Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E..., épouse D..., a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2018 par lequel le préfet de la Gironde lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 1900011 du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 juillet et le 23 octobre 2019, Mme E..., épouse D..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 mars 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2018 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer sans délai un titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'arrêté pris à son encontre ne portait pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, ne l'exposait pas à des risques contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne portait pas atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants au sens de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation et d'une méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle justifie de l'existence d'une vie privée et familiale en France depuis début 2015, avec ses deux enfants Davud et A..., respectivement nés en septembre 1998 et août 2004, qui sont tous les deux scolarisés ; A... est victime d'un handicap qui ne pourra pas être correctement pris en charge dans le cadre d'une scolarisation éventuelle en Azerbaïdjan, où les structures adaptées n'existent pas, et il doit poursuivre sa scolarité en institut médico-pédagogique (IMP) en France, où sa prise en charge n'est pas récente ; les deux enfants sont parfaitement insérés dans le cursus scolaire français ; Davud fait l'objet de poursuites judiciaires en Azerbaïdjan à raison, notamment, de la non réalisation de son service militaire ; l'éloignement de leur mère priverait les enfants de toute capacité de subvenir à leurs besoins et le fait de renvoyer les enfants dans leur pays d'origine les priverait de leur père qui vit actuellement en Ukraine, après avoir fui l'Azerbaïdjan, et ne peut s'y rendre compte tenu de son engagement dans un parti politique d'opposition au pouvoir en place ; l'arrêté porte donc une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et à celle de ses enfants ;
- le préfet a également entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard des risques qu'elle encourt en cas de retour dans son pays d'origine et a ainsi violé les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le préfet, qui n'était pas lié par l'appréciation portée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), n'a pas pris en compte les risques auxquels elle serait exposée, ainsi que ses enfants, en cas de retour en Azerbaïdjan alors que sa famille est chrétienne et que son époux a dû fuir le pays au regard de son engagement militant dans le parti du front populaire d'Azerbaïdjan, pour lequel il était susceptible de faire l'objet de violences et de menaces de poursuites judiciaires, comme en attestent d'anciens voisins de la famille ainsi que le rapport d'Amnesty International sur la situation des droits humains en Azerbaïdjan pour 2017/2018 ;
- l'arrêté méconnaît, enfin, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990, dans la mesure où l'intérêt supérieur de ses deux enfants est de poursuivre leur scolarité en France, en particulier A... compte tenu de son handicap moteur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 23 octobre 2019 à 12 heures.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2019/008617 du 13 juin 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée,
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- et les observations de Me F... pour Mme E..., épouse D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante azerbaïdjanaise née le 22 avril 1968, déclare être entrée en France le 5 janvier 2015, accompagnée de ses deux enfants, Davud et A..., alors respectivement âgés de 16 et 10 ans. Sa demande d'asile, introduite le 17 février 2015, a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 18 janvier 2016, confirmée par la CNDA le 16 février 2017. Le 26 avril 2017, elle a saisi le préfet de la Gironde d'une demande tendant à obtenir une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en qualité de parent accompagnant d'un enfant malade. Après avoir recueilli, le 12 avril 2018, l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), le préfet de la Gironde a, par un arrêté du 29 novembre 2018, refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme D... relève appel du jugement du 28 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 29 novembre 2018.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 novembre 2018 :
2. En premier lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Et aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...). ".
