la probité de l'intéressée à l'encontre de laquelle aucune poursuite pénale n'a d'ailleurs jamais été envisagée.
12. Par ailleurs, en se bornant à demander, par une première note du 28 avril 2014 adressée à l'ensemble du personnel communal, que " toutes demandes (...) formulées par monsieur le maire ainsi que par ses adjoints devront être satisfaites sans qu'il soit préalablement demandé une autorisation de la hiérarchie " et, par une seconde note du même jour adressée à la directrice générale des services, que " tout courrier arrivant en mairie à l'intention de monsieur le maire (...) sera à déposer directement sur le bureau du maire sans ouverture préalable ", le maire de la commune d'Esnandes n'a pas cherché à mettre à l'écart Mme E... laquelle, comme tous les autres agents, a été ainsi informée des nouvelles modalités d'organisation du service. Alors que le caractère limité de ses rencontres avec le maire s'explique, ainsi qu'il le fait valoir, par la présence tardive de celui-ci dans les locaux de la mairie du fait de son activité professionnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire se soit délibérément abstenu de convier Mme E... à diverses réunions dans le but de l'écarter de certains projets sensibles et plus largement de provoquer son isolement.
13. Ensuite, l'appelante soutient que sa note chiffrée pour 2014 a été fixée par le nouveau maire à 7,68 sur 20 alors qu'elle a été notée 15 sur 20 en 2013 et qu'en janvier 2015, le maire a proposé un avancement d'échelon à l'ancienneté maximale. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de l'appréciation littérale portée sur la fiche de notation de Mme E..., qui a seulement saisi la commission administrative paritaire pour avis sur une demande de révision de sa notation, que cette dernière était fondée sur les manquements de l'intéressée dans sa manière de servir, notamment dans la gestion des dossiers financiers dont elle avait la charge.
14. Enfin, s'il ressort des pièces du dossier, en particulier d'une expertise médicale du 29 juin 2017 effectuée à la demande du comité médical pour l'octroi d'un congé de longue maladie à compter du 13 février 2017, que Mme E... présente, depuis le mois de juin 2017, un syndrome anxio-dépressif lié à des difficultés professionnelles ne saurait caractériser à lui seul un harcèlement moral, qui se définit également par l'existence d'agissements répétés de harcèlement et d'un lien entre ces souffrances et ces agissements. Or, les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir un lien entre la pathologie de Mme E... et les agissements allégués de harcèlement moral.
15. Dans ces conditions, les agissements dénoncés par Mme E... ne peuvent être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral. En refusant de faire droit à la demande de l'intéressée d'une mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, le maire n'a, dès lors, entaché sa décision ni d'une erreur de droit ni d'une erreur d'appréciation.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 refusant de lui octroyer la protection fonctionnelle.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative :
17. En premier lieu, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge de ses frais d'instance et, par suite, de rejeter les conclusions présentées par Mme E... et la commune d'Esnandes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
18. En second lieu, aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de la commune d'Esnandes tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du même code ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1500432 du 20 septembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014.
Article 2 : Le surplus de la requête de Mme E... et sa demande d'annulation de la décision du maire d'Esnandes du 15 décembre 2014 présentée devant le tribunal administratif de Poitiers sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Esnandes présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... et au maire d'Esnandes.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme D... B..., présidente assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.
Le rapporteur,
Karine B...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX03612 7