3. Mme D... maintient en appel que le préfet de la Gironde a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations et dispositions précitées, et a entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie privée et familiale et celle de ses deux enfants. Elle se prévaut, à cet effet, de sa présence en France depuis le mois de janvier 2015, de ce qu'elle y vit en compagnie de ses deux enfants, dont l'un encore mineur présente un handicap, et de ce qu'elle n'a plus d'attaches familiales en Azerbaïdjan, pays que son mari aurait fui à raison de ses opinions politiques pour se réfugier en Ukraine et, enfin, de ce qu'elle a attesté de sa volonté de s'insérer dans la société française, au travers de son apprentissage de la langue française et d'activités bénévoles. Toutefois, et ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges sans que l'intéressée n'apporte d'élément nouveau contemporain de la décision contestée au soutien de ce moyen, il ressort des pièces du dossier que Mme D..., qui est entrée en France à l'âge de 47 ans, n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine ni ne soutient disposer d'attaches personnelles ou familiales en France, en dehors de ses deux enfants, dont l'aîné, majeur depuis le 3 septembre 2016, ne justifie pas avoir été admis à séjourner en France au titre de l'asile à la suite de la demande qu'il indique avoir introduite, et dont le plus jeune, A..., n'a pas vocation à être séparé de sa mère en cas d'éloignement à destination de leur pays d'origine. A cet égard, la scolarisation de ses deux enfants, et notamment de son fils cadet au sein d'un établissement adapté à son handicap, présentait, à la date de la décision attaquée, un caractère relativement récent et il n'est pas établi qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur scolarité en Azerbaïdjan, où ils ont vécu jusqu'à l'âge respectivement de 17 et 10 ans et où le jeune A..., en dépit de son retard de développement et de son handicap moteur, avait alors pu bénéficier d'une scolarisation partielle à domicile ainsi qu'en attestent les propres pièces produites par la requérante. Enfin, si Mme D... fait valoir que son fils aîné, Davud, devra effectuer son service militaire en cas de retour en Azerbaïdjan, cette seule circonstance ne saurait être de nature à l'empêcher d'y poursuivre sa scolarité. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont pu estimer que l'arrêté attaqué n'a pas, au regard des buts en vue desquels il a été pris, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'appelante, tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et repris au 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme D....
4. En deuxième lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants ".
5. Si Mme D... persiste à soutenir qu'un retour en Azerbaïdjan l'exposerait à être soumise à des risques contraires aux stipulations précitées, elle n'apporte aucun élément nouveau qui n'aurait pas été soumis à l'appréciation de l'OFPRA et de la CNDA, puis du préfet de la Gironde, et qui serait de nature à remettre en cause l'appréciation portée sur ce point par les premiers juges. Les attestations vagues, peu circonstanciées et non datées de voisins du couple Askerov à Bakou apparaissent dénuées de tout caractère probant sur la réalité et l'actualité des risques encourus personnellement et directement par l'intéressée ou ses enfants en cas de retour dans leur pays d'origine, et d'ailleurs en partie contradictoires avec les propres déclarations de l'intéressée devant l'OFPRA et la CNDA, s'agissant, en particulier, des véritables raisons des poursuites judiciaires entreprises à l'encontre de son époux. Il y a lieu, dès lors, par adoption du motif à bon droit retenu par le tribunal administratif, d'écarter ce moyen.
6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
7. Mme D... ne saurait se prévaloir de ces stipulations à l'égard de son fils Davud qui était majeur à la date de l'acte attaqué. Par ailleurs, si la requérante se prévaut de ce que son fils cadet A..., atteint de handicap, bénéficie d'une prise en charge éducative adaptée dans un IMP, à temps partiel, et de ce que sa récente scolarisation lui a permis de faire d'importants progrès, elle n'établit pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que celui-ci ne pourrait actuellement bénéficier en Azerbaïdjan d'une prise en charge adaptée à sa situation en se bornant à produire une attestation établie par un assistant éducatif anglais, soulignant, en termes généraux, l'insuffisance des structures éducatives adaptées au handicap en Azerbaïdjan, tout en relevant les importants progrès réalisés depuis 2014, date à laquelle il avait cessé ses activités d'enseignement. Au demeurant et ainsi qu'il a été dit plus haut, le jeune A... avait bénéficié d'une prise en charge éducative à temps partiel à domicile, notamment au cours de l'année 2012-2013, dans le cadre de l'école spéciale d'enseignement n° 3 de la ville de Bakou, ainsi qu'en attestent les propres pièces produites par l'intéressée. Dans ces conditions, Mme D... n'établit pas, au regard des seuls éléments produits, qu'en prenant la décision contestée, le préfet aurait méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E..., épouse D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde en date du 29 novembre 2018. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement, au bénéfice de son conseil, d'une somme au titre des frais qu'elle aurait exposés si elle n'avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E..., épouse D..., est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., épouse D..., et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
M. Thierry C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.
Le rapporteur,
Thierry C...Le président,
Catherine Girault
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 19BX02749